À l’église Saint-Thomas-d’Aquin à Québec, de jolies pousses herbacées fraient leur chemin dans les fissures du parvis. La vie y est plus forte que le béton qui s’érode. Pendant qu’on parle de gestion de la décroissance, des clochers à sauver ou du départ des communautés religieuses, la paroisse Saint-Thomas-d’Aquin annonce prophétiquement l’évangile de la croissance à une assemblée fournie, tous les dimanches. Récit d’une paroisse québécoise qui prend en main sa reconstruction.
Le 24 mai dernier, un frénétique roulement de tambours secoue les tables du Bistro du curé, au sous-sol de l’église Saint-Thomas.
On s’apprête à annoncer le montant amassé depuis environ 2 ans durant la campagne silencieuse Rebâtir, menée par le Fonds des jeunes, un fonds innovateur administré par des jeunes et pour les jeunes.
Le fonds servira à restaurer les jeunes spirituellement plutôt que de rénover des bâtiments.
Derrière les 6 chiffres en carton affichant le montant, 6 jeunes pour le dévoiler, montrant par là que le fonds servira à restaurer les jeunes spirituellement plutôt que de rénover des bâtiments. D’ailleurs, les entend-on à tour de rôle exprimer haut et fort l’apport de la paroisse dans leur reconstruction personnelle: « À Saint-Thomas, j’y ai rencontré un mari. » « La paroisse, c’est ma deuxième famille ». « J’y ai découvert un Dieu amour et des amis dans la foi. » « J’y ai retrouvé la joie de vivre. »
Sous les applaudissements chaleureux, on annonce que 425 756$ ont été amassés et que l’objectif est d’en obtenir 750 000$. Mais bien concrètement, avec un tel montant, quels sont les plans de cette reconstruction d’envergure humaine et spirituelle? Pour y répondre, il faut comprendre toute l’originalité et le contexte d’éclosion de la paroisse Saint-Thomas-d’Aquin telle qu’elle est actuellement.
Poser la pierre d’angle
La paroisse a été confiée à la Communauté de l’Emmanuel il y a 10 ans avec une mission précise: interpeler la jeunesse. Situé au carrefour de trois cégeps et de l’Université Laval, le lieu ne pouvait pas être mieux choisi.
Fort de son expérience en France dans la pastorale jeunesse, le père Martin Lagacé, prêtre à la paroisse Saint-Thomas, en ressort avec une leçon: « [En France,] j’avais transformé la pastorale en une boite d’organisation d’évènements, mais je ne voyais personne arriver à la messe le dimanche. » Ce sera sa première initiative pastorale à son retour au Québec: placer la dimension surnaturelle au premier plan, par une liturgie soignée et une beauté en musique, en mettant sur pied une messe des jeunes.
Son instauration est modeste; il n’y a qu’une trentaine de personnes dans le cœur de l’église. Puis rapidement, une inflation se produit. « La messe des jeunes, nous dit le père Alexandre Julien, vicaire à Saint-Thomas, c’est le cœur battant qui envoie toute l’énergie vers les périphéries. » L’irrigation spirituelle aura donc porté ses fruits puisqu’ils sont maintenant 300 à y participer chaque dimanche.
Jusqu’aux périphéries
En plus de la beauté liturgique, ce qui rejoint les jeunes à Saint-Thomas, c’est l’unité et l’esprit de famille d’une communauté. Et le père Martin pense que si la paroisse est vivante, ce n’est pas attribuable à des « superprêtres » qui dynamisent l’assemblée de croyants.
Le charisme de la communauté de l’Emmanuel repose sur la complémentarité entre les prêtres et les laïcs. Les jeunes découvrent à Saint-Thomas un milieu où s’impliquer et faire éclore leurs talents, ce qui a tout pour répondre à leur soif de sens et d’amitié. Pour preuve, à la dernière fête des bénévoles, on comptait 160 personnes présentes.
La paroisse est un milieu porteur où les jeunes s’aident, s’éclairent et créent des amitiés qui encouragent à la sainteté.
« Il y a une quête profonde du sens de la vie. On le sent plus, car notre monde nous propose beaucoup de choses qui ne donnent pas nécessairement un sens, perçoit le curé de la paroisse, Brice Petitjean. On a besoin de fraternité aussi. Les réseaux sociaux isolent et ne permettent pas de véritables amitiés. Quand on est jeunes, on est à un âge où on discerne ce qu’on veut faire de sa vie. La paroisse est un milieu porteur où les jeunes s’aident, s’éclairent et créent des amitiés qui encouragent à la sainteté. Les activités proposées ici visent donc à créer du lien. »
À Saint-Thomas, il y a bien mille-et-une façons de créer du lien et ce sont ces initiatives que le Fonds des jeunes cherche à encourager. Joël, bénévole, avoue que ce qui l’a attiré à la paroisse et l’y a fait rester, c’est d’abord le terrain de volleyball. « Je ne connais pas beaucoup de presbytères qui ont dans leur cour arrière un terrain de volleyball ! » dit-il en riant.
Mais ce n’est pas tout.
On y trouve des jeunes qui se regroupent pour jouer au hockey, au soccer, pour faire du jogging, des courses de canot à glace avec une participation annuelle au Carnaval de Québec, des pèlerinages historiques et spirituels à pied ou en canot, des camps « bible et raquettes », un bistro pour échanger autour d’une bière après la messe, des missions de coopération, de l’évangélisation dans les écoles, des soirées de danse et de louange, etc. Bref, tout sauf des activités ennuyantes pour les jeunes.
« Va, rebâtis ma maison qui est en ruines »
Suivant l’appel de Saint François qui, après avoir entendu ces paroles, a compris que son cœur était à reconstruire en premier, le Fonds des jeunesne vise pas à poser les bases d’un échafaudage matériel. La paroisse Saint-Thomas ne se situe donc pas dans la perspective d’une « pastorale de la conservation »,mais de l’innovation.
70% du fonds servira à financer les pierres vivantes, les jeunes, selon cinq axes pastoraux: la mission, la prière, la formation, la fraternité et le service. L’autre 30% sera investi dans les pierres matérielles, à savoir la modernisation des installations et l’aménagement des locaux, dans la mesure où ils répondent aux besoins de la nouvelle génération[1].
Que devient alors le rôle de l’Assemblée de Fabrique qui assurait les dépenses auparavant ?
« Les bâtiments coutent cher à entretenir et souvent, on n’a pas les fonds nécessaires pour faire de quoi de plus créatif, explique le père Brice. L’innovant rejoint davantage les jeunes générations. »
Qui plus est, l’Assemblée de fabrique n’a plus l’énergie pour assumer tous les couts. « Les ainés nous ont beaucoup aidés, mais ils avancent en âge, nous confie le père Alexandre. Il y un trou générationnel à combler. Les babyboumeurs ne sont pas très présents. Il n’y a plus personne pour porter la charge. Les jeunes ont beaucoup d’idées, mais n’ont pas l’argent. Ça prend donc un soutien intermédiaire, le temps que de jeunes étudiants et professionnels puissent s’engager. »
Si le Fonds des jeunes travaille en synergie avec la Fabrique, il préserve malgré tout une réelle autonomie dans le choix des attributions des fonds. Quant à elle, la Fabrique continuera à financer le fonctionnement ordinaire de la paroisse.
* * *
On pourrait craindre que l’argent soit investi dans un phénomène local ou penser qu’il ne soit pas nécessaire d’investir. Or, qui dit jeunesse, dit passage et avenir. Si Saint-Thomas procure un lieu d’enracinement aux jeunes, ceux qui fondent une famille ou qui trouvent un travail ne restent pas toujours. D’ailleurs, trouve-t-on d’anciens paroissiens un peu partout en France ou au Canada, s’impliquer dans leur nouveau milieu[2] paroissial et rayonner dans toutes les sphères de la société.
Le Fonds des jeunes a donc une large portée ; il participe à la reconstruction de l’église diocésaine et quelque part, de l’Église universelle.
À Saint-Thomas, les pousses du parvis ne craignent pas l’érosion; elles deviennent des arbres magnifiques.
Et les arbres font les forêts luxuriantes, et les forêts, des poumons pour l’Église.
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Pour infos ou pour faire un don:
https://saintthomasdaquin.qc.ca/fonds-des-jeunes/
Notes :
[1]Le Bistro du curé en est un bon exemple, tout comme une nouvelle sonorisation pour des soirées animées ou un éclairage permanent pour le terrain de volley-ball.
[2] Un Bistro du curé a vu le jour à Rennes après le passage d’un jeune à la paroisse Saint-Thomas qui s’en est inspiré.