Entre le 20 et le 29 mai dernier, Le Verbe a discuté avec trois députés de Montréal, épicentre canadien de la pandémie, dont un ministre fédéral. Ils nous ont partagé leurs peurs et leurs réflexions. Trois histoires, trois instantanés d’un drame planétaire qui n’en est pas à son dernier acte.
Une communauté tissée serrée
Isabelle Melançon, du Parti libéral du Québec, est députée de Verdun. La pandémie n’a pas seulement touché son travail à l’Assemblée nationale.
« Depuis le début de la pandémie, j’ai une nouvelle amie. Elle s’appelle insomnie. La nuit, mon cerveau continue à travailler. Malheureusement, je me lève la nuit et je vais sur les réseaux sociaux et là je m’aperçois que je ne suis pas la seule. Oui, la vie va reprendre son cours. Mais comment ? Et quand ? »
« Il y avait beaucoup d’inquiétudes. Comme personne, comme femme, je ressentais la peur du vide, l’angoisse. Derrière chaque statistique, il y a des familles endeuillées, des personnes décédées sans avoir serré la main d’un proche. »
Isabelle Melançon, profondément touchée par les conséquences de la pandémie, voit défiler jour après jour les noms de ceux qui sont décédés dans sa circonscription qu’elle représente depuis 2016.
« Verdun est en zone chaude. Nous avons beaucoup de cas de COVID. Il y a eu beaucoup de décès malheureusement. Le fait que nous soyons une communauté tissée serrée, cela m’émeut encore davantage. Lorsque je regarde la liste des personnes qui sont décédées, je remarque que ce sont des gens que j’ai côtoyés, que je connaissais. Cela est difficile ! Nous allons devoir vivre un deuil collectif. »
Dès le début de la pandémie au Québec, un citoyen de Verdun a contracté le virus. « C’était en février », se rappelle la députée.
« Il y avait beaucoup d’inquiétudes. Comme personne, comme femme, je ressentais la peur du vide, l’angoisse. Derrière chaque statistique, il y a des familles endeuillées, des personnes décédées sans avoir serré la main d’un proche. Ce sont des histoires à vous arracher le cœur ! »
Impuissance et action
Isabelle Melançon est habitée par un sentiment d’impuissance. « J’aimerais bien vous dire que je suis une grande chercheuse et que j’ai trouvé le vaccin. Malheureusement, ce n’est pas le cas ! »
Les consignes sanitaires émises par la santé publique l’ébranlent.
« Les gens qui me connaissent savent que je suis une fille de terrain. Je suis une bécoteuse. Je suis une femme qui donne la main, qui regarde les gens. Je les serre dans mes bras. Je trouve cela difficile d’être loin de mon monde. »
Malgré la tempête intérieure qui déferle en elle, Isabelle Melançon sent très vite le besoin urgent de s’impliquer. Depuis le début de la pandémie, elle a réalisé au moins 1500 appels téléphoniques.
« Mon équipe fait de même. Je prends des nouvelles. Je veux savoir comment ça va. Je suis en contact avec notre CIUSS qui est en charge de l’hôpital Douglas, de l’hôpital de Verdun, du CLSC… »
Elle a également aidé les banques alimentaires. « J’ai allongé le chéquier ! Je voulais m’assurer que les gens aient à manger ! »
Lors de notre entretien, Isabelle Melançon me parle avec chaleur des groupes communautaires de sa circonscription. Elle ne tarit pas d’éloges en pensant à eux. Elle cite en exemple l’organisme Casa C.A.F.I. (Centre d’aide aux familles immigrantes), la Saint-Vincent-de-Paul et Toujours ensemble. Ce dernier a nourri des centaines d’élèves privés des repas qu’ils recevaient à l’école.
« Leur travail fait tellement de différences ! »
Debout face à la tempête, la députée me parle également de résilience.
« Nous avons traversé d’autres crises. Je sais que nous sommes capables de traverser celle-ci. Je suis une battante d’abord et avant tout ! Si je peux donner un peu d’énergie aux gens qui sont désespérés, je le fais. Je tente d’être celle qui allume le réverbère chaque jour. »
« Derrière le ministre, il y a le député et derrière le député il y a l’homme »
Pablo Rodriguez, leadeur du gouvernement à la Chambre des communes (Parti libéral du Canada), est au cœur de la crise. Député d’Honoré-Mercier, sa vie à Montréal est changée à cause la COVID.
« Derrière le ministre, il y a le député et derrière le député il y a l’homme. C’est certain que toute cette situation vient me chercher, car j’habite Montréal, l’épicentre de la pandémie. Je vois la situation difficile qui existe dans les CHSLD. Je constate le nombre de décès, je vois la solitude et souvent le désarroi chez nos ainés. »
En tant que membre du cabinet, il reçoit des informations détaillées et très préoccupantes sur l’avancée de la pandémie.
« D’abord, nous pensons davantage à nos proches qu’à nous même. Je pensais à mes deux parents qui sont encore en vie. Les deux vont bientôt avoir 84 ans. »
Le défi
Comme ministre, Pablo Rodriguez se questionne sur la manière de se rendre utile à la population canadienne.
« Je travaille, avec des collègues, à l’élaboration de politiques qui vont répondre aux besoins manifestés entre autres par les ainés et par les entreprises. »
Son expérience au sein d’organisations non gouvernementales internationales lui est très utile dans les circonstances.
« J’ai souvent été confronté à des situations difficiles dans des pays en voie de développement. J’ai vu l’impact d’épidémies dans des pays où les ressources étaient limitées. »
Cependant, le ministre est inquiet : « La COVID-19 n’est pas facile à cerner. Le virus n’est pas nécessairement facile à combattre et est très contagieux. Donc, malgré le fait que nous possédons beaucoup plus de ressources que les pays dans lesquels j’ai travaillé, nous avons un énorme défi à relever. »
Son inquiétude ne l’empêche pas d’affronter la crise.
« Je suis entré en politique pour changer le monde, comme lorsque je travaillais pour le Club 2/3 ou pour d’autres associations. On va là pour changer le monde, pour changer la vie des gens au quotidien. Ce qui me conforte dans tout cela, c’est l’impression de pouvoir contribuer, ne serait-ce qu’un petit peu, à tout ce que le gouvernement réalise pour aider les personnes les plus vulnérables. »
Sur le terrain, lui et son équipe sur place répondent aux multiples appels de citoyens. Ils répondent à leurs questions sur les programmes d’aide, les rassurent.
Un moment particulier de notre histoire
Malgré ses journées « qui commencent très tôt et qui finissent très tard », le ministre contacte quotidiennement les organismes communautaires de sa circonscription.
« Beaucoup travaillent au soutien alimentaire. Vous savez, on l’oublie souvent, car nous faisons partie d’un des pays les plus riches au monde, mais il y a quand même beaucoup de pauvreté, d’enfants qui vont à l’école sans avoir mangé le matin. »
« C’est un des rares moments dans notre histoire où nos comportements auront un impact aussi important sur l’ensemble de la société. »
Malgré tout, le ministre garde espoir.
« L’espoir réside dans les petites choses. L’espoir est dans le soleil qui est là, dans sa chaleur sur notre peau. C’est lorsque nous avons la chance d’avoir quelqu’un que l’on aime près de nous. C’est l’affection que nous nous transmettons. C’est cette pensée positive qui nous dit que l’être humain est passé à travers beaucoup de défis depuis le début de notre histoire. Je pense que l’on va passer au travers. »
Toutefois, le ministre émet lui-même un bémol à son optimisme : « Cependant, cela va beaucoup dépendre de nous. C’est un des rares moments dans notre histoire où nos comportements auront un impact aussi important sur l’ensemble de la société. Si nous sommes disciplinés, nous allons nous en sortir plus vite et plus facilement. »
Crainte et mission
Députée d’une circonscription à risque (Bourassa-Sauvé), Paule Robitaille a vu la tempête arriver :
« Moi, j’ai trouvé cela affolant. Je savais que mes gens étaient vulnérables pour toutes sortes de raisons. Il y a des travailleurs de la santé qui résident dans la circonscription. Il y a aussi des zones qui sont très densément peuplées et défavorisées. Ce sont là les ingrédients qui ont favorisé la tempête parfaite. »
Située à Montréal-Nord, la circonscription Bourassa-Sauvé est très contrastée.
Même si elle avoue être habitée par la crainte, elle décide de poursuivre sa mission.
« Le rôle de député c’est de représenter son monde. Je me vois comme leur portevoix. Je suis un peu la mère poule du comté ! Je veux les protéger. Le combat est toujours dur. J’essaie de les défendre du mieux que je peux », me confie celle pour qui la compassion est une valeur importante.
Ancienne correspondante de guerre, c’est donc tout naturellement qu’elle décide dès le début de la pandémie d’aller sur le terrain.
« Je mets mon masque. Je pratique la distanciation physique. Je ne pouvais pas ne pas aller sur le terrain et aller voir ce qui s’y passe parce que c’est mon monde. »
Durant les premiers instants de la pandémie, Montréal-Nord était relativement épargnée. Elle en profite pour aller à la rencontre des personnes âgées.
Lorsque la pandémie atteint sa circonscription, Paule Robitaille monte au front afin d’alerter les autorités sanitaires. Dès le 16 avril, la députée convoque la presse et sonne l’alarme.
« On continuait de voir [le nombre de cas] s’emballer. Je m’affolais. J’en ai parlé à mes anciens collègues journalistes. Durant la semaine du 27 avril, l’abcès a crevé. Santé publique a décidé de venir faire du dépistage. »
Communauté et famille, véritables appuis dans la crise
Son expérience de journaliste dans des zones de guerre lui sert beaucoup durant cette crise.
« Lorsque je suis sur le terrain en ce moment, il m’arrive d’avoir des flashs de situations dans lesquelles je me suis retrouvée quand j’étais correspondante de guerre. Tout ce que j’ai vécu par le passé, on dirait que cela m’accompagne. Cela forme un peu ma façon de travailler comme députée. »
Paule Robitaille me parle du rôle des groupes communautaires.
« Ils sont fondamentaux ! Moi, je suis collée à eux. Je n’ai pas toujours le temps d’être sur le terrain. Eux, ils y sont tout le temps. Ils font un travail fantastique ! Ce sont eux qui sont le lien entre le politique et ce qui se passe sur le terrain. Il nous faut les écouter. »
Mère de deux enfants âgés de 21 et de 22 ans, elle s’appuie sur sa famille pour poursuivre la lutte.
« Mes enfants sont des adultes qui prennent cela très au sérieux. Ils me font beaucoup de bien. Mon mari est un news junkie. Il s’occupe de m’informer sur ce qui se passe ailleurs. La cellule familiale est importante, assurément ! »