Denys_Arcand
Photo: Jan Thijs/Films Séville

Arcand et Bergoglio: même combat

La dernière fois que je suis allé au cinéma, c’était pour voir Le pape François : un homme de parole. Juste avant le film, on présentait la bande-annonce du plus récent opus de Denys Arcand. Un collègue m’avait d’ailleurs signalé de manière dubitative que la bande-annonce de La chute de l’Empire américain précéderait le programme principal. Et moi j’avais rigolé un peu : «Bah quoi? Le pape François et Denys Arcand dénoncent tous les deux la même affaire après tout : l’hégémonie de l’argent!».

Je suis ressorti du documentaire de Wim Wenders avec un sentiment plutôt étrange. Alors que la première moitié du film m’a beaucoup remué, la deuxième moitié m’a laissé avec un profond malaise devant ce que je considère être une interprétation agnostique et édulcorée du rôle et du message du pape.

Le film d’Arcand, quant à lui, avait suscité mon intérêt dès le premier visionnement de la bande-annonce; j’étais surtout intrigué par sa mise en image de la circulation de l’argent, du brigand de rue aux magnats de l’évasion fiscale.

Finalement à l’écran depuis quelques jours, je m’y suis rendu avec l’idée que j’allais voir un Arcand cynique, fidèle à lui-même : une très bonne satire et un bon questionnement suscité sur la société, comme à l’habitude. Or, plus le film avançait et plus j’étais édifié, me laissant avec une finale bouleversante qui m’a presque ému aux larmes.

Le triomphe… de la charité

Le film était d’abord censé s’appeler Le triomphe de l’argent pour être finalement baptisé La chute de l’empire américain. À son récent passage à Médium large, le cinéaste explique qu’il aurait été réducteur de mettre tout l’accent sur l’argent :

« c’est vrai qu’il est question d’argent tout le long du film, mais ultimement, c’est là où débouche l’argent, ça débouche sur la charité, sur donner aux autres, sur les gens qui manquent d’argent, les itinérants. »

On pourrait dire que le film propose deux rapports à l’argent, deux modes de vie : l’un qui cherche l’argent pour lui-même et l’autre qui le met au service du prochain.

Mais qu’on ne se méprenne pas trop vite en voulant diviser entre les bons et les méchants, puisque Denys Arcand n’épargne personne dans ce miroir qui nous montre à tous notre avidité. Aucun personnage, qu’il soit un doctorant en philosophie ou un bandit du quartier Saint-Michel, n’échappe à la participation d’un système qui voue un culte à la richesse (et aux autres idoles qui en découlent).

Au bout du compte, le film montre bien qui sont les grandes victimes de ces rouages avaricieux: les pauvres, les itinérants, les marginaux, bref, les plus vulnérables.

Malgré les contradictions morales de certains protagonistes, on peut voir qu’ils succombent – à plusieurs reprises – à leurs élans de générosité et de vérité. Le personnage de l’escorte joué par Mariepier Morin, qui trouve l’amour et change de vie, n’est pas sans m’avoir fait penser à l’adultère repentie de l’Évangile (cf. Jean 8, 1-11) ! La possibilité d’une corruption plus profonde est toutefois évoquée et nous rappelle que la source de ce mal réside dans le cœur humain et non dans les structures en elles-mêmes (bien qu’on devine le réalisateur plutôt désillusionné à leur sujet).

Devant un tel panorama, je me plais à penser que le cinéaste québécois lit peut-être en cachette les textes ou les discours du pape François. Comment ne pas songer à sa dénonciation constante de l’idolâtrie de l’argent? À son appel à la responsabilisation de tous dans les problèmes environnementaux et socioéconomiques? Ou alors à ses admonestations à l’égard des chrétiens qui se pensent purs et parfaits?

Peut-être alors est-ce que Denys Arcand a aussi lu le récent document de l’Église sur le discernement éthique à propos du système économique et financier actuel?

Arcand, le catholique culturel

Chose certaine, le cinéaste semble saisir confusément que la source de toute cette charité à laquelle il aspire ne peut se réduire ni à une affaire de morale ni être contenue dans un simple programme de philanthropie, mais bien dans le Christ.

On se souvient de l’avoir vu, la dernière fois, parler de l’importance qu’il accorde à la figure de Jésus dans le documentaire québécois L’heureux naufrage. Lors de son passage à Tout le monde en parle, le 6 mai dernier, je n’ai donc pas été très étonné de l’entendre évoquer la « religion catholique » pour expliquer la genèse de son dernier film :

« Quand on parle des valeurs québécoises […] en fait, ça vient d’une seule chose. Les valeurs qu’on avait, c’était les valeurs de la religion catholique, qui nous définissaient nous en tant que québécois […], à partir du moment où c’est disparu, il ne reste plus grand-chose… et ce qui reste, c’est l’argent. »

À cet égard, plusieurs scènes mettent en évidence, et parfois de manière très subtile, des références patrimoniales et culturelles au catholicisme : on n’a qu’à penser aux nombreuses églises, dont toute une scène à l’Oratoire Saint-Joseph, au crucifix suspendu à la soupe populaire, au confessionnal utilisé comme lieu de rencontre secret. C’est comme si le réalisateur du Jésus de Montréal essayait de nous montrer, à la fois la source de «ces valeurs» et comment elles peuvent être perverties.

Jamais Arcand n’a dressé une conclusion aussi lumineuse sur un thème aussi chargé.

Je me tiens bien silencieux sur l’intrigue du film et sur la scène finale puisque je ne voudrais pas divulguer de surprise, mais jamais Arcand n’a dressé une conclusion aussi lumineuse sur un thème aussi chargé.

Parlant des paradis fiscaux, l’avocat joué par Pierre Curzi s’exclame : «malheureusement, il n’y a pas de paradis sur terre!» Et c’est faux, puisque j’ai littéralement touché à quelque chose du ciel à travers ce film, plus encore qu’avec celui de Wim Wenders!


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James Langlois

James Langlois est diplômé en sciences de l’éducation et a aussi étudié la philosophie et la théologie. Curieux et autodidacte, chroniqueur infatigable pour les balados du Verbe médias depuis son arrivée en 2016, il se consacre aussi de plus en plus aux grands reportages pour les pages de nos magazines.