Les littéraires l’attendaient avec impatience cette biographie d’Anne Hébert signée par Marie-Andrée Lamontagne. Nous profitons de la sortie récente de cet ouvrage pour revenir sur cette figure majeure de l’histoire culturelle du Québec.
Anne Hébert est certainement l’un des noms les plus connus de la littérature québécoise. Parmi nos grands aînés, elle figure auprès de Rina Lasnier, d’Alain Grandbois et de Saint-Denys Garneau.
De plus, comme Lasnier et Gabrielle Roy, Hébert change le rapport à l’écriture en embrassant la carrière littéraire comme on répond à un appel religieux.
Cependant, il s’agit désormais d’une vocation littéraire autonome où la littérature se suffit à elle-même.
Afin de situer l’écrivaine, rappelons qu’Anne Hébert est née en 1916 et décédée en 2000. Elle vit sa jeunesse dans la région de Québec, mais c’est à Paris qu’elle choisira de s’installer.
De fait, à l’âge de 38 ans, grâce à l’obtention d’une bourse, Anne Hébert s’envole pour la première fois vers la Ville lumière. Il nous semble qu’elle n’en reviendra jamais vraiment.
À partir de cette période, elle fera tout en son pouvoir pour y demeurer. Paris, c’est la liberté, c’est quitter enfin le cocon familial qui l’a trop longtemps surprotégée.
Paris, c’est aussi la possibilité d’écrire, de vivre pour écrire, pour reprendre le titre de l’ouvrage de Lamontage. Cela signifie bien des privations : logements misérables et périodes de disette.
De la vie amoureuse à l’indiscrétion… utile
La vie de pauvreté dans laquelle Anne Hébert a vécu une grande partie de sa vie, par désir d’écrire, est certainement l’une des choses que la biographie nous fait découvrir.
Par ailleurs, elle aborde aussi la question de sa vie amoureuse. Elle révèle sa liaison avec l’homme d’éditions Roger Mame. Elle en profite aussi pour lever le voile sur la rumeur voulant que l’écrivaine ait été lesbienne.
Certes, Hébert entretenait plusieurs amitiés féminines fidèles, mais sa supposée homosexualité (voire sa bisexualité) est vite balayée par la biographe.
Certains de ces détails privés et intimes amènent le lecteur à s’interroger sur la légitimité de dévoiler la vie cachée d’Anne Hébert.
L’écrivaine était très réservée de son vivant, souligne la biographe. Mais les scrupules sont vite disparus alors que la curiosité du chercheur prend le dessus.
On y trouve en effet une foule de renseignements significatifs : la mise en contexte de l’œuvre, la richesse des réseaux de sociabilité ici étayés et les conditions ayant mené à cette carrière littéraire hors normes.
Le visage humain d’Anne Hébert
Après quinze années de travail, Lamontagne a su brosser un tableau beaucoup plus complet de la vie de cette grande dame des lettres québécoises. Ses recherches apportent nombre de détails qui viennent enrichir la trajectoire de l’auteure et, surtout, lui donner visage humain.
Car au-delà de l’œuvre et des données factuelles sur une vie, il apparait ici que rien ne saurait mieux redonner ce visage humain de l’auteure décédée que la compilation de témoignages et de documents d’archives qui forme la trame de fond de la biographie.
Or, en fin de lecture, l’ouvrage de Lamontagne semble mettre au jour une Anne Hébert lumineuse.
Un tel portrait étonne, parce qu’il contraste avec l’œuvre si noire de l’écrivaine.
De fait, il s’agit là d’une œuvre sombre et violente (meurtres, viols, incestes, sorcelleries…). Lamontagne écrit que c’est par ses personnages que l’écrivaine abordait l’écriture, des personnages animés de passions dévorantes.
Elle cite d’ailleurs l’éditeur des Enfants du sabbat, Jean Cayrol :
(…) il y aura des lecteurs pour une telle œuvre empreinte du mal obscur car il y a aussi dans ce texte une sorte de triomphe du péché à la gloire de Satan.
Comment une femme lumineuse peut-elle écrire une œuvre si noire ? Lamontagne évoque la question, sans y répondre.
L’une des éditrices d’Hébert semble donner le début d’une réponse ou, du moins, s’attache à cette contradiction entre l’œuvre et la femme :
On sentait chez elle une grande violence, une blessure profonde et secrète l’habitant, et la canalisation de cette violence et de ce foisonnement dans ses romans, qui sont autant de cailloux semés sur sa route. (Françoise Blaise, citée p. 463-464.)
La biographie ne donne toutefois aucune piste de réponse satisfaisante quant à la provenance d’un tel tumulte.
La question qui importe toutefois, n’est pas tant d’où provient la racine de ce mal chez Anne Hébert, que ce qui stimule encore et toujours tant d’intérêt pour cette œuvre si troublante.
Si on lui a donné un rôle cathartique dans notre histoire socioculturelle, qu’apporte-t-elle (ou que dit-elle de) encore aujourd’hui au lecteur et à la société qui la valorise?
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Marie-Andrée Lamontagne, Anne Hébert, vivre pour écrire, Montréal, Boréal (Biographie), 2019, 558 pages.