Le fait que l’économie s’écroule actuellement parce que les gens n’achètent que des biens et services jugés essentiels est très révélateur de l’aberration qui guide nos sociétés modernes.
Le modèle de croissance économique se base sur la prétention d’une consommation continue qui se doit d’être toujours plus grande. Pour se faire, il faut gonfler artificiellement la consommation.
Tout le système repose sur le désir du consommateur, on l’excite au moyen de manipulations psychologiques jouant sur l’idée du bonheur inhérente à tout être humain.
En résumé : « puisque les gens désirent tous être heureux, vendons-leur du bonheur. »
Vous me direz que j’y vais fort avec le terme manipulation. Mais comment qualifier autrement des campagnes publicitaires massives, autant privées que gouvernementales, qui depuis des décennies vous promettent d’être plus heureux lorsque vous possèderez le produit ou le service qu’elles vous proposent ?
La question est de savoir si, collectivement, une fois la crise sanitaire passée, nous retournerons à l’ancien modèle ou si la simplicité continuera de s’imposer. Est-ce que notre penchant vers la consommation outrancière reviendra au galop ou est-ce que la crise aura fait réfléchir ?
Combien de publicités nous montrent des gens heureux, bière et hamburger à la main ? Combien de ces publicités vous promettent le bonheur au volant de votre nouvelle voiture ou en faisant le lavage avec vos nouveaux électroménagers ?
Un nouveau minimalisme?
La situation actuelle force beaucoup de gens à se concentrer uniquement sur l’essentiel, à éliminer de force le superflu.
Deux facteurs entrent en jeu ici. Il va de soi — et c’est la partie la plus visible de l’iceberg — que, présentement, certains des services ne sont plus offerts par décret sanitaire. On pense par exemple à l’accès aux restaurants, aux cinémas, aux évènements sportifs et culturels.
Dans d’autres cas, c’est l’impératif économique qui s’impose de force. Si vous avez perdu votre emploi à la suite de la crise, il est peu probable que vous consacrerez un montant d’argent substantiel à des achats non essentiels.
N’en déplaise à l’Elvis Gratton en vous, vous allez faire l’épicerie avant de changer votre télévision qui fonctionne encore très bien pour une plus grosse qui aurait servi à épater la parenté.
Si vous n’avez pas perdu votre emploi, il est tout aussi probable que vous reportiez cette dépense en raison de l’incertitude économique qui nous guette tous.
Bref, une forme de simplicité involontaire de masse s’installe de force dans bien des foyers. La question est de savoir si, collectivement, une fois la crise sanitaire passée, nous retournerons à l’ancien modèle ou si la simplicité continuera de s’imposer. Est-ce que notre penchant vers la consommation outrancière reviendra au galop ou est-ce que la crise aura fait réfléchir ?
Parce qu’au fond, on le sait tous déjà : le « bonheur » qui suit l’acquisition d’un nouveau cossin ne dure toujours que quelques instants. Le temps qu’un nouveau désir surgisse à grand coup de publicité et qu’on le « comble » avec un nouveau truc à la mode. Et la roue tourne inlassablement.
Révision de l’économie, révision de notre bonheur
La question est plutôt de savoir si nos comportements individuels vont changer. Autrement dit, est-il possible d’entrevoir un modèle économique se basant sur autre chose que la consommation incessante de biens qui de toute évidence ne nous apportent souvent que bien peu de ce fameux bonheur promis par des réclames mensongères ?
Plus largement, se pourrait-il que la simplicité involontaire actuelle ait comme effet collatéral d’amener une masse critique de gens à réfléchir, qu’elle éveille des consciences ?
Après un mois et demi de confinement, est-il possible qu’une fois bien blasés des divertissements abrutissants, après avoir regardé notre cinquantième série sur Netflix, nous nous mettions à réfléchir sur la définition de notre propre bonheur ?
D’ailleurs n’est-il pas meilleur temps pour faire de l’introspection et retrouver une vie intérieure ? Se pourrait-il qu’en ces temps de distanciation sociale on réalise que nos possessions sont pour la plupart un luxe ? Qu’elles ne sont bien souvent que divertissement et, au mieux, une forme de confort matériel ?
Cette quête de bonheur dans un confort matériel est en fait complètement dénuée de sens profond parce qu’elle ne fera jamais plus que combler une succession de désirs momentanés. Et ça, les chantres de la société de consommation l’ont bien compris.
Les désirs de l’esprit humain sont sans limites. En fait, on ne nous vend pas du bonheur, mais de l’espoir d’être heureux, espoir qui sera immanquablement déçu à chaque fois.
L’attrape-nigaud dans lequel on est tous déjà tombés est pourtant fort simple : chercher son bonheur à l’extérieur de soi-même, c’est tenter de remplir l’océan en y lançant des grains de sable.