Magic
Photo: Wayne Low/Unsplash

MAGIC et le pouvoir des jeux de société

À ma sœur Rébecca.

« Je ne connais pas la moitié de vous aussi bien que je le voudrais et j’aime moins de la moitié d’entre vous à moitié autant que vous le méritez. »

– Bilbon Sacquet dans Le Seigneur des anneaux : la communauté de l’anneau

À travers son expérience du célèbre jeu Magic, Emmanuel Bélanger nous explique comment les jeux de société sont des vecteurs authentiques de cohésion sociale. À l’approche de ce temps des fêtes particulier, pourquoi ne pas en redécouvrir quelques-uns ?

Peu de choses échappent à cette règle fatale du « qui se ressemble s’assemble ». 

On dit aussi que l’habit ne fait pas le moine. Or, la façon de se vêtir d’une personne en dit long sur son caractère et sur comment elle désire être perçue par les autres.

Pour ma part, j’ai grandi avec un ballon de basket dans les mains, ce qui m’a vite fait graviter autour de la culture hip-hop et me promener en long-t et le fond de culotte à terre (au grand dam de mes parents et surtout de ma mère). 

Encore ici, quoi qu’en pense l’éclectisme ambiant qui a normalisé la marge, on a toujours tendance à ressembler à ceux avec qui l’on traine, et ce, jusque dans nos habitudes de vie et nos vues sociopoliticoculturelles. 

Pourtant, les jeux de société réussissent à braver cette convention et à faire œuvre, comme leur nom l’indique, de cohésion sociale. 

Un jeu en particulier a attiré mon attention, le jeu de cartes fantastique des années 90 qui a su bien tourner le siècle et se rendre jusqu’à nous sans perdre de sa popularité : Magic : l’Assemblée (V.F. de Magic : The Gathering). 

C’est un peu ironique et de mauvais gout de parler d’un jeu de société qui évoque le « rassemblement » dans son nom. Mais bon, on peut le faire en souvenir du bon vieux temps (des fêtes) !

Un peu de magie entre les deux vagues

C’est paradoxalement grâce au confinement que j’ai commencé à jouer aux cartes Magic cet été. 

Je revenais d’Europe et je devais passer 14 jours en confinement dans le sous-sol de ma sœur. Vers la fin de la quatorzaine, mon beau-frère m’a demandé si ça me tentait de jouer à Magic avec lui. Je pensais qu’il blaguait, et pourtant, quelques minutes après, j’avais un paquet de cartes dans les mains et des dés de toutes sortes devant les yeux. 

C’est ainsi qu’a commencé l’histoire qui mène à l’écriture de ces lignes. Pas plus de deux semaines plus tard, on était rendu quatre à s’y mettre dans le cabanon de la belle famille de mon cousin ou bien cinq dans le sous-sol du cousin de mon beau-frère. 

Les liens de parenté ne servent pas ici à mêler le lecteur, mais bien à faire valoir mon point : le jeu de cartes fantaisiste et un peu ringard que j’avais croisé durant ma jeunesse devenait notre rendez-vous hebdomadaire durant la « trêve estivale » de la pandémie. Des mondes complètement différents se croisaient autour de la table qui devenait un véritable champ de bataille. 

Jamais je n’avais passé autant de soirées avec mon beau-frère (ma sœur en devenait jalouse) ; j’ai fait la connaissance de son cousin, un bon vivant avec le cœur sur la main ; mais aussi j’ai mieux appris à connaitre l’un de mes meilleurs amis qui s’est avéré être un adversaire redoutable doublé d’un stratège hors pair, et enfin mon propre cousin, nerd à ses heures qui a plus d’un tour dans son sac. 

La force des symboles 

Tout comme J.R.R. Tolkien, père de la littérature fantastique moderne, qui a fait le pari d’un monde ruisselant de symboles issus du christianisme tout en y excluant toute relation directe avec celui-ci, un jeu tel que Magic peut aussi nourrir sainement l’imaginaire. 

Les Saintes Écritures regorgent de récits épiques et certaines figures mythiques, telles que le dragon, le Léviathan et les monstres marins, s’y retrouvent, sans oublier les cavaliers de l’Apocalypse et le Satan. Sans rien absolutiser, cela permet de faire prendre conscience de la présence du Mal, ce mystère d’iniquité, mais aussi de la part combattive de la vie, des difficultés et épreuves auxquelles tout un chacun devra faire face.

Comme jeu dit de société, il permet de former une petite compagnie entre les joueurs qui, s’ils ne prennent pas seulement l’enjeu de la victoire comme unique fin de la réunion, sauront aussi prendre le temps de jaser et de tisser des liens au-delà du pur divertissement. 

Étant moi-même en « exil volontaire » à Rome pour l’année, je suis toujours fasciné par la communauté de joueurs que l’on retrouve de par le monde. 

Peu de temps après mon arrivée, par pure coïncidence, je découvrais qu’un de mes colocs jouait et le copain de ma cousine aussi ! Et pour ceux qui n’affectionnent pas Magic, c’est le même phénomène avec Catane

Cela n’est pas sans faire penser à l’universalité de l’Église et à sa mission d’annoncer la Bonne Nouvelle à tous les peuples. 

Comme croyant, on fait souvent l’expérience de ce que saint Paul décrit dans son épître aux Éphésiens (4, 4-6) : « Il n’y a qu’un Corps et qu’un Esprit, comme il n’y a qu’une espérance […], un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême ; un seul Dieu et Père de tous ».

Cette unité ne veut pas dire uniformité, mais donne une direction vers laquelle les différences tendent. Dans le jeu, chacun possède sa stratégie ou sa manière d’appréhender la partie, mais tous jouent selon les mêmes règles. 

Le théâtre de la vie

Enfin, jouer, que ce soit sur les planches ou devant une table, sert à dédramatiser notre petite expérience tout en la prenant au sérieux au sein d’un cadre plus large et ainsi se rendre compte que nous ne sommes pas les metteurs en scène de la Grande Œuvre. 

Dans Comme il vous plaira, William Shakespeare écrivait merveilleusement:

« Le monde entier est un théâtre. Et tous, hommes et femmes, n’en sont que les acteurs. Chacun y joue successivement les différents rôles d’un drame en sept âges. ». 

Chacun de nous voit cette année qui se finit et les évènements qu’elle a suscités selon l’âge de la vie qui lui appartient, selon la sagesse et la lucidité qu’il lui est donné. Peu d’entre nous auront l’occasion de jouer comme c’est normalement le cas durant les fêtes, mais que cela n’obscurcisse pas tout le merveilleux et l’improbable que Noël contient.


Emmanuel Bélanger

Après avoir commencé son cursus théologique et philosophique au Liban, Emmanuel Bélanger a complété son baccalauréat en philosophie à l'université pontificale Angelicum. Sa formation se ponctue de diverses expériences missionnaires au Caire, à Alexandrie, au Costa-Rica et à Chypre.