Un texte de Léa Robitaille
Un samedi ensoleillé, je reviens de la synagogue Beth Israel de Québec avec le pain brioché qu’on a béni après la lecture de prières. C’est moi, la jeune femme sans confession, à qui on a offert la hallah, tranchée et salée pour nous.
Tu viens d’où?
C’est la première question qu’on m’a posée. Malgré des traits faciaux de Polonaise, un look figé dans le siècle dernier et une dent pour les baguels, je ne suis assurément pas juive.
En effet, qu’est-ce que je fais là, le jour du Shabbat?
« C’est Paul qui m’a invitée. »
Paul Estrin c’est mon pote juif. Arrivé au Québec d’Alberta il y a plus de 10 ans, il donne des cours à la synagogue. Ouverts au grand public, quiconque peut s’inscrire sans nécessairement se convertir. Ce jour-là, c’est Paul qui fait l’office avec son charmant français cassé et son hébreu impeccable.
Il avait raison cet autre homme de me demander d’où je viens. En lisant le livre de Pierre Anctil, Histoire des Juifs du Québec, je constate qu’ils viennent souvent de « quelque part ». Chacun endure dans son arbre généalogique un tracé complexe. Tantôt de la Russie, de l’Angleterre, de France. Des parcours migratoires colorés, millénaires, et parfois douloureux.
Ce « tu viens d’où? » est le réflexe de quelqu’un qui s’intéresse à l’histoire de l’autre. Malheureusement pour ce curieux-là, le récit de mes aïeux se limite aux quatre saisons de L’Ancienne-Lorette, à mon aubergiste d’ancêtre, à mon vendeur de petits gâteaux de grand-père. Je n’y connais rien à la discrimination religieuse, à l’antisémitisme et encore moins à la macabre idée de devoir vivre sa foi en secret.
La fête
Le samedi c’est shabbat. En hébreux, shabbat veut dire « s’assoir », se reposer consciemment de son travail quotidien. C’est que la loi de la Torah impose en ce jour-là de prendre distance d’avec le travail, et d’avec toutes ses « pièces jointes ».
Certaines actions, la melakha, ne sont pas permises comme allumer un four, finir une œuvre, prendre la voiture ou transporter quelque chose hors de sa maison, autre que ses vêtements. Les plus sérieux ne touchent à aucun appareil électrique (chauffage, interrupteur…) Ils vont laisser certains appareils fonctionner dès le vendredi soir pour ne pas avoir à les toucher le lendemain. Rusé, non ?
Et Il S’abstint au septième jour de toute sa melakha qu’Il avait faite.
Gn 2, 2-3
Bref, le septième jour, le Créateur chôme et regarde toute la melakha qu’il vient de faire en laissant la lumière des étoiles briller doucement, sans toucher l’interrupteur. C’est ça le shabbat. On touche à rien, on regarde la Terre tourner. Humble créature, tu n’es pas créateur en ce jour. Tu ne coupes pas le bois, tu le brules encore moins et tu observes l’arbre pousser avec les tiens, en remerciant le Seigneur.
Le shabbat se veut ainsi le jour où le corps et l’âme retrouvent leur authentique harmonie.
Paul me dit que peu de juifs suivent à la lettre la loi écrite. Un juif n’est pas moins juif s’il ouvre son cellulaire ou s’il utilise son automobile un samedi, mais la profondeur de la communion réside fondamentalement dans l’aspiration vers un idéal.
Parce qu’au-delà de l’exhaustive liste de lois régissant ce jour sacré, prendre conscience de son rôle sur Terre et se distancier un moment de sa corvée quotidienne constitue le véritable esprit de cette célébration hebdomadaire.
S’entrainer à fêter
L’homme laissé à lui-même entretient pauvrement la théologie du shabbat. Un rythme de vie rapide, sans lieu d’intériorisation, mène à une culture incessante de productivité. Un lien constant se tisse solidement avec ce qui existe à l’extérieur de lui (ou dans son internet).
Puis il leur dit : le sabbat a été fait pour l’homme, et non l’homme pour le sabbat.
Mc 2, 27-28
L’homme laissé à lui-même consomme sans s’arrêter et produit sans cesse. Puis, quand il est épuisé, il se divertit en se défoulant, se fatiguant ainsi encore plus. Croyant décompresser, il s’empresse davantage. C’est sous-entendre que l’homme n’a pas appris à se reposer honorablement, humblement.
Le sabbat s’impose à l’homme pressé, à qui l’on doit enseigner la distanciation de son travail quotidien.
Il peut arriver que l’homme, même en habits de fête, devienne incapable de faire une fête, parce qu’il reste enfermé dans un horizon si réduit qu’il ne peut plus voir le ciel.
Jean-Paul II, Dies Domini, publiée le 31 mai 1998
Non mes amis, c’est pas parce que les vedettes boivent à la télé le dimanche soir que le contemporain sait comment fêter.
Contrairement à ce qu’on s’imagine, la plupart des humains n’ont pas l’habitude des rituels. Enlevez la boisson et les jeux, le concept de party est soudainement bien creux. Curieusement, les fêtes traditionnelles rendant grâce au Créateur s’engouffrent aussi. Je pense à Noël où des individus sont parfois incapables de fêter gracieusement. Ceux-là se réveillent le lendemain midi, enjambant un gros bordel, le vide existentiel qui pue de la gueule.
Alors qu’en buvant avec la gratitude au cœur, l’âme se réchauffe au lieu de se bruler et le corps a sitôt moins soif…
Shabbat Shalom !
On peut consulter le site de la synagogue, pour voir le calendrier des activités proposées.