Photo: Pascal Huot (Fotolia)
Photo: Pascal Huot (Fotolia)

Le socle vaseux du cours d’ÉCR

Un texte de Jean Laberge*

Récemment, des auteurs, partisans du laïcisme pur et dur, qui ne souscrivent pas à la propagation de la religion dans nos écoles, ont attaqué le cours ECR dans La face cachée du cours ECR (Leméac).

Par ailleurs, la décision de la Cour suprême d’exempter une institution privée d’enseignement catholique (le collège Loyola) du cours ECR, a remis le débat sur la table. Antoine Robitaille a parlé d’une « reconfessionalisation », et Mathieu-Bock Côté réaffirme son mantra voulant qu’ECR soit le véhicule de l’infâme multiculturalisme.

À mon avis, ce n’est pas tant le pluralisme prôné par Leroux, ni le multiculturalisme qu’il induit et que condamne Mathieu-Bock Côté, qui pose problème dans ECR. C’est sa base épistémologique. Ce qui est en jeu, et ce qui est erroné, ce sont les concepts de connaissance et de croyance sur lesquels roule ECR.

Ce qui pose problème, c’est la base épistémologique du cours.

Dans une société libérale comme la nôtre, tous sont en faveur de l’ouverture aux autres, de la différence, de la tolérance, du dialogue pour un vivre-ensemble harmonieux et paisible, et autres flonflons du même genre. Qui veut la fermeture, le refus de l’autre et de la différence ? Personne.

Dans le meilleur des mondes, tous sont pour la vertu.

En ce sens, disent les concepteurs du programme, principalement Georges Leroux, dans un essai paru ce printemps, Différence et Liberté (Boréal), nous devrions tous souscrire au pluralisme moral et religieux du cours d’Éthique et de culture religieuse (ECR). Implanté dans nos écoles depuis septembre 2008, ce cours n’a de cesse de susciter la controverse.

L’origine du problème

Rappelons d’abord que ECR provient du Rapport Proulx sur la place de la religion à l’école. Ledit Rapport posait que l’école doit respecter les droits de la personne, notamment l’égalité fondamentale des citoyens et citoyennes devant la liberté de conscience et de religion.

La conclusion du Rapport coule alors de source : l’État doit s’abstenir de prendre position en faveur ou en défaveur de l’une ou l’autre des religions ; il ne doit pas favoriser l’enseignement d’une quelconque confession religieuse. En d’autres termes, un cours d’enseignement religieux doit simplement transmettre des connaissances de nature culturelle sur les diverses grandes religions.

Le Rapport Proulx représente l’enseignement religieux catholique comme un enseignement doctrinaire au sens où les connaissances qui y étaient véhiculées ne sont que des croyances.

ECR est ainsi fignolé pour n’enseigner soi-disant que des connaissances, pas des croyances. ECR présuppose par conséquent qu’il existe une nette distinction entre, d’une part, une connaissance, et d’autre part, une croyance.

Depuis Platon, la connaissance est définie comme étant une croyance vraie justifiée. En matière de religion, la connaissance comme « vérités révélées », du moins en christianisme, pose de redoutables problèmes si l’on adopte la définition platonicienne de la connaissance, reprise par Descartes (lequel exerça, comme on sait, une influence déterminante sur les philosophes du siècle des Lumières).

En effet, devant le succès fulgurant des sciences expérimentales, la connaissance comme croyance vraie justifiée devient un dogme: aucune croyance autre que celle qui est de nature matérielle et naturelle n’est légitime.

En somme, ce qui est « vrai », donc connaissable, ne peut être surnaturel ou immatériel. Les « vérités de la foi » se trouvèrent dès lors disqualifiées au titre de « connaissances ». Elles devinrent de simples croyances, telle celle de la croyance en une théière qui orbiterait autour de la terre (l’exemple est de Bertrand Russell, ce Voltaire britannique).

Les chrétiens reçurent alors l’étiquette de « croyant » – tout comme d’ailleurs les adeptes de l’islam, du judaïsme, qui croient ou entretiennent des vérités surnaturelles et immatérielles. Pourtant, les chrétiens eux-mêmes ne se désignèrent jamais comme des « croyants », mais plutôt comme des témoins ou des fidèles de Jésus.

La foi n’est pas une simple croyance

À l’époque, les juifs croyaient en Dieu (Yahvé). Ce n’était pas là le problème pour Jésus. Le problème, c’est que bon nombre de juifs à l’époque, particulièrement les pharisiens, ne faisaient pas confiance en Dieu en se rabattant sur un conformisme rigoureux à la loi juive remontant à Moïse. Jésus n’enseignait pas la « croyance » voulant que Dieu existe, mais la foi en Dieu.

Croire que Dieu existe et croire en Dieu, ce sont deux types d’attitudes radicalement distinctes. Jésus enseigne que Dieu est amour, et qu’en conséquence, il vaut mieux aimer que de simplement croire. Saint Paul résuma tout cela en soutenant que sans l’amour, je n’ai rien. J’aurais beau en particulier avoir toutes les connaissances, si je n’ai pas l’amour, je ne suis rien (1 Corinthiens 13).

La foi, avec l’espérance et l’amour devinrent ainsi les trois grandes vertus théologales dans l’enseignement de l’Église catholique. Or, depuis les Lumières, on s’est fait fort de ratatiner la foi à une simple croyance, telle celle d’une théière en orbite au tour de la terre (Russell), dont on a vite compris qu’elle était parfaitement ridicule, et dont on voit mal qu’une telle aberration soit enseignée dans les écoles à titre de « connaissance ».

Dans ces conditions, on en vient à penser que les chrétiens sont, après tout, des crétins.

La foi religieuse n’est pas une connaissance, mais une vertu.

Or, il est clair que la foi religieuse n’est pas une connaissance, mais une vertu (théologale). La foi est ainsi reliée à une épistémologie de la vertu. Les concepteurs de ECR passent ainsi complètement à côté de la plaque au plan épistémologique.

Dans le sillage des Lumières, un mathématicien britannique du XIXe siècle, William Clifford, forgea l’expression « éthique de la croyance » (ethics of belief), en vue de mettre au pilori en particulier la religion chrétienne : « Il est mauvais toujours, partout pour quiconque, de croire quelque chose, sur la base d’une évidence insuffisante », écrit Clifford.

Lorsque les partisans du Canadien croyaient par les années passées que leur club allait gagner la coupe Stanley, non seulement ils se gouraient, si l’on suit l’éthique de la croyance selon Clifford, mais ils étaient moralement coupables d’entretenir ce type de croyance non fondée.

La vertu n’est pas « évidente »

Voilà, en gros, l’épistémologie « évidentialiste » (de l’anglais evidence, preuve) qui a cours aujourd’hui et qui se trouve être au cœur de l’épistémologie sous-jacente à ECR. ECR ne veut inculquer aucune croyance de nature immatérielle et surnaturelle aux jeunes parce qu’il est éthiquement mauvais ou préjudiciable de le faire, du moins selon l’épistémologie évidentialiste triomphante remontant à Clifford.

À mon sens, les catholiques comme moi ont parfaitement raison de décrier ce sapin qu’on tente de leur passer au travers de la gorge. ECR ne comprend rien au plan épistémologie à la religion chrétienne et, à fortiori, aux religions.

Comment peut-on prétendre connaitre quoi que ce soit lorsqu’au départ on pose un principe éthique de la croyance qui assimile la foi chrétienne à n’être qu’une simple croyance ridicule indémontrable ?

ECR n’est, au fond, qu’un attrape-nigaud épistémologique.

Une autre épistémologie est possible et parfaitement légitime pour la foi chrétienne, c’est l’épistémologie des vertus**.

Notes :

* L’auteur est professeur de philosophie au cégep du Vieux-Montréal.

** Je renvoie sur ce point le lecteur à l’essai lumineux de Roger Pouivet, Épistémologie des croyances religieuses (Cerf, 2013).

Collaboration spéciale

Il arrive parfois que nous ayons la grâce d'obtenir un texte d'un auteur qui ne collabore habituellement pas à notre magazine ou à notre site Internet. Il faut donc en profiter, pendant que ça passe!