camps de réfugiés
Photo: Valérie Laflamme-Caron

À l’orée d’un camp de réfugiés au Rwanda

Nous avons rendez-vous près de l’église afin de rencontrer les enfants du camp de réfugiés de Gihembe.

À l’heure convenue, nous les voyons arriver au loin par dizaines. Sac d’école au dos, ils courent le long du sentier qui longe la colline. Ils sont accueillis à bras ouverts par sœur Épiphanie, qui prend des nouvelles de chacun d’eux. Elle secoue la tête en riant : « Tous les enfants de la paroisse sont venus. » Il m’est impossible de distinguer les réfugiés congolais des enfants rwandais.

Spontanément, la marmaille se regroupe, tape des mains et entame des chants. À priori, la scène est banale. Il n’y a rien à voir. C’est bien là le miracle.

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Photo: Valérie Laflamme-Caron

Vingt-six ans après le génocide des Tutsis, le Rwanda est un leadeur régional dans l’accueil des réfugiés, qui composent 10 % de sa population. Les demandeurs d’asile sont répartis dans quatre camps. Ils proviennent du Burundi, de l’Ouganda et de la République démocratique du Congo.

Le gouvernement rwandais offre les terrains sur lesquels se trouvent les camps. Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés s’occupe des besoins de base comme l’habitation et l’alimentation. Différents organismes proposent des services ponctuels afin d’adoucir la vie des réfugiés : ateliers de poésie, d’informatique, d’agriculture…

À travers tous ces intervenants, l’Église est celle qui reste et accompagne.

Offrir un cadre

Quand Gihembe a été créé, en 1997, les enfants étaient scolarisés à l’intérieur même du camp. Aujourd’hui, les écoliers qui y demeurent y sont nés. Ils parlent le kinyarwanda et vont à l’école avec les autres rwandais. Pour les autorités diocésaines, il était essentiel que ces jeunes soient intégrés aux activités de l’Enfance missionnaire, centrées sur la prière, la musique et le jeu.

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L’abbé Alfred Rutagengwa, vicaire général du diocèse de Byumba, a lui-même connu l’exil. Lorsque le génocide a commencé, il était en première année de séminaire. Il a dû fuir pour trouver refuge dans un camp. Ainsi, il connait les difficultés rencontrées par ses paroissiens, dont 20 000 s’entassent à Gihembe :

« Le premier problème est la destitution de l’autorité parentale. Les parents ne sont plus chez eux. Ils n’ont pas la possibilité de gagner leur vie et de répondre aux besoins de leur famille. Ils sont condamnés à tendre la main et à attendre les distributions.

« Quand on ne se voit pas d’avenir, on ne peut pas se projeter. Les enfants se rattachent à ce qu’ils trouvent. Ce contexte leur donne une liberté qui n’en est pas une. C’est un piège : lorsque les enfants sortent et trainent autour du camp, cela les expose à toutes sortes de risques. Ils sont vulnérables à la consommation de drogue et à la prostitution. »

Cet article provient du magazine de juillet 2020.

Les inquiétudes du père Alfred sont légitimes. Dans ce contexte, préserver l’innocence de ses protégés est un défi quotidien.

L’humain dans l’enfant 

La persévérance scolaire est une autre priorité des responsables ecclésiaux, qui s’attristent du fait que les enfants réfugiés soient plus préoccupés par leur survie que par les études. Le père Alfred insiste : « Le plus beau cadeau à offrir à un réfugié, c’est l’éducation. Quand on forme un enfant, on lui donne la clé qui lui permettra de se prendre en charge, partout où il sera. Les Rwandais sont nombreux à avoir pu étudier lorsqu’ils étaient en exil. Même s’ils n’avaient plus de pays, ils ont reçu une éducation. Ils sont rentrés avec beaucoup de choses. »

Photo: Valérie Laflamme-Caron

Le vicaire général souhaite le meilleur à ces jeunes en qui il se reconnait et s’efforce de leur offrir soutien et affection.

« On souligne les anniversaires des enfants des camps au niveau diocésain. On organise une collecte, et les autres enfants viennent avec de petits cadeaux. Lorsqu’on célèbre la journée de l’Enfance missionnaire, ils apportent une partie des récoltes familiales afin de les partager avec ceux qui vivent dans les camps. Ça ne couvre pas tous leurs besoins. Ce peu de matériel a d’abord une valeur symbolique. Les enfants réfugiés voient que les gens du pays ont de la compassion pour eux. Quand il y a des fêtes, ils viennent chanter et danser avec nous. Quand je vais dire la messe là-bas, je suis bien accueilli. »

Le sentiment d’appartenance, qui mesure l’attachement et la reconnaissance ressentis à l’égard d’une communauté, est nécessaire au développement de toute personne. À travers ces petites attentions, le père Alfred prend soin de l’humain dans l’enfant. Il leur permet non seulement de mieux vivre le présent, mais surtout, de pouvoir rêver d’un avenir.

La guérison intérieure

En fin de compte, les activités de l’Enfance missionnaire s’inscrivent dans un projet pastoral plus large axé sur la guérison intérieure et l’éducation à la solidarité.

« Nous visons la mixité et l’intégration des enfants. Parce qu’ils sont accueillis dans la région, les réfugiés ne se sentent pas comme des étrangers. Ils rencontrent d’autres enfants et s’en font des amis. Quand ceux qui vivent l’exil ne restent qu’entre eux, ils ne pensent qu’à leurs problèmes. On veut que les enfants puissent découvrir un autre monde. Il est vrai que nous sommes dans une région pauvre, alors ils ne vont pas découvrir grand-chose ! Mais il y a une joie à se sentir chez soi. »

Pendant que les enfants, fiers, n’en finissent plus de me serrer la main, le soleil se couche derrière Gihembe. Il est temps de rentrer. Je ne saurai jamais ce que l’Enfance missionnaire a réellement changé dans la vie des jeunes réfugiés. Quand je les questionne à ce sujet, ils me disent simplement qu’ils aiment prier, chanter et danser. Comme tous les enfants.


Ce projet de reportage a été rendu possible grâce à un partenariat avec les Œuvres pontificales missionnaires du Canada. Cliquez ici pour en savoir davantage sur leur mission.


Valérie Laflamme-Caron

Valérie Laflamme-Caron est formée en anthropologie et en théologie. Elle anime présentement la pastorale dans une école secondaire de la région de Québec. Elle aime traiter des enjeux qui traversent le Québec contemporain avec un langage qui mobilise l’apport des sciences sociales à sa posture croyante.