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J’ai échoué à rater ma vie

L’an passé, je vous confiais avoir pris la résolution de rater ma vie. Mais à l’heure des bilans, je suis bien obligé de constater que j’ai échoué complètement. Malgré tous mes efforts, ma vie est un franc succès !

Tout me réussit : ma vie personnelle et professionnelle, intellectuelle et spirituelle, émotionnelle et… vous savez quoi. 😉

Vraiment, même si j’excelle dans l’art de me plaindre, je n’arrive plus à convaincre personne que je fais pitié.

J’ai tout essayé : l’anxiété, l’épuisement, la dépression, la solitude, rien à faire.

Même quand j’ai l’impression que ça va mal aller, il suffit que j’ouvre les yeux pour voir des arcs-en-ciel partout.

Le monde entier a beau arrêter de tourner, ma vie, elle, continue sur sa lancée. 

Mes relations sociales ne se sont pas appauvries, mais au contraire enrichies pendant le confinement du printemps. Je n’ai pas réussi à perdre mon emploi, pas plus qu’à être forcé au télétravail. Je n’ai même pas été capable d’attraper le virus ! Je pensais au moins perdre à la bourse, mais non, elle s’est rétablie plus vite que notre système de santé. Et je ne vous parle pas de mon été : le plus beau depuis des années.

Quand je prends le temps d’analyser les péripéties de ma vie, je découvre comment rien ne parait laissé au pur hasard, comment tout semble au mieux arrangé pour me séduire et me faire réussir.

Si au moins mes amis allaient mal, je pourrais m’apitoyer sur leur sort. Mais non, eux aussi vivent dans une bulle rose. Même en une année de pandémie, tout leur sourit : des amours, des mariages, des bébés, des maisons. Je commence à me demander si tout ça vient de la Providence d’État ou de Dieu, probablement un peu des deux.

Secrets amours

Bref, la réussite me colle à la peau. Je ne peux rien n’y faire. On dirait que quelqu’un me veut du bien en secret, exactement comme si je vivais dans un Truman Show.

Quand je prends le temps d’analyser les péripéties de ma vie en pensant à cet amoureux inconnu, je découvre comment rien ne parait laissé au pur hasard, comment tout semble au mieux arrangé pour me séduire et me faire réussir.

Je commence à croire cette maxime d’une lettre antique aux Romains qui dit que « toutes choses concourent au bien de ceux qui aiment ». Et plus encore de ceux dont l’objet (ou le sujet) de leur amour est Dieu.

Toutes choses… Oui vraiment toutes. Même les pandémies et les confinements. Même les appendicites et les faillites. Même les naissances imprévues et les décès impromptus.

Si l’amour rend aveugle, c’est aux malheurs hypothétiques, car les amoureux semblent avoir des yeux certains de leur fin romantique.

Voilà pourquoi en 2021, je prends pour première résolution, non pas de rater ou de réussir ma vie, mais d’aimer coute que coute.

Rater, échouer ou réussir

En 2020, j’ai aussi compris que mes projets ne se réalisent jamais. En tout cas, jamais comme prévu. Je voulais rater ma vie et voilà qu’elle est un triomphe. Pourquoi perdrais-je alors mon temps à planifier de la réussir ?

Alors, en 2021, ma deuxième résolution, c’est de ne plus faire de projets. Advienne que pourra, de toute façon c’est toujours ça qui est ça. (Merci à André « Sauvé » pour cette révélation !)

Rater, échouer ou réussir ma vie semble hors de mon contrôle.

Rater vient de l’expression prendre un rat, soit ne pas partir, en parlant d’une arme à feu. Rater c’est donc une sorte de faux départ. C’est rester chez soi.

Échouer (du latin cautes : écueil) c’est toucher le fond et ne plus pouvoir naviguer. Échouer c’est donc frapper un rocher et cesser d’avancer.

Rater ou échouer sa vie : dans les deux cas, on ne bouge pas, on fait du sur-place.

Et c’est peut-être pour ça que je n’y arrive pas. Non pas parce que je ne tiens pas en place, mais parce que la vie nous déplace tout le temps.

Tu fais des projets et elle les défait. Tu vises en haut et elle te ramène en bas. Tu veux te poser et elle t’oblige à décoller. Pas moyen de la contrôler, on dirait qu’elle se plait à nous résister. Et quand tu frappes un rocher, tu réalises que c’est lui qui t’a sauvé.

Quant à réussir, c’est sortir. C’est à tout le moins l’origine du mot en italien (ri-uscita), qui fait penser à une issue de secours. Sortir ou s’en sortir, en tout cas, une vie réussie ne se décide pas avant la fin.

Qui perd gagne

La vie ce n’est pas un jeu d’échecs, où nos coups seuls décident de la victoire ou défaite. En tout cas, pas selon nos critères et encore moins selon nos manières. Quand on pense perdre, on est souvent en train de gagner.

C’est ce que mon père m’a enseigné quand il jouait avec moi, tout petit, à qui perd gagne. Croyez-moi, le gamin que j’étais a tout essayé et il n’y a pas moyen de perdre (ni de gagner) à ce jeu-là. Peu importe ce qu’on fait ou pas, ça finit toujours pareil.

À voir (ou plutôt ne pas voir) où les choses s’en vont en 2021, j’ai l’impression qu’on risque tous d’être des grands gagnants.

Car si « les derniers seront premiers, et les premiers seront derniers », c’est bien qu’une vie réussie n’est pas tant une affaire de position que de disposition.


Simon Lessard

Simon aime engager le dialogue avec les chercheurs de sens. Diplômé en philosophie et théologie, il puise dans les trésors de la culture occidentale, combinant neuf et ancien pour interpréter les signes des temps. Il est responsable des partenariats au Verbe médias.