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Ostap Senyuk / Unsplash

De l’insouciance à l’État de guerre. Récit de quatre étudiants exilés et confinés

Comme de nombreux étudiants partis en échange cet hiver, Michèle, Arnaud, Madeleine et Jacques ont dû revenir au pays à cause de la COVID-19. Les risques de contamination pour la population et le fait que l’un d’entre eux présente des symptômes du virus les obligent à demeurer en quarantaine quelques semaines dans un chalet. Exil et retour de quatre étudiants qui sont passés de la folie des aéroports au calme du fleuve et de l’amitié. 

En partant au mois de janvier pour Strasbourg, jamais les quatre étudiants n’auraient pensé revenir si tôt. La session se terminant à la fin avril, ils avaient prévu de voyager un peu en France et en Allemagne jusqu’à la fin du printemps.

Tous leurs projets sont tombés à l’eau lorsque l’Université Laval leur a demandé de revenir au Québec, eux et tous les autres étudiants. 

« En 72 heures, on est passé de l’insouciance à “l’État de guerre” »

Les quatre Québécois, étudiants en littérature, en droit et en philosophie, vivaient à Strasbourg dans un petit appartement avec deux autres amis, Camille et Christophe. Malgré les nombreux cas en Italie et en France, ils ne se faisaient pas de souci. « On s’en moquait presque. On a assumé qu’on pourrait l’avoir et que ce ne serait pas trop pire parce qu’on est jeunes et en santé », explique Arnaud. Et, même si Michèle avait quelques symptômes du virus, c’était bénin. 

Malgré les nombreux cas en Italie et en France, ils ne se faisaient pas de souci. « On s’en moquait presque. »

Partout, la vie continuait comme si de rien n’était. « Les gens s’en foutaient un peu », dit Jacques. 

Mais, le jeudi 12 mars, on a fait les grandes annonces. Les universités en France fermaient. Le lendemain, l’Université Laval leur envoyait un message les incitant à revenir. 

En trois jours, l’ambiance a complètement changé. Le jeudi et le vendredi, les étudiants jouaient au frisbee et sortaient. « J’étais dans un bar avec des amis lorsque j’ai lu la nouvelle du rapatriement », se souvient Jacques. Personne n’obéissait vraiment aux mesures gouvernementales. Par contre, dès le samedi, les gens se sont mis à porter des gants et des masques. 

La bonne décision

Les six Québécois ont compris que c’était plus sérieux qu’ils ne le croyaient au départ. Ils ont décidé de réagir rapidement. Ils ont acheté leurs billets d’avion au début de la fin de semaine ; leur vol était le mardi 17 mars. Certains se demandaient si ça valait la peine de faire tout ça si vite, de s’en faire autant. 

La suite des choses a toutefois justifié leur action : en quelques jours, la panique s’est installée, les prix ont grimpé. « Notre amie Florence, à Prague, a magasiné des billets deux jours après nous ; ils coutaient entre 2000 $ et 3000 $ », dit Jacques. 

« On a donc pris une bonne décision. On a réagi rapidement », ajoute Arnaud.

Mardi, à l’aéroport, le climat était tendu. Certains étaient fâchés, se criaient dessus. Des vols ont été annulés, plusieurs se demandaient ce qu’ils allaient faire. 

Les six universitaires ont toutefois eu la chance que tout aille bien. Ils sont atterris au Québec sans problème.

Arrivés à l’aéroport de Montréal, tout est allé très vite. Mais l’atmosphère était tout aussi angoissante. Certains avaient peur des contrôles : « On a vu des gens prendre des Tylenols pour baisser leur température. »

Pour éviter les contacts avec leur famille, les compagnons ont emprunté une voiture de leurs parents. Après avoir laissé Camille et Christophe à leur lieu de résidence, Michèle, Arnaud, Madeleine et Jacques se sont dirigés dans un chalet, où ils sont encore actuellement. 

« S’entreramener sur terre »

En repensant au voyage du retour, les amis réalisent à quel point ils se doivent les uns aux autres. Au départ, plusieurs ne voyaient pas les raisons qui justifiaient de revenir : « Une partie de moi remettait en question la nécessité de faire ça, se rappelle Arnaud. J’étais insouciant et je m’en rends compte aujourd’hui. Toutefois, on se convainquait les uns les autres que repartir était la meilleure chose à faire. » 

« Le fait qu’on ait été ensemble nous a aidé à prendre les bonnes décisions. »

Jacques confie : « Le samedi, on avait prévu une soirée avec une quinzaine de copains qu’on s’était faits à Strasbourg. Le gouvernement avait interdit les rassemblements non essentiels. On a compris tous ensemble qu’on ne pouvait pas le faire. Ça m’a beaucoup affecté, je tenais à les revoir une dernière fois. Le fait qu’on ait été ensemble nous a aidé à prendre les bonnes décisions. » 

« On était là pour “s’entreramener sur terre” », résume Madeleine. 

Dans la déception de quitter l’Europe si tôt, être plusieurs a aussi permis de mieux vivre le retour. « Ça permet de faire une transition plus naturelle, moins déchirante », dit Arnaud.

La famille

Une des choses les plus particulières dans tout ce chamboulement est le rapport à leur famille. 

Arnaud rentre l’épicerie. Photo: Michèle Rouillard

Alors que le retour au pays est le moment des embrassades et des gros câlins, alors que la situation était plus que stressante, les voyageurs ont dû garder leurs distances avec leur famille. Le plaisant sentiment du retour a été comme empêché. 

Leurs contacts avec leur famille se résument à l’essentiel. Elles leur ont apporté la voiture à l’aéroport et maintenant leur font les courses puisqu’ils n’ont pas le droit d’aller à l’épicerie. Les seules nouvelles qu’ils ont d’eux, c’est par les réseaux sociaux.

Ils désirent tous les retrouver et pouvoir passer du temps avec eux. « J’ai hâte d’être obligé d’être confiné avec ma famille », admet Jacques, qui voudrait être auprès de sa mère alors qu’elle a des symptômes de la COVID-19. 

Doublement exilés

Toutefois, ils s’habituent et prennent gout à la vie en petite communauté, en amitié. Ils alternent les moments de discussion et de silence. Ils profitent du calme qu’ils n’avaient pas à Strasbourg.

« Le silence n’est pas malaisant, au contraire, dit Jacques. J’avais déjà gouté ça en expédition. » 

Ils sont aussi plus près de la nature qu’à Strasbourg. Même si Michèle est encore malade, ils sortent tous une heure par jour, parfois ensemble, parfois seuls. « On l’attend, ce moment-là », dit Jacques. 

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Photo: Michèle Rouillard

En plus de l’étude — ils continuent les cours à distance —, ils font des activités pour meubler le temps. Certains marchent près du fleuve, d’autres font de la raquette, d’autres cuisinent du pain banique. Ils ont même construit un fort de neige ! Ils accompagnent leurs moments de musique, celle de Serge Fiori. 

Le temps retrouvé

En parlant de la nouvelle organisation, Madeleine note que « le temps passe à la fois plus vite et plus lentement. Chaque moment a sa place. » Ils étudient et soupent en même temps tous ensemble. Ce n’est pas précipité, ils ne pensent pas toujours à ce qu’ils feront ensuite. 

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Photo: Michèle Rouillard

« Dans la vie normale, remplie d’activités, de cours, d’obligations, de rencontres, on cherche à éviter la routine. Ici, on n’a pas le choix », dit Arnaud. Ils trouvent leur cycle de vie agréable : « les journées se suivent et se ressemblent », ajoute-t-il. Après que le décalage horaire ait arrêté de se faire sentir, les moments ont commencé à être bien définis. 

Ils ne savent pas dans combien de temps ils pourront revenir chez eux. Ils devaient partir il y a quelques jours, mais ils n’ont toujours pas pu faire les tests pour savoir s’ils avaient le virus. D’ici là, ils devront vivre en amitié et, comme nous, coupés du monde et du temps.


Ambroise Bernier

Ambroise Bernier étudie la littérature à l’Université Laval. Féru de poésie comme de prose, il révise nos textes destinés au site Web.