Photo: Pixabay - CC
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Les nouveaux épigones de la gauche qui fauche

« Être la grande victime de l’Histoire ça ne veut pas dire qu’on est un ange. »

– Louis-Ferdinand Céline (Mea culpa).

Constatant dans un précédent article que nous évoluons aujourd’hui dans « un contexte de régression intellectuelle gravissime, caractérisé par la résurgence du sectarisme d’extrême-gauche », j’invitais nos lecteurs à méditer l’exemple de Simon Leys, cet universitaire spécialiste de l’art chinois qui, durant les années 1970-80, fut aux prises avec les harpies du maoïsme occidental.

L’exemple du regretté sinologue est d’autant plus utile à connaitre en effet qu’éclot sous nos yeux, et piaille comme une portée de petites pintades éperdues, une nouvelle couvée de fanatiques du monde meilleur (1), tristement imperméables aux leçons de l’Histoire du communisme (qui exhale une odeur de charnier), et précautionneusement préservés du réel par les murs de l’UKAM (l’Université KArl-Marx), notre incubateur à utopies favori.

On a pu, au cours de la polémique qui a suivi la prise de conscience médiatique du phénomène, lire une apologie de la violence politique – violence par chance encore embryonnaire – dans une furieuse philippique adressée par un militant du monde meilleur à un intellectuel de renom. Un intellectuel qui pourtant campe à l’extrême-gauche, fait profession d’anarchisme athée au moins depuis l’instant où Dieu lui a donné une âme, et cosigne de temps en temps des livres érudits pour hâter l’extinction de toute espérance surnaturelle.

Cette querelle intestine qui divise le ghetto contestataire oppose en réalité ceux qui, comme cet intello vieux jeu, croient encore aux vertus de la culture, du débat d’idées, à la quête passionnée du savoir et de la vérité, et ceux qui, quand ils entendent le mot culture, ont plutôt le réflexe de sortir leur révolver (2), ou, à défaut, tout objet contondant susceptible de ramollir le crâne des adversaires, dans la plus stricte tradition totalitaire, au motif que la culture livresque c’est bourgeois, conservateur, réactionnaire, etc.

La Garderie rouge

N’hésitant pas en effet à dénaturer l’Université pour en faire un champ de bataille politique et idéologique, l’auteur de ladite philippique explique doctement, un béret de résistant vissé sur la tête, que « la perturbation est une tactique pour diffuser un message aux élites » à l’effet qu’il « existe des gens qui résistent à leurs politiques et, [qu’]ici,  [c’est-à-dire à l’Université], nous ne les laisserons pas faire. »

Se muant en Carl Schmitt de la chienlit, le même explique avec force conviction et argumentation que la discussion est un vain combat : « Nous ne pourrons jamais convaincre par le dialogue ceux et celles qui profitent du système. Il faut reconnaitre ces gens pour ce qu’ils sont : des ennemis politiques (3). »

Après pareille confession, il est permis, me semble-t-il, de faire le constat suivant : le gout prononcé de cette phalange teigneuse pour le grabuge, le tapage, la bousculade et l’intimidation en fait bel et bien, en mode mineur (voire parodique) et à une échelle heureusement microscopique, l’héritière idéologique du maoïsme et de son incarnation historique la plus achevée, les Gardes rouges.

Les Gardes rouges, fanatisés par la propagande, ravagèrent leur pays avant de découvrir les joies du jardinage totalitaire.

Recrutés à partir de 1966 parmi la jeunesse endoctrinée de la République Populaire de Chine aux fins de déstabilisation du régime puis de reprise du pouvoir par un vieux despote en mal de massacres, les Gardes rouges, fanatisés par la propagande, ravagèrent leur pays et terrorisèrent la population pendant deux ou trois ans, avant de se faire expédier à la campagne pour découvrir les joies du jardinage totalitaire.

Fort heureusement, la risible propension de leurs épigones québécois à vouloir jouer à la Résistance, à la lutte des classes ou à la Révolution prolétarienne – en ne renversant rien d’autre que des poubelles – ne leur mérite pour le moment que le nom de Garderie rouge. Le point à retenir cependant est que la différence qui sépare notre Garderie des Gardes rouges est de degré et non de nature. Inquiétant.

En légitimant le recours à la violence dans le contexte de la vie universitaire, notre nouvelle cohorte d’insoumis marche candidement dans les pas de la gauche qui fauche, c’est-à-dire de cette longue théorie de truands qui, forte de sa dialectique imparable, a ensanglanté le siècle dernier, sous prétexte qu’une grande lueur s’était levée à l’Est. L’en informer, au risque d’être soi-même honni, vomi et agoni, relève de la plus élémentaire charité.

Méditation sur du déjà vu

Une radicalisation du mouvement qui ferait un jour aller jusqu’au bout de sa logique sauvage cette joyeuse ribambelle de rebelles barbus en chemise à carreaux; une « montée aux extrêmes » qui les entrainerait à faire couler autre chose que l’encre des plumitifs de mon genre n’est pas totalement à exclure, bien entendu. Mais c’est chose très peu probable en vérité. Il s’agit de prendre un peu de recul historique pour en convenir.

Depuis la fondation de l’UKAM, la logique implacable des comptes à payer, la soupape des vacances à Varadero et les joies indicibles du magasinage chez Ikea (4) sont parvenus à métamorphoser, qui en éditorialiste de la Presse, qui en politicien pensionné par Ottawa, qui en honorable recteur d’Université tous les Trotski, Che Guevara et Mao d’opérette qui, durant leur jeunesse hardie, ont donné le meilleur d’eux-mêmes aux fantasmagories soixante-huitardes.

C’est là une édifiante et salutaire leçon de l’Histoire et je l’offre bien humblement à la méditation de tous les insurgentes d’auditorium; à tous ceux qui rêvent d’ériger, dans les couloirs de leur alma mater, des barricades de baguels au saumon fumé et des barrages de tablettes Apple, pour lutter, d’une âpre lutte, contre l’inégalité dans le monde et pour repousser, le cas échéant, l’ignominieux bipède qui s’aventurerait vers eux, avec un livre de Simon Leys sous le bras, dans l’intention de débattre intelligemment.

Notes:

(1) L’histoire contemporaine enseigne qu’il est une façon de militer pour un monde meilleur qui débouche inexorablement sur le meilleur des mondes version Huxley: un monde de coercition totale, physique et mentale. Cette façon, c’est l’action violente au nom du peuple.

(2) Je fais évidemment ici allusion à la célèbre phrase de Baldur von Schirach (1907-1974), chef des Jeunesses hitlériennes, qui déclara, philosophe : « Quand j’entends le mot culture, je sors mon révolver ! » La phrase est rapportée entre autres dans le documentaire De Nuremberg à Nuremberg (1988).

(3) Par ses travaux, le théoricien Carl Schmitt (1888-1985) a donné toute son importance à la notion d’ennemi en philosophie politique.

(4) Je signale aux intéressés que le tapis de bain Fotvårtor, en vente cette semaine, est une véritable aubaine!

Alex La Salle

Alex La Salle a étudié en philosophie, en théologie et détient une maîtrise en études françaises. Il travaille en pastorale au diocèse de Montréal.