Cloitrée depuis quelques semaines chez moi — à cause de nausées et de vomissements importants (joies du premier trimestre) —, j’envoyais régulièrement en Italie, à mon père spirituel surtout, des messages de lamentations. Jusqu’au jour où mon petit problème gastrique s’est mis à sembler bien ridicule face à la situation d’un pays aussi sévèrement touché par le coronavirus…
Sachant don Francesco présentement prisonnier de son presbytère, je lui ai demandé ses lumières de théologien pour m’éclairer sur la situation actuelle, surtout d’un point de vue spirituel. Après tout, le coronavirus ne se transmettra pas de Florence à Québec par appel vidéo !
La principale question qui me taraude concerne la prière. Spontanément, dans une situation douloureuse, dans la maladie, on prie pour demander la guérison. Mais, en même temps, un saint tel le frère André répétait souvent que les gens devraient demander autre chose que la guérison physique, comme la croissance spirituelle. Et même s’il a guéri lui-même de nombreuses personnes, il n’a jamais demandé la guérison pour lui-même. Que devrait-on demander à Dieu alors, pour nous, pour nos proches et pour le monde ?
C’est bien naturel dans une telle situation de prier pour la guérison, pour l’éloignement de la maladie. Le pape lui-même a donné dernièrement un bel exemple de cela, dans sa dernière sortie à Rome. Il a prié notamment, à San Marcello al Corso, devant une croix vénérée pour avoir délivré Rome de la peste.
Mais il y a un risque, c’est vrai, quand on prie pour la guérison : le risque que cela n’advienne pas au moment où l’on s’y attendait ou même pas du tout. Quelqu’un peut alors en vouloir à Dieu ou douter de sa bienveillance et de sa présence.
C’est pour cela qu’il faut toujours, d’après moi, ajouter une autre prière à la demande de guérison. Quelque chose comme : « Seigneur, fais que je sois capable de vivre avec sérénité et paix la maladie jusqu’à ce que tu veuilles m’en délivrer. »
À première vue, on peut penser que c’est un paradoxe, presque une contradiction. D’un côté, on demande à Dieu d’éloigner la maladie, de l’autre, de la vivre pleinement, sans fuite. En réalité, le paradoxe n’est qu’apparent.
D’un côté, prier pour l’éloignement d’une maladie — pour quelqu’un d’autre surtout —, c’est se faire proche, c’est compatir avec l’autre. De l’autre côté, lui souhaiter de vivre sereinement, dans une foi toujours plus confiante, son état, c’est aussi lui vouloir du bien. C’est désirer sa croissance et son bonheur.
Et c’est aussi laisser à Dieu le dernier mot. « Si tu le veux, libère-nous de la maladie. Mais, surtout, que ta volonté soit faite. »
Et pour quelqu’un comme saint André ? Pourquoi crois-tu qu’il n’ait jamais demandé à être libéré de sa maladie, de ses maux d’estomac ?
Pour ce cas singulier, difficile à dire. Je ne le connais pas. Mais j’imagine facilement un saint ne pas repousser la souffrance pour deux raisons.
D’abord, la douleur rend plus humble, et plus conscient de son état de dépendance envers Dieu. Cela peut réellement faire croitre spirituellement.
Ensuite, la souffrance personnelle permet de comprendre et de compatir plus facilement à celle des autres. Saint André fréquentait les malades. J’imagine que son propre état lui permettait une compassion plus grande envers les autres.
Tu m’as demandé dernièrement de prier pour l’Italie. Ça m’a surprise. Je t’ai quelquefois entendu déconseiller les prières générales, comme demander « la paix dans le monde ». Tu m’as souvent plutôt recommandé de prier de façon concrète, pour les gens autour de moi et non pour « le monde entier ». Qu’est-ce qui est différent aujourd’hui ?
Je déconseille de prier de façon abstraite « pour la paix dans le monde », parce que ça veut dire trop de choses en même temps. Il y a différentes paix et différents ennemis à la paix. On ne devrait pas, me semble-t-il, prier contre des ennemis multiples et inconnus. C’est trop vague, trop confus comme prière.
Le cas présent est différent. L’ennemi est unique, même s’il concerne le monde entier. On se bat tous contre le même mal, le même virus. Prier pour un pays, même pour le monde entier dans ce cas, c’est loin d’être abstrait.
Tu as écrit dernièrement un petit article pour exprimer tes doutes sur le fait que la pandémie actuelle soit une « punition divine », comme certaines personnes dans l’Église italienne peuvent le penser.
Oui. C’est une question théologique qui peut devenir assez complexe. Mais je doute que la pandémie actuelle soit une punition divine contre le monde entier.
Ça me rappelle quand il y a eu le fameux tsunami en 2004. Certains parlaient d’une punition divine. Je me souviens d’une homélie de mon père spirituel, au Duomo de Florence. Il ne pensait pas que le péché des hommes avait causé le tsunami, mais il a souligné que cette catastrophe naturelle avait toutefois mis en lumière le péché de certains. L’évènement a notamment mis les projecteurs sur le commerce sexuel.
L’évènement physique qu’on vit présentement — le virus — me parait en quelque sorte « prémoral ». Si Dieu « entre » dans cet évènement, cela tiendra surtout à notre réaction face à ce dernier, il me semble. Se fera-t-on plus charitable en ces temps mouvementés ? Croitra-t-on en espérance et en confiance ?
Mais si la venue du coronavirus n’est pas directement causée par Dieu, sa disparation, elle, le sera-t-elle ? Spontanément, il me semble que tous — y compris toi-même — diront « gloire à Dieu ! » quand le coronavirus s’en ira. Mais si la venue d’un virus est un évènement « prémoral », presque « purement physique », pourquoi n’en serait-il pas de même pour son élimination ?
C’est une bonne question. C’est vrai que, spontanément, les gens diront « gloire à Dieu ». Moi aussi probablement.
Je ne sais pas ce que je penserai exactement de cela quand le virus sera éliminé. Ça dépendra de comment tout cela se sera passé.
Une chose est claire, me semble-t-il, c’est que je rendrai grâce à Dieu pour l’Eucharistie, pour la vie paroissiale, pour tout ce dont nous sommes privés ces temps-ci. Je rendrai grâce à Dieu pour le nouveau temps qui nous sera offert.
Plusieurs de mes paroissiens se plaignent de ne plus célébrer la messe. Certaines femmes ont pleuré quand elles ont su qu’elles ne pourraient plus communier. Je leur ai dit de penser à la joie qu’elles vivront quand la messe publique recommencera, quand on aura traversé cette attente.
Ce qu’on vit présentement peut réellement apporter des grâces. C’est peut-être en ce sens que je remercierai Dieu, quand tout sera passé, apaisé.
Vas-tu prier pour le Québec ?
Ahah ! Tu me réécriras quand votre situation sera un tant soit peu dramatique comme la nôtre ! D’ici là, je compatis pour vos quelques cas ! Mais c’est sûr qu’en habitant tous à 40 kilomètres les uns des autres, la transmission se fait moins vite ! Le virus se déplace moins rapidement en raquettes ! 😉