Un texte d’Édouard Malenfant
Le confinement actuel nous a fait basculer de l’extérieur vers l’intérieur. Car il ne s’agit pas seulement d’un moment pour nous demander si nous allons réussir à revenir à « la vie normale ». C’est l’occasion de comprendre ce qu’il faut changer dans cette vie : essayons de voir pourquoi Dieu semble nous laisser dans la tempête.
Il me semble que le temps n’a plus la même densité depuis que nous sommes séparés physiquement les uns des autres. J’ai l’impression de me retrouver les dimanches après-midi de mon enfance quand mes parents âgés faisaient la sieste pendant que mes amis profitaient d’une ballade en auto avec leur famille.
Des après-midis qui n’en finissaient plus.
C’est comme si la vie venait de basculer de l’extérieur à l’intérieur. Brutalement. Je n’ai jamais eu autant de temps pour lire et je n’ai évidemment jamais eu si peu envie d’entrer dans l’histoire d’un personnage littéraire. Je trouve les fictions plutôt fades à côté de ce que l’on vit.
Pas plus le gout de me taper les séries de Netflix et encore moins les talkshows sans public. J’écoute les nouvelles, les points de presse quotidiens du trio vedette de l’heure, les infos de fin de soirée et ça me suffit.
J’apprends à travailler à distance avec une efficacité douteuse.
J’apprivoise la visiotechnologie avec un certain succès, mais je n’arrive pas à me convaincre que c’est le seul moyen de ressentir un peu ce que vivent les autres.
Je suis cantonné chez moi avec mon épouse et mes deux filles. La maison est grande. Heureusement. Quand le temps n’est pas trop salaud, je pars marcher seul, parfois avec mon épouse ou avec une de mes filles. L’autre préfère courir, ce qui me disqualifie d’emblée.
Chacun mesure sa dépendance à l’autre
Je m’étonne qu’on s’intéresse maintenant autant à la vie des personnes plus âgées. Hier encore, il me semble…
Je constate que beaucoup de choses changent en mieux — par la force des choses. On ferme les magasins le dimanche pour permettre aux employés de se reposer. Tiens, tiens, il me semble avoir déjà vu ça quelque part.
Le bien commun semble avoir tout à coup plus d’importance que les intérêts individuels.
Les avions sont cloués au sol. Les voitures, dans les cours de nos demeures la plupart du temps. Les gens prennent l’air et se saluent dans les rues comme dans les westerns.
Le bien commun semble avoir tout à coup plus d’importance que les intérêts individuels. Les enfants téléphonent à leurs grands-parents. Plus aucun sport à la télé pour fuir le quotidien et ses problèmes. Le Canadien n’aurait pas fait les séries de toute façon.
Et bien sûr, des tas de gens meurent. D’autres sont épuisés et écrasés par leur charge de travail. Des économies s’écroulent, des entreprises s’arrêtent, des frontières se ferment. Des églises se vident littéralement, des messes ne se disent plus. De l’équipement médical fait cruellement défaut. Chacun mesure un peu mieux sa dépendance à l’autre, à la bonne foi de tout un chacun.
Le vertige
J’ai soudain été pris de vertige par une idée un peu folle : et si ça ne se terminait jamais? Si ce satané virus ne trouvait pas chaussure médicale à son pied? S’il fallait que ce confinement ne soit que le premier d’une série interminable? Si la nature prenait sa revanche de toutes nos bêtises hédonistes et individualistes des dernières décennies?
Puis un couple de cardinaux (avec le « c » minuscule…) m’a distrait. Rapidement l’optimisme a refait surface. « Ça va bien aller ». La fin du monde ne peut pas être causée par un si petit machin quand même. Ce serait une fin absurde, d’un mauvais film de série B. La science ne peut pas nous laisser tomber comme ça, après tous ses progrès. Ce n’est qu’une question de temps avant qu’un vaccin ne soit disponible et que le robinet de l’horreur ne se ferme pour de bon.
Alors, puisqu’on s’en sortira, qu’adviendra-t-il après ? Reprendrons-nous là où nous avions laissé ? Adopterons-nous de nouveaux comportements moins égoïstes, plus soucieux de la valeur de toute vie humaine ? Nos idoles de profit et de croissance économique battront-elles en retraite ou seront-elles renforcées par les pénuries actuelles ?
Après l’hiver, le printemps. Mais tous les hivers ne laissent pas les mêmes traces. Après la pluie, le beau temps (et même les arcs-en-ciel parfois). Mais certaines pluies sont aussi des inondations et le soleil ne suffit pas toujours pour tout remettre sur pied.
Chaque printemps, il y a du ménage à faire. Les branches mortes cassées recouvrent les cours. Il faut refaire les semis pour voir pousser quelque chose. Le soleil à lui seul ne suffira peut-être pas.
Dieu dort-il dans la barque ?
J’ai la chance de croire en Dieu, d’espérer que le bien aura le dernier mot, que la vie va vaincre la mort. Je crois au Dieu des chrétiens. Celui de la Bible dans laquelle on retrouve des tonnes d’histoires qui ressemblent à celles que l’on vit ces jours-ci.
En ces temps de crise, certains accusent Dieu de ne rien faire, de dormir dans la barque pendant la tempête sur le lac. Ce n’est pas la première fois. Jésus lui-même fut accusé et condamné — plutôt durement — en son temps pour n’avoir rien fait.
Plusieurs Juifs attendaient un Messie qui devait faire quelque chose justement, qui devait libérer le peuple de la domination romaine. Mais d’un Dieu qui se laisse crucifier quand tout le monde souffre autour, à quoi bon ?
Peut-être voulait-il libérer ce peuple d’un plus grand mal que les Romains ? J’ose transposer : et si Dieu voulait pour nous encore aujourd’hui la même extraordinaire liberté ? S’il acceptait à nouveau de ne pas donner son coup de baguette magique sur cette virulente couronne d’épines pour que l’on goute désormais à la vie dans sa plénitude et qu’on ne se contente plus de passer le temps ?
« Je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaitre », disait l’autre… Voilà que l’on dispose enfin de ce temps. Un long temps. Un temps qui dure. Qui s’étend. Un temps rempli de petits bonheurs à cueillir comme au paradis terrestre. Un temps qui fait drôlement penser à ce que pourrait bien être pour chacun de nous l’éternité.