Un texte de Kevin Murray
Sept valeureux aventuriers — un ainé, un prêtre et cinq moussaillons vingtenaires — ont quitté Grande-Anse, à 50 km au sud de La Tuque, pour pagayer sur la Saint-Maurice jusqu’à Québec. Véritable contrepied à l’appel du divan et du sportif de salon qui sommeille en chacun de nous, voici le récit d’une audacieuse sortie de gars qui n’ont pas eu peur de voyager à l’intérieur d’eux-mêmes. Le Verbe présente ici quelques bribes de l’épopée.
Sept hommes, toutes générations confondues, du courage et peu d’expérience en canot. C’est un bon départ ! Première leçon : ne pas rester à l’ombre sans protection contre les moustiques. Nous commençons notre randonnée en offrant à Dieu cette incommodité.
Nous suivions le journal du missionnaire récollet Gabriel Sagard (1590-1640), qui a vécu au sein d’une communauté huronne entre 1623 et 1624. Notre histoire n’a pas débuté en 1960.
Le premier jour, après avoir découvert, par la douleur, des muscles dont nous ne soupçonnions pas l’existence, nous avons aussi découvert que nous avions trop descendu la Saint-Maurice par rapport au lieu que nous avions réservé pour la nuit. Après avoir ramé une heure à contrecourant, certains d’entre nous proposent de s’arrêter sur une ile et d’y établir un camp de fortune. La chose est vite décidée. Nous avons donc dormi sur la plage. C’est pourquoi nous avons trainé du sable dans nos bagages pour le reste du périple !
L’adoration eucharistique proposée chaque jour permettait de se laisser enraciner dans la Parole. Le père Martin nous encourageait à faire une lectio divina de la lettre aux Galates. « C’est pour que nous restions libres que le Christ nous a libérés ! » (Ga 5,1).
Le matin du deuxième jour, nous avons loué le Seigneur face à la rivière, entourés d’une nature magnifique, le soleil était au rendez-vous… De près, la louange était belle, même si nos voix étaient encore un peu chevrotantes. Ce dernier détail échappe cependant à d’autres kayakistes sur la rivière, qui, nous retrouvant plus tard, n’hésitent pas à nous donner le titre de « chorale de l’ile » en nous remerciant pour la beauté de la musique.
Combattre nos « démons intérieurs », notre lassitude de tenir la rame six heures par jour, nos manques de patience envers nos frères… Pour moi, grâce à la joie qui nous est promise, j’ai pu fixer mon regard sur le Christ, accueillir sa paix et l’émerveillement devant la splendeur de sa création. Au fond, combattre avec le Christ est seulement possible lorsque nous lui offrons nos faiblesses !
Notre premier grand portage a lieu lorsqu’il faut passer le barrage de Grand-Mère près de Shawinigan. Un kilomètre de marche, chargés de nos canots et bagages, après avoir pagayé déjà six heures — probablement le moment le plus intense de notre périple. Pour nous rafraichir, nous nous baignons avant de repartir. Ce portage a été plus long que prévu, et il nous en reste un autre à faire avant notre destination du soir.
En rencontrant nos limites physiques, nous avons gouté, comme l’affirment les Pères d’Orient, à l’énergie de l’eucharistie, à la puissance du Christ qui nous refait, corps et âme. J’ai alors pu dire « pour moi, que jamais je ne me glorifie, sinon dans la croix de notre Seigneur Jésus Christ » (Ga 6,14).
L’heure où le soleil se couche pointant son nez, nous décidons de nous arrêter sur une plage pour dormir. L’eau est calme, nous discutons de la culture amérindienne autour d’un feu de camp. Puis, encore une fois, la plage et le bruissement de l’eau nous aident à avoir une bonne nuit de sommeil.
Faire du canot avec des frères, c’est aussi se réjouir avec la Vierge qui partage la gloire de son Fils ! Avec mon partenaire de canot, nous avons prié le chapelet tous les jours, tout en portant au Seigneur nos intentions pour un renouveau missionnaire au Québec, pour que la foi de son peuple opère par une charité créative. Nous étions ainsi en pèlerinage, en chemin avec la Vierge et le Christ, nous étions tournés vers le Père.
Nous avons pris un lourd retard à cause des portages qui n’avaient pas été prévus aussi longs et difficiles. Aussi, la veille de la fête de l’Immaculée, nous nous trouvions encore à 40 kilomètres de Notre-Dame-du-Cap, avec deux autres grands portages à faire. Nous faisons donc jouer nos contacts, et un bon frère de la maison Sainte-Thérèse à Shawinigan, oncle de l’un de nos canotiers, vient à notre rescousse avec une énorme remorque. Tout y est entassé : hommes et bagages. La Providence prend parfois les traits d’une grosse voiture ! Nous sommes ainsi déposés aux pieds de Marie, au Cap-de-la-Madeleine… juste à temps pour les premières vêpres.
En découvrant l’histoire sainte des uns et des autres, nous avons lié des liens profonds d’amitié. Nous avons même prié les uns pour les autres en recevant la grâce de déployer les charismes que l’Esprit voulait bien accorder. « Voyez, qu’il est bon, qu’il est doux d’habiter en frères tous ensemble ! » (Ps 133,1).
Après l’aventure de la remorque du bon frère, nous étions un peu déçus de n’avoir pas tout fait en canot à la manière des Amérindiens de l’époque… Toutefois, il y a de cela 400 ans, la rivière n’était certainement pas ponctuée par tous ces énormes barrages : c’était là notre consolation ! La prochaine fois, peut-être choisirons-nous une rivière moins « moderne ».