Un texte d’Émilie Théorêt
Le Verbe vous propose une incursion en trois temps dans l’univers de l’écrivaine Rina Lasnier. Afin d’apprivoiser cette œuvre majeure de l’histoire littéraire québécoise, une première partie s’attache à la trajectoire de l’auteure, une deuxième permet d’apprivoiser son écriture à travers quelques textes, alors qu’une dernière offre une analyse de l’œuvre.
Rina Lasnier est née en 1910 à Saint-Grégoire d’Iberville. Elle grandit au sein d’une famille aisée et ouverte sur les arts. Marchand de profession, son père est aussi violoniste à ses heures. Pour sa part, la jeune Lasnier pratique le violon et le piano. Quant à sa mère, elle a une influence majeure dans l’éducation de sa fille et l’encouragera plus tard dans sa carrière d’écrivaine.
D’abord élève au Pensionnat de Saint-Jean, elle étudie ensuite au Palace Gate à Exeter en Angleterre. Cette formation outre-mer permet à la future écrivaine de parfaire son anglais. Son œuvre comprend d’ailleurs plusieurs poèmes écrits dans la langue de Shakespeare. De retour d’Angleterre, Lasnier poursuit ses études au Collège Marguerite-Bourgeoys.
Au début des années 1930, elle est inscrite en littérature française, puis en littérature anglaise, à l’Université de Montréal. Enfin, elle complète un diplôme en bibliothéconomie à la même université en 1940.
Rina Lasnier demeure célibataire toute sa vie. Elle vivra une grande partie de son existence sur les bords du Richelieu. Elle emménage toutefois à Joliette en 1955, puis revient s’installer dans sa région natale peu avant sa mort. Elle décède à Saint-Jean-sur-Richelieu en 1997.
Vie littéraire
Grande lectrice elle-même, Lasnier possède une vaste culture générale, tant en littérature qu’en philosophie. Bien que solitaire dans son travail d’écriture, elle participe activement à la vie intellectuelle de son temps. Elle est membre fondatrice de l’Académie canadienne-française, membre de la Société royale du Canada et siège un temps au Conseil des arts du Québec.
Lasnier embrasse la carrière littéraire comme on entre en religion.
L’auteure fréquente plusieurs acteurs de la vie littéraire de cette époque et entretient des correspondances avec d’autres écrivains tout au long de sa vie. Elle collabore également à plusieurs revues (Le Richelieu, Liaison, Carnets victoriens, Gants du ciel, Le Canada-français, Les Cahiers de la Nouvelle-France, L’Action nationale).
Lasnier embrasse la carrière littéraire comme on entre en religion. À la manière de ses contemporaines écrivaines Anne Hébert et Gabrielle Roy, elle s’y consacre entièrement.
Ces trois femmes marquent d’ailleurs un tournant dans l’histoire littéraire avec leur arrivée à l’écriture au tournant des années 1940. Comme certaines et très rares femmes de lettres canadiennes-françaises avant elles, leur manière d’appréhender l’écriture est de l’ordre de la vocation, mais désormais, l’art n’est soumis à aucune idéologie, ni à aucune forme d’utilité.
La venue à l’écriture
C’est d’abord la maladie qui conduit Lasnier à l’écriture.
Un alitement de deux ans la détourne de son projet d’études en médecine et l’amène à écrire son premier livre : Féerie indienne. Ce poème dramatique en trois actes sur l’Amérindienne convertie Kateri Tekakwitha sera publié en 1939.
Dès lors, Lasnier cherche les conseils d’un acteur influent du milieu littéraire. Elle soumet ainsi son texte à Victor Barbeau, un journaliste, critique et écrivain. D’un point de vue sociologique, ce parrainage constitue une assise solide à l’œuvre, le début d’un long et fructueux parcours littéraire.
Si l’auteure touche au théâtre, à l’hagiographie et à l’essai, elle s’emploie surtout à la poésie. De fait, la majeure partie de sa production est consacrée à ce genre et c’est certainement pour cette part de son œuvre écrite qu’on retient son nom.
Lasnier dans l’histoire littéraire
La place de Lasnier au sein de l’histoire littéraire québécoise est quelque peu contradictoire. D’une part, on la classe parmi les grands ainés, au côté d’Alain Grandbois, d’Anne Hébert et de De Saint-Denys Garneau. Cela constitue une place de choix et une grande reconnaissance. D’ailleurs, personne ne semble remettre en question cette position tant la qualité de son œuvre s’impose d’elle-même.
Dès ses débuts, l’œuvre jouit d’une réception critique immédiate et reçoit rapidement des signes de reconnaissance, tels qu’un premier prix David en 1943.
Dans les années 1970, l’œuvre est déjà célébrée : des numéros spéciaux de revues lui sont consacrés, de nombreux prix lui sont décernés et une édition complète de ses poèmes est publiée (chez Fides, collection du Nénuphar, en 1972). Tout cela contribue donc à la reconnaissance de l’œuvre de Lasnier et à sa pérennité.
Le plus grand obstacle à la lecture de l’œuvre aujourd’hui demeure sa profonde inspiration chrétienne.
D’autre part, l’œuvre est peu lue et, par le fait même, peu enseignée aujourd’hui. Certes, la grande érudition de cette écriture sophistiquée n’aide peut-être pas à la rendre facilement accessible. Toutefois, le plus grand obstacle à la lecture de l’œuvre aujourd’hui demeure certainement sa profonde inspiration chrétienne.
Il faut comprendre qu’à l’époque de la construction de la littérature québécoise et de la mise en place du récit historique, l’accent est mis sur les ruptures pointant vers la Révolution tranquille. En ce sens, le christianisme ostentatoire de l’œuvre en gêne plusieurs. L’universitaire Clément Moisan écrivait : « [on] accepte mal la présence de personnages bibliques, Rachel, Lia, […] Christ et Dieu qui nourrissent les recueils de […] Lasnier; du moins on ne saisit plus la force de ces archétypes pour la connaissance de soi et du monde »*.
Ce malaise perdure nécessairement, encore aujourd’hui, dans l’enseignement de ce récit qu’est l’histoire littéraire québécoise, mais probablement plus par tradition que par expérience personnelle.
En effet, avec les nouvelles générations, avec ceux qui n’ont pas connu le catholicisme qui fut si décrié au moment de cette Révolution tranquille et avec l’arrivée (depuis plusieurs années déjà) d’universitaires qui intègrent cette part du patrimoine québécois longtemps boudé, le temps est certainement venu de relire l’œuvre sans préjugés.
À plus forte raison, la poésie de Lasnier est peut-être désormais un vent de fraicheur aux yeux de ces nouveaux lecteurs pour qui le Dieu du christianisme n’a plus rien d’habituel.
Note :
* Moisan, Clément, « Rina Lasnier et Margaret Avison », dans Liberté,novembre-décembre 1976, p. 24.