Nancy Johnson
Nancy Johnson/Le Verbe médias

Soins spirituels: pas que des abus

L’accompagnement spirituel des malades est au cœur d’une révolution qui est loin d’être tranquille. Autrefois chasse gardée des clercs qui portaient le titre d’aumôniers, l’aide spirituelle apportée aux personnes souffrantes est désormais offerte aussi par des laïques formés pour les accompagner. Certains d’entre eux portent le titre d’intervenants en soins spirituels. D’autres, comme les prêtres, se font appeler aumôniers, curés ou accompagnateurs. Le domaine des soins palliatifs n’échappe pas à cette révolution. Le Verbe est allé à la rencontre de quatre accompagnateurs spirituels.

J’ai rendez-vous avec le père Jean-Marc Barreau, accompagnateur spirituel à l’Oasis de Paix. C’est le nom du centre de soins palliatifs de l’Hôpital Marie-Clarac fondé par les Sœurs de charité de Sainte-Marie. Grand et svelte, il a l’allure d’un marathonien. Il me conduit à son minuscule bureau situé à l’étage de l’Oasis de Paix. Très rapidement, nous entrons dans le vif du sujet. Prêtre depuis 22 ans, il est un spécialiste de la conscience humaine chez Jean-Paul II. C’est à l’invitation des sœurs qu’il s’incorpore dès l’ouverture de l’Oasis de Paix à l’équipe de soins en tant qu’intervenant en soins spirituels.


Ce texte, publié d’abord sous le titre Accompagner l’ultime quête de sens, est tiré du numéro sur la mort de l’édition papier de la revue Le Verbe, printemps 2019. Pour consulter la version numérique, cliquez ici. Pour vous abonner gratuitement, cliquez ici.


Jean-Marc Barreau se décrit comme un accompagnateur. «Ce dernier incarne la page de l’Évangile sur les disciples d’Emmaüs. Jésus les accompagne. Il n’intervient pas, sauf à la fraction du pain. Et là, ils le reconnaissent comme le Verbe fait chair. Avant cela, il va les accompagner, les écouter, les questionner et les éveiller. Ce n’est pas une intervention de l’extérieur, c’est un accompagnement qui, d’après moi, change beaucoup de choses.»

l'abbé Gilles Nadeau
L’abbé Gilles Nadeau

Ce sentiment est également partagé par le père Gilles Nadeau que je rencontre à la Maison Michel-Sarrazin, un centre de soins palliatifs situé à Québec. Le père Nadeau y est présent depuis l’ouverture officielle il y a 33 ans. Lorsque je lui demande de m’expliquer son rôle au sein de la Maison, il répond aussitôt: «Accompagner les malades! Vous allez entendre souvent ce mot lors de notre entretien. C’est vraiment un concept fondamental en soins palliatifs tels que nous les concevons. Alors, mon but, ce n’est pas de les convertir. J’essaie de répondre à ce qu’ils me demandent. Ce sont eux qui font leur chemin. C’est leur mort à eux. Je ne suis qu’outil d’appoint.»

Même son de cloche du prêtre Michel Lafontaine, intervenant en soins spirituels pour plusieurs établissements hospitaliers dans les Laurentides. «Mon intervention n’a pas pour but de convertir la personne devant moi, mais de l’accompagner.» Celui qui ne porte pas le col romain à l’hôpital se dit conscient que «chaque être humain a sa propre spiritualité, c’est-à-dire le souffle intérieur forgé par la vie, les croyances, les valeurs, l’espoir, les blessures, etc., et qui fait que cette personne est ce qu’elle est aujourd’hui».

Les formes multiples de la spiritualité

«La spiritualité ne concerne pas juste Dieu», complète Nancy Johnson, intervenante en soins spirituels et maintenant coordonnatrice des soins spirituels dans un centre hospitalier situé à Cornwall, en Ontario. Ses yeux brillent lorsqu’elle parle de son travail: «La spiritualité peut se vivre sans que l’on soit dans une religion. C’est ce qui fait que nous ne sommes pas juste un corps qui vit et puis meurt. La spiritualité, c’est tout le reste.»

L’accompagnement spirituel en soins palliatifs contemporains reflète donc la réalité religieuse et spirituelle de la société québécoise. Cette dernière, qui aime se définir comme laïque, a pris ses distances des institutions religieuses. La recherche de sens, si elle existe, est souvent personnelle et sans lien avec les religions. L’athéisme y est également bien présent. C’est ce qui explique que les intervenants en soins spirituels cheminent avec les patients qui se définissent comme athées et qui demandent leur soutien.

C’est avec beaucoup de tact et de respect que Jean-Marc Barreau entre en dialogue avec les malades qui se disent incroyants et qui s’ouvrent à lui.

«Je ne me révèle pas tout de suite comme un ami de Jésus ou comme prêtre. Je pars de leurs contradictions. Je pars de leurs blessures. Et éventuellement, s’ils me le permettent, je les conduis vers une ouverture à Dieu.»

Le silence comme intervention

Pour sa part, le prêtre Michel Lafontaine, qui se décrit comme «un homme d’écoute, de présence et de compassion», précise que, pour lui, «l’exercice [du dialogue] n’est pas de confronter les différentes doctrines ou d’être un sauveur de l’Église et même de Dieu! J’accueille simplement les propos des personnes dans un respect profond, les considérant tout d’abord comme des humains en quête de sens, en quête d’espérance, en quête d’amour et de foi. Il m’arrive de passer une heure au chevet d’un patient qui m’exprime ses valeurs, ce qui le motive, ce qui le tient en vie aujourd’hui. Il y a parfois une belle ouverture sur la transcendance».

Nancy Johnson, quant à elle, se rappelle avoir été appelée au chevet d’un homme dans la cinquantaine qui se qualifiait d’athée et qui ne voulait pas mourir.

«Lorsque j’ai franchi le seuil de sa chambre, j’ai demandé intérieurement au Seigneur qu’il m’inspire et qu’il m’aide à l’aider! Je n’impose pas mes croyances, mais je m’y abreuve pour aller à leur rencontre.»

Elle demande alors au malade la permission de s’assoir. Elle lui prend la main. Il garde le silence.

«Je savais que je devais demeurer silencieuse.»

Elle sent qu’elle doit rester auprès de lui. Ce qu’elle fait avec son accord. Puis, il s’ouvre à elle.

«Cela a duré une heure! Il me dit que sa situation le fait “chier”! Je ne me formalise pas de son langage. Nous sommes dans du brut pur. Monsieur ne veut pas mourir! Il vit un mégadrame! Il me raconte sa vie. Puis il me dit: “Je n’ai rien fait de mal pour que cela m’arrive.” Nous n’avons pas parlé de Dieu… Mais ouf! nous avons parlé de ses valeurs, de ses rêves, de ses désirs et de ses souhaits qui se sont écroulés à cause de la maladie. Il a pris conscience que son père a vécu la même chose avant de mourir et qu’il peut lui demander de l’aider, de là où il se trouve. Il s’est ouvert alors qu’il était très renfermé.»

Cette dernière quête de sens est souvent accompagnée de rituels célébrés par les prêtres et par les laïques. Les malades qui le désirent peuvent vivre ces moments sacrés, chargés en émotions, avec leur famille. Les rituels prennent plusieurs formes selon la volonté des patients.

«Chaque fois que je célèbre soit l’onction des malades, soit la communion, soit juste une prière sous forme de bénédiction avec des personnes en fin de vie, je perçois un certain apaisement qui s’installe très rapidement», assure l’abbé Lafontaine.

La force du rite

Outre les rituels issus des grandes traditions religieuses, d’autres, plus personnalisés sont possibles. «Le service des soins spirituels est non confessionnel. Il est donc important d’être à l’écoute des patients et des proches, donc de leurs besoins spirituels et religieux», souligne Nancy Johnson.

Quand vient le temps de célébrer les derniers moments de vie, Mme Johnson déploie une grande flexibilité. Elle peut faire lire des textes sacrés ou des textes que la personne aimait. «Un jour, j’ai lu un texte de la petite-fille du patient. C’était tellement beau!» Un autre jour, c’est une comateuse qui ouvre les yeux alors que résonnait dans la chambre sa chanson préférée. Pour elle, les rituels sont des occasions uniques de toucher du doigt le sacré. «C’est super! Il y a quelque chose qui se passe. C’est le spirituel, cela nous échappe, mais ça nous porte.»

Les rituels sont apaisants pour le malade, pour sa famille et… pour celui qui les préside.

«J’avoue que je suis toujours pris d’une émotion profonde chaque fois que je redis et refais ces gestes à la fois si simples, mais aussi si riches de significations théologique et spirituelle!» me confie l’abbé Michel Lafontaine.

Pour être en mesure d’accompagner le malade et sa famille dans ces moments sacrés, la formation est capitale. Afin de devenir membres de l’Association des intervenants et intervenantes en soins spirituels du Québec (AIISSQ), les candidats doivent avoir obtenu un baccalauréat dans un domaine pertinent et avoir réussi une formation clinique, afin de répondre à des normes bien précises. Nancy Johnson en fait même son cheval de bataille, elle qui travaille actuellement à son doctorat sur le rôle des arts expressifs et contemplatifs en soins spirituels pour les personnes atteintes d’une maladie neurodégénérative.

«Il faut aller se chercher des outils et se former continuellement, dit-elle. Si quelqu’un pense qu’après un stage, c’est terminé, je me pose des questions, car une des compétences professionnelles que nous devons avoir est justement la capacité de nous recycler, de nous renouveler.»

La hauteur de la vulnérabilité

Le prêtre Jean-Marc Barreau croit également qu’«il est nécessaire de se former pour véritablement être à la hauteur de la vulnérabilité du patient. Ce n’est pas une formation uniquement intellectuelle. Je crois qu’il faut vraiment aller le plus loin possible dans la recherche pour être plus adaptés à la personne, à sa vulnérabilité. Plus elle est vulnérable, plus il faut comprendre les mécanismes de la vulnérabilité, de la conscience et de la complexité humaine.»

Père Jean-Marc Barreau

Évidemment, la formation, bien qu’elle soit nécessaire, n’est pas suffisante pour pénétrer sur la terre sacrée des patients et de leur famille. Inspiré par la théologie de Jean-Paul II, Jean-Marc Barreau parle des attitudes corporelles nécessaires afin de pénétrer sur cette terre sacrée. «C’est la manière de tendre la main. C’est la manière de s’assoir. C’est la manière d’écouter. C’est la manière de bénir une personne. Je peux bénir une personne d’en haut, comme si j’étais en chaire. Il y a une manière de bénir une personne d’en bas, car je suis l’ami du Christ qui, lui aussi, est en bas.»

Pour entrer sur cette terre sacrée, Nancy Johnson se rappelle qu’elle est un être humain qui a vécu des moments souffrants:

«C’est comme cela que je suis capable d’être en communion avec le patient. Je ne suis pas au-dessus de lui et lui en dessous de moi. Non! Je suis là d’humain à humain, de souffrance à souffrance. Je n’arrive pas avec mes grandes connaissances.»

Le père Gilles Nadeau lui fait écho: «J’entre sur leur terre s’ils le veulent bien. Ce que je vise, c’est de marcher avec eux, tant qu’ils le veulent, jusqu’au cœur, jusque dans les profondeurs de leur terre intérieure.»

L’abbé Michel Lafontaine abonde dans le même sens: «Dans le ministère que j’occupe à l’hôpital, il est très clair pour moi que je suis d’abord engagé comme intervenant en soins spirituels. Le costume du prêtre, mais plus encore mon être de pasteur et ses couleurs spirituelles s’expriment dans mon attitude, ma manière d’être, mon approche en douceur, mes paroles et ma tendresse pour toutes les personnes en milieu hospitalier: patients, familles, personnel, etc. Voilà comment je suis témoin de l’Autre Présence qui m’habite et qui passe à travers moi comme le souffle d’une brise légère. C’est ce que j’espère du plus profond de mon cœur.»

*

Accompagner l’ultime quête de sens n’est pas un emploi ordinaire. Ici, on touche du doigt l’ineffable.

La révolution qui ébranle le domaine des soins spirituels dans le système de santé change bien des choses. Plus que tout, elle souligne le rôle essentiel de la spiritualité chez l’humain, surtout lorsque ce dernier est en soins palliatifs.

Ces changements mettent également à l’avant-plan ces intervenants, véritables accoucheurs, qui servent parfois de pont entre la vie qui s’est terminée avec le dernier diagnostic et celle qui débute alors…


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Yves Casgrain

Yves est un missionnaire dans l’âme, spécialiste de renom des sectes et de leurs effets. Journaliste depuis plus de vingt-cinq ans, il aime entrer en dialogue avec les athées, les indifférents et ceux qui adhèrent à une foi différente de la sienne.