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Photo : Tingey Injury Law Firm / Unsplash

Dieu punit-il l’injuste ?

Devant la fortune de certains grands profiteurs, ou l’apparent bonheur de gens de mal, nous sommes parfois tentés de croire que Dieu ne punit pas l’injuste. Il faut toutefois aller plus loin, et voir que la punition se trouve souvent dans la faute, et que Dieu sait aussi ajouter des corrections qui suscitent le repentir.

À la suite de mon dernier article sur la punition divine, j’ai eu la chance de recevoir, publiquement et en message privé, quelques réflexions intéressantes. 

De fait, pareil thème ne laisse pas indifférent. Et plusieurs questions s’en dégagent. On m’a suggéré notamment — en paraphrasant — que le péché contient en lui-même sa propre punition. Dieu, dès lors, n’a pas besoin de punir « de l’extérieur ». L’injuste se châtie lui-même.

La loi du péché

La remarque est intéressante et fort juste, en un sens. Quand Thomas d’Aquin s’interroge sur la raison pour laquelle saint Paul a jugé bon de parler « d’une loi du péché », il remarque que c’est parce que le péché participe d’une certaine façon à la justice divine, à la loi divine

Pécher, au fond, c’est se détourner […] de la vie proprement humaine. C’est se rendre bestial. Cela comporte nécessairement une souffrance, une perte de dignité.

Pas en ce que l’homme suive les préceptes de Dieu en péchant évidemment ! Mais parce que Dieu a créé l’homme d’une façon telle que le péché contienne sa propre punition, comme la vertu d’ailleurs contient sa propre récompense. 

Car pécher, au fond, c’est se détourner de la vie raisonnable, de la vie proprement humaine. C’est se rendre bestial. Cela comporte nécessairement une souffrance, une perte de dignité. 

La peine comme prise de conscience

La vie du roi David illustre bien la souffrance inhérente au péché, que ce soit à travers les livres historiques ou les psaumes. 

Ce verset par exemple : « Oui, mes péchés me submergent, leur poids trop pesant m’écrase. » (Ps, 37, 5)

Nos péchés nous écrasent, nous submergent, en ce qu’ils nous privent du vrai bien : l’harmonie avec Dieu, les autres et soi-même. Ils nous privent même de certains biens terrestres, comme le péché de gourmandise, par exemple, prive de la santé et de la bonne forme. 

La bonne nouvelle, c’est qu’en prenant conscience de sa souffrance, le pécheur se donne aussi l’occasion de prendre conscience de sa faute. Et, éventuellement, c’est l’occasion également de changer de voie, de demander pardon et de recevoir la miséricorde de Dieu. L’homme retrouve alors les biens qu’il avait perdus en péchant.

Dieu fait-il briller le soleil aussi sur les méchants ?

Certains croient cependant que Dieu attribue le même sort aux bons comme aux méchants. Il fait briller le soleil sur l’un comme sur l’autre, dit-on.

Pire ! Parfois, les hommes bons connaissent la pauvreté, la souffrance, la mort, etc., alors que les hommes injustes prospèrent. 

Là encore, c’est ne pas voir la peine intrinsèque du péché. C’est ne pas voir que Dieu conduit l’homme bon, en le privant de certains biens terrestres, à une plus grande vertu, alors qu’il laisse choir le méchant dans des biens inférieurs, qui, à long terme, causeront sa propre perte.

La hiérarchie des biens

Tout de même, comme le note saint Thomas, un problème demeure : tous les hommes ne souffrent pas également de la perte des meilleurs biens (Somme contre les gentils, III, c. 141). Certains sont si enfoncés dans le mal que, pour eux, perdre Dieu, la vérité ou la charité n’a aucune importance. Comment changeront-ils de voie alors ?

C’est comme lorsqu’un enfant n’a pas étudié, alors qu’il le devait. En un sens, il s’est puni lui-même. Il s’est privé d’un grand bien : la connaissance, la vérité. Mais c’est rare qu’il en soit conscient et encore plus rare qu’il en souffre. La « punition intrinsèque », dans un tel cas, ne suffit pas. Il faut ajouter quelque chose d’extérieur, qui touchera davantage l’enfant. Le priver, par exemple, de sorties.

Là aussi l’expérience de David est éclairante. En couchant avec la femme d’Ourias et pire encore, en envoyant ce dernier à la mort, il s’est blessé lui-même. Il a rompu son lien de charité avec Dieu et les hommes.

Mais il a besoin du prophète Nathan pour prendre conscience de sa faute. Et Dieu juge même adéquat de faire mourir le fruit de son union avec Betshsabée, pour que son repentir soit complet.

De cette façon David a restauré sa relation avec Dieu. Et a été béni par un nouveau fils, Salomon.

La justice humaine

Au fond, on punit selon la même logique nos enfants : des fois, on se contente de la peine engendrée par la faute elle-même, des fois on en ajoute une autre.

Je me souviens d’une fois où mon enseignante d’espagnol a décidé de ne pas me punir après avoir découvert que j’avais faussement imité la signature de ma mère. Elle a eu pitié de mon repentir, de la souffrance que m’avait causée la faute elle-même.

Le plus souvent cependant, adolescente, je n’éprouvais aucun remords pour mes injustices. Et mes enseignants ont bien fait alors de m’envoyer en retenue et de me priver de mille-et-un privilèges !


Laurence Godin-Tremblay

Laurence termine présentement un doctorat en philosophie. Elle enseigne également au Grand Séminaire de l’Archidiocèse de Montréal. Elle est aussi une épouse et une mère.