La gloire du Liban lui est donnée, la splendeur du Carmel et du Sarone.
On verra la gloire du Seigneur, la splendeur de notre Dieu.
– Isaïe 35, 2
Ces dernières années, la situation politique et économique du Liban s’est terriblement dégradée. À cette crise s’est ajouté le coronavirus. Même si des appels au confinement ont été lancés par les révolutionnaires, les manifestations continuent. Compte rendu de la situation au Liban, qui n’est pas sans rappeler celle de l’Amérique et le mécontentement dû à l’assassinat de George Floyd.
Je suis débarqué pour la première fois au Liban il y a un peu plus de 6 ans. Je me rappelle encore vivement le trajet de l’aéroport au séminaire, le lourd trafic aidant à faire le plein d’images : la route de l’Imam Khomeini flanquée d’immenses affiches arborant des personnalités chiites et les étendards du Amal et du Hezbollah qui flottaient au vent, les voitures et scooteurs surchargés qui zigzaguaient de part et d’autre, le pullulement levantin dans toute sa splendeur.
Un « chaos fonctionnel » qui avait de quoi étonner le provincial de Québec que je suis.
J’ai quitté le Liban en octobre, une énième fois dès lors, pour partir en mission. C’était sept jours seulement avant le début des festivités révolutionnaires qui ont marqué le pays pendant de longs mois.
Je suis retourné quelques jours en janvier durant ce qui semblait être une accalmie… C’était en fait le calme avant la tempête. Le coup de grâce est arrivé par la suite : la COVID-19.
Comme dit un proverbe égyptien : « Après moi, le déluge ! »
Le réveil d’une nation, la misère qui unit
Il y a de ces coins du globe qui semblent constamment subir les soubresauts de l’histoire. Le Liban pourrait être en chef de file, mais aussi bien l’ile de Chypre où je me trouve en ce moment, ainsi que la Sicile, la Pologne, Haïti, le Congo, le Japon, pour ne nommer que ceux-là.
La décadence libanaise — on ne parle plus de crise, car la crise a une durée restreinte — s’échelonne sur des décennies. Le paroxysme se faisait déjà attendre depuis un certain temps. Je me rappelle que l’an dernier, on entendait souvent parler de rumeurs de soulèvement. En février de la même année, un père de famille s’immolait devant l’école de sa fille. Acculé au pied du mur, il ne pouvait payer les frais de scolarité de ses enfants. Croulant sous la pression et la misère, il s’est infligé le supplice du feu comme ultime contestation…
Les révolutionnaires ont compris que pour gagner une fois pour toutes la sympathie des Libanais, il fallait faire ce qu’un véritable politique ferait : prôner par l’exemple.
Sombre tableau qui dépeint la réalité de milliers de Libanais qui subissent le joug d’un système néoféodal confessionnaliste, où les grands seigneurs ont fait leurs armes durant la guerre civile (1975-1990) au terme de laquelle ils se sont recyclés en « associations » qui avaient toutes l’air de partis politiques – sans la transparence qui devraient venir avec.
Depuis, le pays est morcelé en factions de différentes confessions et allégeances. Chrétiens maronites, melkites et orthodoxes, ainsi que musulmans et sunnites, druzes, se campent en différents « partis ». Les alliances se font et se défont, souvent sur la base des alliés étrangers et de leur politique régionale.
Le géant endormi
Si l’équilibre social se maintenait tant bien que mal — et ce malgré une vacance présidentielle de près de 3 ans de 2014 à 2016, une crise des ordures, les sempiternels problèmes liés à l’eau et à l’électricité et une inflation fulgurante —, l’annonce d’une petite taxe de rien du tout (sur l’application de télécommunication WhatsApp) est venue tout faire basculer en automne dernier. Le désir du gouvernement d’imposer une fois de plus la population déjà au bord de la crise de nerfs est venu jeter le feu aux poudres.
Le géant endormi se réveillait. Ce qui aurait pu ne pas arriver grâce au large dos de la population libanaise arriva. Le ras de bol était quasiment généralisé.
À force de se ronger le frein, on en vient à bout et on peut dès lors dire tout haut ce qu’on mijotait tout bas. Même en refoulant les tares et les maux subis par respect pour le zaïm (leadeur politique libanais), la soupe du mécontentement cuisait déjà à feu aigre-doux depuis longtemps. Le temps était venu de la servir bien bouillante.
À partir du 17 octobre au soir, et ce pour 13 jours consécutifs, une marée humaine déferlait sur les rues et places publiques du Liban, bloquant les grandes artères routières à travers tout le pays. Toutes les strates de la société y étaient conviées, du garagiste au professeur d’uni – qui d’ailleurs en ont profité pour mettre leurs connaissances à la portée de tous en improvisant des séances de cours en plein air que l’on écoutait religieusement.
Les gens veulent savoir, jeunes comme moins jeunes, de toutes confessions confondues ; ils sont là pour demander des comptes, pour exprimer enfin leur désarroi et leurs espérances.
On ne demandait rien de moins que la dissolution du gouvernement et l’élection de dirigeants et ministres technocrates non partisans.
Et Dieu dans tout ça ?
La révolution sera laïque ou ne sera pas. La religion étant sans cesse un point névralgique de discorde entre les Libanais, on fait donc taire à tout prix n’importe quel discours à teneur religieuse. On misait sur la présence de DJs et sur des chants patriotiques pour combler les temps morts et animer les nuits par des rythmes endiablés, pour être sûr que toute prière qui s’élevait ne soit entendue que de Dieu seul.
La révolution s’est poursuivie, bien que la mobilisation sociale en continu ne pouvait être viable à moyen ou long terme.
Et puis, le coronavirus a fait son entrée sur la scène internationale, s’ingérant lui aussi dans la politicosphère libanaise.
Les premiers à réagir furent les révolutionnaires. Ils ont compris que pour gagner une fois pour toutes la sympathie des Libanais, il fallait faire ce qu’un véritable politique ferait : prôner par l’exemple. Ils se sont investis dans la gestion de crise, dans l’appel au confinement et à la responsabilité citoyenne, dans les mesures sociales. Ce qui ne les a pas empêchés de manifester et de descendre dans les rues de temps en temps.
Double croix
Pour l’heure, les Libanais souffrent une double peine, une crise économique et sociale sans précédent ainsi que les déveines de la COVID-19. C’est l’hécatombe. On dit que le pays est techniquement en faillite, que la famine menace plus d’un million de Libanais, le quart de la population. On parle de plus de 163 000 familles vivant sous le seuil de pauvreté.
L’épidémie fera déferler l’ultime révolution, celle de la faim. Ce qui saura sans doute éveiller les consciences les plus assoupies et les plus conditionnées.
Ce qui est certain, c’est que le Liban souffre, qu’il porte sa croix. Tout porte à croire que Dieu l’a délaissé. Ce peuple qui fut si religieux semble avoir rangé sa foi au placard.
Et pourtant.
Comme il apparait que Dieu parle au cœur de l’humanité à travers ce fléau, il semble lancer un criant appel à la conversion des Libanais. Ce ne sont pas les sacrifices et le culte qu’Il désire, mais que le pécheur se repente et qu’il vive. D’ailleurs, comme dit le prophète Isaïe :
Le Liban ne pourrait suffire au feu, ni ses animaux, suffire à l’holocauste. (Is 40, 16)
Comme on purifie l’or par le feu, le Seigneur purifie le cœur de l’homme pour qu’il le connaisse, l’aime et le serve.
Bahebak ya Lebnan !
Ce qui souvent est une source de scandale pour nous en cette vie est justement ce que Dieu utilise pour nous faire participer à la vie éternelle et gouter son véritable amour.
Scandale et folie de la croix, sagesse et puissance de Dieu.
En espérant que le feu de l’Esprit Saint enflamme les cœurs des Libanais qui ont faim et soif de justice. Que le réel sacrifice ne soit pas le bois de ses forêts ni les carrosseries de ses voitures, mais les âmes des pauvres et des déshérités pour qui Dieu s’est lui-même fait nourriture et boisson.
Jésus crucifié, Jésus assis à la droite du Père, envoie son Esprit Saint sur le monde et regarde le pays des Cèdres et lui chante : Liban, je t’aime ! (Bahebak ya Lebnan!)