On apprenait récemment que la nouvelle ministre de la Justice entend réformer le droit de la famille. Notamment, il sera question de créer des obligations alimentaires entre les conjoints de fait avec enfants. Cette mesure est lourde de conséquences pour les familles du Québec. Elle est également révélatrice d’un dilemme plus profond au sujet des engagements familiaux. Notre collaborateur Sylvain Aubé, avocat, analyse la question.
Il faut savoir que le Québec est la seule province du Canada qui ne prévoit aucune pension alimentaire entre ex-conjoints de fait. La CBC a résumé cette situation en affirmant que le Québec est la seule province à ne pas reconnaitre les mariages de facto. On considère ainsi que les enfants créent un engagement familial qui, dans les faits, correspond à un mariage et que la loi devrait reconnaitre cet engagement.
C’est pourquoi les opposants de cette mesure dénoncent une sorte de mariage obligatoire puisque des conjoints de fait, qui ont choisi de ne pas se marier, se retrouvent liés par une obligation légale autrefois réservée aux couples mariés.
Avantages et inconvénients
Pourquoi les autres provinces ont-elles toutes adopté un tel semi-mariage, et pourquoi le Québec songe-t-il maintenant à le faire? Pour protéger les conjoints vulnérables. Généralement, il s’agit de femmes ayant amputé leur carrière au bénéfice de la famille.
J’ai offert des consultations à des femmes se trouvant dans cette situation. Une femme me dit qu’elle a cohabité avec son conjoint de fait durant 30 ans et qu’elle a quitté le marché du travail pour élever leurs quatre enfants. Monsieur lui a finalement montré la porte lorsqu’il a décidé de poursuivre sa vie avec une nouvelle conjointe plus jeune. Monsieur est le seul propriétaire de la maison et des fonds de retraite et il génère tous les revenus de la famille.
Madame se retrouve à la rue, sans un sou et sans expérience de travail. Qui ne voit pas l’injustice subie par cette femme?
Madame se retrouve à la rue, sans un sou et sans expérience de travail. Je lui annonce qu’elle n’a droit à aucune pension alimentaire, et que les recours alternatifs sont aussi couteux et qu’incertains. Madame se résigne à son sort. Qui ne voit pas l’injustice subie par cette femme?
Si la pension alimentaire est une mesure qui corrige cette injustice, pourquoi a-t-elle des opposants? Parce que certains conjoints abusent de ces protections et les invoquent au-delà de l’esprit de la loi. On connait tous une histoire d’homme qui s’est fait «plumer» de façon éhontée par son ex-épouse suite à leur divorce. Le bouclier qui protège les conjoints vulnérables peut devenir l’épée qui arme les conjoints sans scrupules.
Aussi, il est question de la liberté.
On dira qu’il faut respecter le choix de ceux qui décident de ne pas se marier, et que les conjoints devraient éviter de se placer dans une situation de vulnérabilité, notamment en sacrifiant la carrière pour la famille, sans s’être d’abord protégé par le biais du mariage ou d’un contrat de vie commune. Sinon, on oblige les gens à adhérer à un semi-mariage légal afin de les protéger de leurs propres choix.
C’est la direction que le gouvernement du Québec semble vouloir adopter.
Le mariage et la famille
Depuis la Révolution tranquille, les Québécois délaissent le mariage. La génération de mes parents a vu tant de mariages malheureux ; ma génération a vu tant de divorces déchirants. Les Québécois se sont distanciés du catholicisme auquel le mariage est associé. On peut multiplier les explications, mais un constat est sans équivoque : le mariage a cessé d’être la norme des familles.
On peut donc s’étonner que, en 2018, le gouvernement du Québec se mobilise pour normaliser à nouveau une partie des obligations du mariage. Après avoir assisté à l’effritement progressif de cette institution au cours des dernières décennies, ce revirement de tendance révèle un dilemme – voire même un certain paradoxe – dans notre rapport au mariage.