Légumes
Photo: Gracieuseté de l'auteure.

Mes légumes

J’ai passé ma journée dans mes légumes. Ce matin, puisque je devais sortir pour le travail, je me suis dit que j’allais en profiter pour passer à l’épicerie en revenant, question d’acheter des fruits et des légumes. 

En arrivant, je vois qu’on attend en file indienne à deux mètres les uns des autres sous une petite pluie fine et froide. « Ah ! Non ! Pas encore ! » Cette fois, je n’avais ni gants, ni chapeau, ni foulard, ni même de parapluie. Fouille dans l’auto partout. Pas de parapluie ! Je grogne. 

Dans le hall, il y a des pastilles rouges collées au sol. On doit s’y tenir pour arriver au lavabo de fortune, où on a l’obligation de se laver les mains. Trente minutes plus tard, les portes s’ouvrent et un employé m’indique les flèches rouges au sol. « Suivez les flèches, madame ! » La section des fruits et légumes est compartimentée. On pousse son panier à la queue leu leu. Ça prend du temps. C’est long. Je grogne.

Arrivée aux caisses, beaucoup plus tard que prévu, je remplis mes sacs moi-même, et je rentre chez moi stressée. On dépose tout sur le balcon et on désinfecte avec un seau d’eau chaude savonneuse.  

À la maison au moins il fait chaud. Je prends ma tonne de fruits et de légumes et je lave, je lave, je lave. Le temps file. J’ai faim. Je calcule. Arrivée au IGA : 10 h 30. Arrivée à la maison : 12 h 30. Tout ça pour des fruits pis des légumes ? Je finis de laver : 15 h. Juste à temps pour commencer bientôt mon souper.

J’ai vraiment passé ma journée dans mes légumes ! Je grogne. 

Ceux qui n’ont pas de légumes ni de pain

Je me suis dit que j’irais prier pour me changer les idées. Le temps coule et je revois l’image de cette femme et son enfant que j’avais vu passer sur Facebook. Ils étaient dans un camp de réfugiés. 

Je l’ai contemplée longtemps en pensée pour finir par me dire que, elle, elle n’en avait pas de légumes. Et pas d’eau non plus. Et surtout pas de maison chaude où revenir pour se chauffer après une petite pluie fine et froide. Ni de souper à préparer. Et sa famille ?

Elle, elle n’en avait pas de légumes. Et pas d’eau non plus. Et surtout pas de maison chaude où revenir pour se chauffer après une petite pluie fine et froide.

La honte. Puis, la crainte de Dieu. Celle qui pousse à se prosterner, par respect et soumission, mais surtout par confiance en sa sagesse, en sa puissance et en son amour.

Après quelques minutes, rassérénée, je suis happée par une autre idée : « Et la communion ? La messe ? J’en suis privée ! Je peux-tu me plaindre de ça, au moins ? » 

Long silence. Et si j’attends encore un peu, j’entends.

L’heure vient — et c’est maintenant — où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et vérité : tels sont les adorateurs que recherche le Père. Dieu est esprit, et ceux qui l’adorent, c’est en esprit et vérité qu’ils doivent l’adorer. (Jn 4, 23-24)

Communier avec les divorcés remariés qui eux, en sont privés à longueur d’année. Les prisonniers. Les peuples en guerres, isolés, privés de prêtre, de communauté, de famille, de paix, de légume, d’épicerie, de savon et d’eau. Communier, adorer, en esprit et en vérité.


Brigitte Bédard

D’abord journaliste indépendante au tournant du siècle, Brigitte met maintenant son amour de l’écriture et des rencontres au service de la mission du Verbe médias. Après J’étais incapable d’aimer. Le Christ m’a libérée (2019, Artège), elle a fait paraitre Je me suis laissé aimer. Et l’Esprit saint m’a emportée (Artège) en 2022.