Mgr Laurent Noël a 101 ans. Né en 1920 à Saint-Just-de-Bretenières, enseignant au Grand Séminaire de Québec, jeune évêque lors de sa participation au Concile Vatican II, puis titulaire de la cathèdre trifluvienne pendant 25 ans, il a le regard vif et les idées claires. Entretien avec le plus vieil évêque au monde.
Un homme aussi humble que discret. Il ne voudrait surtout pas être le centre de l’attention.
D’ailleurs, il aura fallu insister légèrement pour que Mgr Laurent Noël – vraisemblablement le plus vieil évêque au monde depuis l’annonce récente du décès d’un épiscope indien – accepte de nous accorder un précieux et rare entretien. Une rencontre passionnante où les quelques hésitations dans ses réponses étaient davantage le fruit d’une pensée sage et prudente que de l’usure du temps.
Mais il nous a fait promettre de ne pas trop parler de lui.
Nous parlerons donc de foi, d’espérance et de charité.
La foi de Joseph
Venu au monde un 19 mars, en la fête de saint Joseph, Laurent Noël grandit dans une « famille profondément chrétienne ».
C’était l’époque où les enfants avaient de la corne sur les genoux.
« Chez nous, quand j’avais 7-8 ans, je me rappelle encore, on récitait le chapelet en famille tous les soirs, après souper. Je suis vraiment reconnaissant pour ça. » Jugeons l’arbre à ses fruits. Trois gars et six filles, dont un évêque, trois religieuses et une apôtre laïque missionnaire au Brésil.
Et après le chapelet, les trois invocations à saint Joseph : « Je les ai oubliées un peu à travers le temps, mais c’est revenu, pis je trouve que ça a du bon sens.
Jésus, Marie, Joseph, je vous donne mon cœur, mon esprit et ma vie.
Jésus, Marie, Joseph, assistez-moi à ma dernière agonie.
« À la dernière agonie, on en a besoin, souligne-t-il d’une voix chancelante.
Jésus, Marie, Joseph, faites que je meure en paix en votre sainte compagnie.
« Maintenant, je le récite souvent. Parce que dans le fond, ça parle des moments importants de notre vie, ça. Ce sont des choses qu’on n’oublie pas. »
Y’a pas à dire, après un siècle à fouler les planches de ce bas-monde, Mgr Noël sait qu’il en a plus de fait qu’il ne lui en reste à faire. Il sait aussi, depuis la tendre enfance, que « les moments les plus importants de notre vie » sont souvent les derniers.
L’espérance d’Augustin
De la reconnaissance pour la foi reçue dans sa famille, l’évêque émérite de Trois-Rivières passe à la gratitude envers Dieu lui-même :
« Vois-tu, dans le bréviaire1, il y a tellement de choses dans ce sens-là. Samedi dernier, on pouvait y lire l’homélie de saint Augustin sur le psaume 148. Ce texte-là est vraiment extraordinaire. Même s’il n’avait écrit que ça, Augustin mériterait d’être qualifié de grand écrivain. Je l’ai relue trois fois. Il parle de la vie future qui consiste à louer Dieu. À louer Dieu et à dire alléluia ! Mais pour s’adapter à cette vie future, on doit commencer à louer Dieu ici-bas. »
Tirant le meilleur du temps – abondant ! – qui lui est imparti sur terre, il s’appuie encore sur le soutien indéfectible qu’il reçoit à travers la prière quotidienne des psaumes.
« En récitant le bréviaire ces temps-ci, je trouve un tas de choses que je n’avais pas vues avant ! Il y a Dieu, mais Dieu, on ne peut pas le connaitre. Alors il y a le Verbe incarné. Et lui, il nous a parlé. Le bréviaire revient sur ces choses, qui sont les plus importantes. Vraiment, en tout cas actuellement, je trouve que je dis mon bréviaire beaucoup mieux qu’autrefois ! Parce que je ne suis pas pressé ! »
L’amour du Christ
Quand nous lui demandons ce qui l’a poussé à consacrer sa vie à Jésus et à l’Église, le fil qu’il retrace est franc et net.
« Au Collège de Lévis, j’ai eu d’excellents professeurs. Évidemment, comme dans toutes les maisons d’enseignement, il y a des professeurs qui sont plus ou moins bons… Je ne peux pas dire qu’à Lévis, tout le monde était bon, mais il y en a qui étaient excellents. Et alors, c’est là que j’ai pris la décision d’aller au Grand Séminaire. »
C’est d’ailleurs au sein de cette institution qu’il enseignera la théologie aux futurs prêtres du diocèse de Québec, jusqu’à ce que le cardinal Maurice Roy le convoque.
« Le cardinal m’a dit : « nous sommes satisfaits de ce que vous faites [au Séminaire], mais le pape vous demande un nouveau service. » » Il venait d’être appelé à la charge épiscopale.
« Je me rappelle très bien avoir pensé à ce que je disais souvent aux futurs prêtres : il faut faire ce que l’évêque demande ! Alors, nous raconte-t-il en rigolant, je me suis dit : eh bien ! il faudrait que moi aussi j’obéisse au pape ! »
Si l’obéissance devient un fardeau lourd et triste lorsqu’elle est vécue sans amour, l’œil pétillant de Mgr Noël témoigne d’un tout autre esprit. Un esprit d’amour sincère du prochain et de service à l’Église.
Questionné sur le regard qu’il porte sur cette Église, il ne manque pas d’évoquer l’étonnante providence divine pour chaque époque. À titre d’exemple, il revient sur les différents pontificats sous lesquels il a vécu son ministère :
« Ce que je trouve extraordinaire, c’est le fait de voir les derniers papes que nous avons eus. Ils sont si différents ! J’ai rencontré très souvent Jean-Paul II et je n’ai jamais hésité à le questionner lors des assemblées, ou lorsqu’il est venu au Canada. Aussi, avant cela, il y a eu Paul VI, avec l’encyclique Humanae Vitae et toutes les discussions que ça a engendrées. Puis, le pape actuel qui aussi est très différent, mais qui est vraiment une grâce que le Seigneur nous a faite. »
Quand il médite sur l’autre vie qui l’attend, il récite lentement le Notre Père et souvent, cette parole du Christ lui revient : « Alors que l’heure était venue de retourner vers son Père, ayant aimé les siens, qui étaient dans le monde, il les aima jusqu’au bout. »
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Avant de quitter la résidence de prêtres retraités où il demeure, nous l’avons bien sûr félicité pour ses 101 ans, fêtés en mars dernier.
En paraphrasant l’épitre de Paul aux Philippiens (Ph 1, 21), il nous répond du tac au tac : « Vous savez, il n’y a pas de mérite à tout ça. C’est comme un bienfait. En fait, je me demande même si c’est un bienfait. Qu’est-ce que ça donne ? Je serais peut-être mieux dans l’“autre résidence permanente » ».
Sans l’ombre d’un doute, Mgr Noël a bien hâte de louer Dieu avec Augustin, Joseph et tous les autres. Et rendu là, il n’aura plus besoin de son bréviaire. Parions qu’il aura eu assez d’un siècle pour apprendre les psaumes par cœur.