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Photo: Autumn Goodman (Unsplash)

Pour qui sauver la planète?

«C’est une chose terrible à dire, mais pour stabiliser la population mondiale, nous devons éliminer 350 000 personnes par jour.»

Cette déclaration choc du commandant Jacques-Yves Cousteau, figure emblématique des environnementalistes, a fait le tour du monde en 1991. Trois décennies plus tard, il ne meurt encore naturellement qu’environ 157 000 personnes par jour. Comment exactement le commandement Cousteau envisageait-il d’éliminer les 193 000 autres?

Sacrifier l’homme pour sauver la terre.

Cette manière de penser révèle que ce n’est pas tant la planète qui est en danger, mais plutôt l’humanité. C’est nous qui sommes menacés d’extinction, voire d’extermination. Car la planète survivra certainement, mais l’homme survivra-t-il au nouvel équilibre qu’elle finira par trouver?

Dès lors, c’est nous-mêmes qu’il s’agit d’abord de sauver, et ensuite seulement notre écosystème comme notre «éco-logis» ou maison commune (oïkos). Comme on sauve sa maison du feu pour sauver sa famille.

Pourquoi sauver l’homme?

Mais alors se pose la question: pourquoi sauver l’homme? Quelle valeur trouvons-nous en notre espèce pour justifier une colossale entreprise de sauvetage? Ne faudrait-il pas plutôt penser comme le commandant Cousteau et sacrifier une large partie de l’humanité pour sauver la terre? Pour y arriver, le marin proposait même de cesser d’investir en santé et de laisser les maladies décimer les populations. Car, pensait-il, l’homme est devenu un cancer pour la planète. Aujourd’hui, l’ONU propose plutôt d’éliminer le problème directement à sa source, en misant sur la stérilisation, la contraception et l’avortement.

En effet, si la terre est supérieure à l’homme, alors l’humanité n’est-elle pas la pomme pourrie à retirer le plus vite possible du panier?

Qui faut-il donc sauver en priorité? La terre ou l’humanité? Toute l’humanité ou une partie seulement? Et surtout quelle partie? Avant de sauver quoi que ce soit ou qui que ce soit, il faut reconnaitre et hiérarchiser la valeur de ceux qui sont en danger. Personne ne cherche à sauver les virus. Très rares sont ceux qui sacrifieraient leur vie pour sauver des gorilles, des dauphins, des vaches ou des rats, sauf justement ceux qui pensent que ces bêtes peuvent avoir une valeur supérieure à l’homme.

Bref, si nous n’arrivons toujours pas à sauver la terre, c’est peut-être parce que nous peinons à trouver des raisons de sauver l’homme qui l’habite.

Crise cosmologique

Mais si, comme le croient les chantres de la postmodernité, tout vient du hasard: la terre, la vie et à fortiori les hommes, alors pourquoi aurions-nous le devoir de les préserver? Quelle valeur le hasard confère-t-il aux choses? Le hasard par définition est l’absence d’intention, de direction, de sens.

Voilà pourquoi le relativisme et le nihilisme ambiant sont les premiers ennemis de la conversion écologique nécessaire. L’existentialisme n’est pas une philosophie qui se restreint à l’individu. Si une vie humaine est absurde, on voit mal comment 7 milliards de vies auraient plus de sens.

La solution n’est donc pas tant politique, ni scientifique, ni même éthique, mais ultimement existentielle et spirituelle.

Au fond, il ne s’agit pas tant d’une crise écologique que d’une crise cosmologique. C’est la logique de l’univers, du grand tout, qui est en cause. La solution n’est donc pas tant politique, ni scientifique, ni même éthique, mais ultimement existentielle et spirituelle. C’est le problème du sens de l’être. C’est la question d’Hamlet posée à l’humanité dans son ensemble: «To be or not to be, that is the question

Pourquoi ne pas choisir de s’éteindre? L’univers ne s’en porterait-il pas mieux? Au nom de quoi devrions-nous choisir de survivre?

Le matérialisme athée nous laisse dans un cynique désespoir. Il ne peut repousser le suicide des jeunes qu’à coup de feux d’artifices qui consomment notre monde jusqu’au jour où le suicide des vieux (l’euthanasie) apparait comme le dernier acte nécessaire et cohérent d’une pièce de Ionesco.

Retrouver la valeur de l’humanité, voilà l’urgence. L’homme doit se convertir. Une conversion est un changement de direction. L’homme doit donc changer de direction, changer le sens qu’il reconnait à lui-même et à toutes choses.

Écologie de communion

La solution à la crise environnementale est donc transcendantale. L’homme doit regarder au-dedans et au-delà de lui-même pour y discerner la créature et le Créateur.

L’être ne s’explique jamais en lui-même. Il est en une perpétuelle dépendance. Tout est relations dans l’espace, mais aussi dans le temps, nous enseignent la physique, l’astronomie et la biologie des 100 dernières années. Or, un être qui existe par la relation, c’est ce que la théologie appelle une création. La création, c’est toujours être au moins deux, c’est être devant, par et pour l’autre. C’est reconnaitre et accepter d’être en relation avec l’altérité, dirait le philosophe français Emmanuel Levinas (1906-1995).

De cette prise de conscience que tout est en relation (et non en fusion), nous réalisons que les relations de dépendance et d’interdépendance ne sont pas des limites à notre liberté, mais leurs conditions. Et de là jaillira une «écologie de communion». La communion, le don de soi ou le sacrifice, pour parler en termes chrétiens, est le sens ultime de la vie. Tout donner parce que nous avons tout reçu.

Spiritualité de la solidarité globale

Le pape François a posé les bases de cette écologie de communion dans Laudato si’, le texte qui se révèlera probablement le plus prophétique de son pontificat :

«Tout est lié, et cela nous invite à murir une spiritualité de la solidarité globale qui jaillit du mystère de la Trinité.»

«Les Personnes divines sont des relations subsistantes, et le monde, créé selon le modèle divin, est un tissu de relations. Les créatures tendent vers Dieu, et c’est le propre de tout être vivant de tendre à son tour vers autre chose, de telle manière qu’au sein de l’univers nous pouvons trouver d’innombrables relations constantes qui s’entrelacent secrètement. Cela nous invite non seulement à admirer les connexions multiples qui existent entre les créatures, mais encore à découvrir une clé de notre propre épanouissement.

En effet, plus la personne humaine grandit, plus elle mûrit et plus elle se sanctifie à mesure qu’elle entre en relation, quand elle sort d’elle-même pour vivre en communion avec Dieu, avec les autres et avec toutes les créatures. Elle assume ainsi dans sa propre existence ce dynamisme trinitaire que Dieu a imprimé en elle depuis sa création. Tout est lié, et cela nous invite à mûrir une spiritualité de la solidarité globale qui jaillit du mystère de la Trinité. »

Et voilà comment l’humanité peut encore être sauvée en puisant au cœur de son héritage chrétien, au cœur de son plus profond mystère qu’est la relation divine.


Ce texte est tiré de l’édition papier du magazine Le Verbe, été 2019. Pour consulter la version numérique, cliquez ici. Pour vous abonner gratuitement, cliquez ici.


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Simon Lessard

Simon aime engager le dialogue avec les chercheurs de sens. Diplômé en philosophie et théologie, il puise dans les trésors de la culture occidentale, combinant neuf et ancien pour interpréter les signes des temps. Il est responsable des partenariats au Verbe médias.