«tout inclus»

La purée de pois(se)

Suite du texte Mon maudit voyage de noces.

On trouve très peu de campings dans les environs de Monument Valley, situé sur le territoire Navajo, en Utah. Tout, ici, semble fait pour les VR. C’est pourquoi ce terrain de la ville de Mexican Hat me semblait être une bonne option. Sur Google map, il était délimité par une zone de couleur verte. J’imaginais une oasis au milieu du désert.

Arrivés à destination, nous sommes déçus de constater qu’il s’agit d’un piètre endroit où passer la nuit. Le terrain de camping est en fait un stationnement. La vue donne sur une rangée de pickups. Le lavabo de la salle de bain est bouché. Le plancher, parsemé de mouches mortes. Nous en avons vu d’autres et nous installons quand même en mode similicampeur. Comme tous les soirs, il pleut. Alors, nous vidons ce qu’il reste de vin, c’est-à-dire pas grand-chose. Quand le soleil réapparait, un homme surgit. Il scrute la pierre et nous interpelle:

– Look, a mountain goat!

Après dix minutes d’observation scrupuleuse, j’abdique. Aucune chèvre à l’horizon. J’en suis très déçue. J’aurais tant aimé voir une chèvre.

– Do you have some beer ?

Il n’y a jamais eu de chèvre. C’était une pickup line destinée à créer du lien. Et à se procurer de l’alcool gratuit. Comme nous n’en avons plus, notre nouvel ami nous quitte.

Le contraste entre la beauté du lieu et son hostilité me trouble. Le désert, ce n’est pas qu’une métaphore. Après seulement deux jours, nous en avons assez et décidons de quitter le désert pour les montagnes Rocheuses.

*

Nous pressentons vaguement qu’il y a un risque à emprunter cette route boueuse aux coudées franches. Mais. Nous voulons atteindre les plus hauts sommets et persévérons. Après avoir dépassé un village fantôme, nous atteignons rapidement les Alta Lake. Une purée de pois bloque le paysage. Nous nous stationnons tant bien que mal sur les rives du lac.

J’aperçois une rivière arc-en-ciel qui tire sa source depuis notre voiture. Tout porte à croire que notre réservoir à huile est éventré. Cette fois-ci, aucune dépanneuse ne viendra jusqu’à nous. Tout juste après nous être installés, nous devons rebrousser chemin pour tenter de rejoindre un village, finalement, qui n’existe que sur papier.

Par chance, nous arrivons dans une petite ville sans charme. Un désert clairsemé de motels et de fast foods. Ça me fait penser au boulevard Hamel. Nous prenons une chambre et téléphonons au AAA, le pendant américain du CAA. J’ai une impression de déjà-vu.

Je regarde la pluie qui tombe. La regarde encore. Longuement.

Je pleure un peu en voyant notre van être chargée sur une dépanneuse. J’aurais préféré conclure ce voyage par une autre scène. On apprend qu’il faudra attendre quelques jours qu’on nous livre une nouvelle pièce.

Je regarde la pluie. Lui aussi. Nous nous regardons, découragés.

Ne se sauve pas du désert qui veut.

– No. We can’t wait. It’s time to go home now. Patche nous ça comme tu peux, on s’en r’tourne chez nous.

C’est ainsi que nous avons parcouru 3 000 kilomètres, du Colorado au Québec, avec un réservoir doublé à l’époxy.

Avec un peu d’aide, même les épaves peuvent s’en sortir.

Valérie Laflamme-Caron

Valérie Laflamme-Caron est formée en anthropologie et en théologie. Elle anime présentement la pastorale dans une école secondaire de la région de Québec. Elle aime traiter des enjeux qui traversent le Québec contemporain avec un langage qui mobilise l’apport des sciences sociales à sa posture croyante.