[Ce texte est tiré de l’édition papier du magazine Le Verbe, été 2019. Pour consulter la version numérique, cliquez ici. Pour vous abonner gratuitement, cliquez ici.]
Il y a dix ans cette année, les moines cisterciens d’Oka ont quitté leur terre plus que centenaire pour aller s’établir dans la forêt lanaudoise. L’abbaye Val Notre-Dame, plus adaptée à la taille de la communauté et offrant un cadre plus silencieux, fait partie des bâtiments les plus écologiques au Québec. Au-delà des aspects avant-gardistes de l’œuvre de l’architecte Pierre Thibault, quelle place la nature occupe-t-elle dans la vie spirituelle de ces moines? Rencontre avec trois d’entre eux.
Non loin du village de Saint-Jean-de-Matha, le chemin de la Montagne-Coupée nous conduit au beau milieu d’un petit val, comme son nom l’indique, où se situe le monastère.
Tout au début du chemin se trouve le magasin des moines, volontairement éloigné de l’abbaye pour distinguer les intérêts: «Quand ils descendent jusqu’ici, c’est pour faire une autre démarche», m’explique le père abbé de la communauté. En effet, les lieux entourant le monastère sont particulièrement silencieux. Même le stationnement des visiteurs est un peu en retrait. À midi, le chant des grenouilles retentit comme en pleine nuit.
Les repas végétariens, la culture de plantes médicinales, la cueillette des produits forestiers comestibles, sans parler des exploits écologiques de leur monastère: les moines semblent vivre ici en étroite relation avec leur environnement naturel, avec leurs frères… et avec Dieu.
L’aventurier
Sylvain Mailhot a passé plusieurs étés de son enfance dans Lanaudière, pas très loin du monastère, notamment sur la terre familiale de ses grands-parents. Pour lui, ce n’est pas un hasard si Celui à qui il a donné sa vie le ramène ici. Ce natif de Montréal a toujours été attiré par la simplicité de la campagne.
«On passait nos journées à cueillir des fraises, des framboises. On avait un poêle à bois, une pompe pour puiser l’eau et un jardin. On mangeait des choses fraiches tous les jours. J’étais heureux là-dedans.»
Féru d’aventure, le frère Sylvain aurait peut-être passé sa vie en canoë-camping s’il n’était pas devenu moine. Il vit aujourd’hui cette intensité dans le cadre de sa vie monastique, sauf quand le responsable de la communauté l’autorise à dévaler les rivières en kayak avec ses plus jeunes frères.
Son gout pour l’absolu s’est manifesté très tôt. À 11 ans, un soir, il dit à Dieu: «Je ne peux plus croire que tu existes.» Sa prière a pris fin ainsi, du moins pour un temps. Tombant désormais dans un vide spirituel, il cherche des réponses ailleurs que dans la foi reçue de sa famille.
À 16 ans, il se retrouve malgré lui dans un café chrétien pour faire plaisir à sa copine. Face à face avec une grande affiche de Jésus, il reprend la discussion là où il l’avait laissée cinq ans plus tôt: «Je ne sais pas si tu existes, mais je veux croire.» À ce café, il vit avec d’autres jeunes chrétiens une expérience de fraternité qui lui donne l’impulsion de se remettre à la suite du Christ.
Son chemin le conduira à l’abbaye d’Oka, où il devait passer un mois avant d’entrer au séminaire. Après trois jours à vivre avec les moines, la simplicité des relations qu’il expérimente le touche au point de vouloir y rester toute sa vie. Il prendra l’habit un an plus tard.
Là-bas, il retrouvera le jardinage et la cueillette des fruits. Mais le travail de la terre, raconte-t-il, ce n’est pas seulement de la contemplation, «C’est dur. Un travail, c’est laborieux, c’est un labeur. C’est participer à la transformation de la création.»
Frère Sylvain sort marcher tous les matins après l’office pour continuer sa prière silencieuse: «Avec l’ouverture que nous avons sur la beauté, je suis dans la reconnaissance. Il n’y a pas une journée où je ne me réjouis pas d’être dans le lieu où nous habitons.»
Le hippie
Quand on demande au frère Bruno-Marie ce qui l’a attiré chez les cisterciens, il répond d’emblée: «Des vaches. De belles grosses vaches.» Il allait reconduire un ami à Oka. Pour lui, en tant que jeune de la banlieue de Montréal, c’était un monde inconnu qui l’attirait énormément; il n’avait jamais vu une vache d’aussi près.
Ils étaient une quinzaine de jeunes hommes à s’intéresser à la vie monastique cistercienne. Les moines voyaient que chacun d’eux pouvait avoir la vocation, sauf Bruno, qu’ils trouvaient beaucoup trop exubérant. Dans les faits, il est le seul à être resté…
«Ce qui nous attire au monastère n’est pas important; ce qui l’est, c’est pourquoi tu y restes après», m’affirme-t-il.
Né dans une famille croyante, le frère Bruno-Marie met de côté sa foi vers 16 ans: «Le cours classique finissait, les Beatles, le pot, les champignons et l’acide arrivaient, moi j’aimais ça!» Il sera d’ailleurs renvoyé du cours classique.
Il se retrouve un jour au Carnaval de Québec sous l’effet de l’acide. Un disciple de la secte Les enfants de Dieu passe par là et échappe ses tracts. Bruno se penche pour l’aider et lit: «Redeviens un enfant de Dieu.» Cette simple phrase propagée par un groupe sectaire sera pour lui une parole de Dieu qui le remettra en marche spirituellement.
«Dans ces années-là, il y avait un grand mouvement de retour à la terre. Beaucoup de communes se sont fondées dans les années soixante-dix, mais aucune n’a duré.» Les grands champs de l’abbaye d’Oka respiraient pour lui la liberté, la beauté, et perdurent pourtant depuis des siècles.
Lorsqu’il a été nommé aux étables, il a toutefois commencé à voir les vaches sous un angle moins romantique.
Il témoigne pourtant comment la réalité de la nature a su le pacifier et le conduire à Dieu. Il s’est même découvert, dans les dernières années, une passion pour la photographie du vivant. Lui qui aimait jadis l’effet des hallucinogènes s’émerveille aujourd’hui devant les fleurs, les oiseaux et les jeux d’ombres et de lumière de ses frères qui marchent dans le cloitre du monastère.
«Vivre dans la beauté, ça nous fait remercier. J’ai même hâte d’aller au ciel! Si c’est beau comme ça sur la terre, imagine au ciel…»
L’intellectuel
Chaque communauté doit avoir un responsable, un chef. Dans la tradition monastique, chaque abbaye a son père abbé. Et chez les cisterciens de Saint-Jean-de-Matha, il s’appelle André Barbeau.
Ainé de sept enfants et, qui plus est, fils d’homme d’affaires, le père André était en quelque sorte prédestiné à administrer une abbaye. Mais loin de chercher le business du chocolat et du fromage monastique, c’est plutôt son désir de vouloir prier qui l’a conduit chez les Trappistes de Mistassini, au Lac-Saint-Jean (un monastère rejeton d’Oka).
Après une maitrise en philosophie et un baccalauréat en théologie, il réalise qu’il ne sait pas prier. Il en avait appris beaucoup sur les fondements de la foi chrétienne, mais pas sur l’essentiel de la rencontre et de la vie avec le Christ. Ce Dieu fait homme, il y communiait tous les dimanches à la messe, depuis l’âge de 10 ans, sans le reste de sa famille: «J’étais séduit par l’eucharistie. J’y ai toujours eu ce moment de grâce qui dépasse ce que je peux expliquer.»
Pour compléter ce que sa formation en théologie ne lui avait pas donné, il demande aux cisterciens de Mistassini s’il est possible de faire un stage de trois mois avec eux pour apprendre à prier. Durant cette retraite, il ne lira et méditera que la prière du Notre Père, qui finira par lui renvoyer une question: «Toi, y crois-tu vraiment? Serais-tu capable de miser ta vie sur Lui?»
C’est le radicalisme de la vie monastique qui l’interpelle et qu’il intègre à 27 ans. Presque aussitôt entré, il a été nommé responsable des étables, ce qui a été tout un changement de rythme pour un intellectuel comme lui. Fini les cinq livres qu’il pouvait lire par semaine, de même que les grandes méditations.
Surveillant le silo à foin, il a appris à prier de manière beaucoup plus simple.
Dans les monastères, les saisons et les heures de la journée sont harmonisées avec la liturgie, la prière commune: «Les Québécois, on est contemplatifs dans notre ADN», affirme le père André. Il poursuit: «Six mois par année, l’hiver, nous sommes encabanés, ce qui veut dire entrés au-dedans de soi.»
Il semble absurde pour plusieurs que des hommes quittent tout pour passer leur vie au même endroit, avec les mêmes personnes. Mais pour le père André, le silence extérieur donné par la nature est seulement une aide pour faire l’expérience du vrai silence qui conduit à plus:
«On cherche à transmettre une expérience de la rencontre avec Dieu, que les gens découvrent que Dieu existe et que des hommes sont assez fous pour y mettre toute leur vie.»
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