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Photo tirée de la page facebook de Place-Royale.

La tentation du Disneyland catho

La saison estivale n’est pas terminée que de nombreux touristes sont déjà venus découvrir notre coin de pays. Un tourisme de plus en plus populaire est celui qui concerne le religieux. Il y a quelques années déjà, les responsables d’associations touristiques de Québec et de Montréal prévoyaient que le nombre de ces pieux visiteurs allait doubler d’ici 2020. 

Nous ne pouvons que nous réjouir de ce regain d’intérêt pour notre patrimoine religieux.

Les principaux sanctuaires concernés par cette augmentation de fréquentation sont les lieux majeurs du catholicisme au Québec, soit la basilique Sainte-Anne-de-Beaupré, la cathédrale Notre-Dame-de-Québec, l’oratoire Saint-Joseph de Montréal et le sanctuaire marial du Cap-de-la-Madeleine près de Trois-Rivières. L’achalandage grandissant (de la fin mai au milieu septembre) apporte de nouveaux défis pour les responsables de ces sanctuaires.

Le premier d’entre eux est d’ordre financier.

Le tourisme rapporte aux églises par le biais de contributions volontaires: dons, vente de lampions, de souvenirs, etc. Cependant, il ne faudrait pas croire à la panacée puisque le visiteur ne sort souvent rien de sa poche.

Gare à la muséification!

La solution simpliste serait d’exiger un droit d’entrée comme dans un musée. Il y a eu des tentatives dans ce sens, comme à Notre-Dame-des-Victoires, située sur la Place-Royale à Québec. Or, on a abandonné le projet après un été tellement l’échec a été retentissant.

Il s’avérait moins payant pour la fabrique de charger à la porte que de demander une contribution volontaire. Les amants du patrimoine ne rechignent pas à payer leur entrée; il en est autrement pour tout ceux qui désirent y prier.

Autrement dit, c’est que le tourisme engendre des dépenses pour les sanctuaires sans nécessairement signifier une augmentation des revenus.L’une de ces dépenses est au niveau logistique.

D’une part, il faut engager des gens pour assurer une surveillance adéquate des lieux et pour guider les visiteurs. Ensuite, il faut souvent investir massivement pour avoir une structure d’accueil appropriée.

On n’a qu’à penser au projet en cours au Sanctuaire Notre-Dame-du-Cap qui prévoit la construction d’un pavillon d’accueil et d’une aire de service adjacente. Cette vision est celle d’une conciliation entre deux réalités, l’une qui est touristique et l’autre religieuse.

Les fabriques ont donc le défi de jongler entre la fonction première d’un lieu dédié à la vie spirituelle et l’immense risque de muséification.

Dans le cas de ce sanctuaire, les limites sont claires: restaurants, boutiques souvenirs et aires de services seront en dehors des lieux dédiés au culte. La basilique Sainte-Anne-de-Beaupré est un autre bon exemple de conciliation réussie avec des attraits touristiques qui sont en dehors du périmètre du sanctuaire.

Les fabriques ont donc le défi de jongler entre la fonction première d’un lieu dédié à la vie spirituelle et l’immense risque de muséification.

Difficile conciliation

Malheureusement force est de constater que la cohabitation entre le culte et le tourisme n’est pas toujours réussie…

Le sanctuaire diocésain de Sainte-Thérèse-de-Lisieux à Québec est un exemple de conciliation plus difficile entre tourisme et patrimoine.La première chose qui frappe en entrant dans le sanctuaire est la quantité astronomique de panneaux indicatifs et informatifs.

Les murs sont tellement tapissés qu’on peine à trouver le chemin de croix! Certes, les informations qui s’y trouvent sont pertinentes (on nous renseigne sur la vie de sainte Thérèse et sur l’histoire du sanctuaire), mais le tout déguise le lieu qui finit par ressembler plus à un musée qu’à une église.

À Notre-Dame-de-Québec, la fabrique a fait un choix similaire: plusieurs panneaux se dressent dans les nefs, sans toutefois être aussi présents qu’à Sainte-Thérèse. On remarque cependant que la chapelle latérale près du narthex a été sacrifiée pour faire une boutique souvenir, en extra de l’autre située à l’arrière du bâtiment dans une ancienne sacristie.

Le choix le plus osé est cependant la présence d’un employé incarnant Henri de Bernières, le premier curé de la paroisse à l’époque de la Nouvelle-France.

Ce choix, que les muséologues nomment reenactment (litt. reconstitution), s’explique sans doute par sa grande popularité auprès de la clientèle américaine qui est la plus nombreuse dans le Vieux-Québec. Cette technique muséologique a fait ses preuves dans de nombreux endroits de par le monde. On n’a qu’à penser aux multiples villages d’antan qui nous proposent des rencontres avec «l’habitant authentique» d’une autre époque.

Intérêts divergents

Cette technique du reenactment a des vertus pédagogiques et vulgarisatrices indéniables. Mais est-ce vraiment approprié pour un sanctuaire national? D’autant plus que les visiteurs s’attendent à rencontrer de vrais prêtres dans une église…et non pas un comédien !

Est-ce qu’il n’y a pas un risque que l’endroit devienne une espèce de Disneyland version «catho»?   Des initiatives de la sorte contribuent à une confusion des usages religieux et muséologiques des lieux.

 Est-ce qu’il n’y a pas un risque que l’endroit devienne une espèce de Disneyland version «catho»?

Les fidèles les plus ardents vous diront qu’il faut revenir à une certaine vision issue d’un passé souvent idéalisé, voire fantasmé, et évacuer complètement la dimension touristique au profit d’un usage exclusivement religieux.

Ce point de vue est irréaliste dans un contexte de modernité où les déplacements touristiques sont de plus en plus accessibles. Il est tout aussi irréaliste de penser que seuls les croyants visitent les lieux de cultes.

À l’autre extrême, il faut également éviter que ces lieux religieux hérités de nos ancêtres ne deviennent que des musées.


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Emmanuel Lamontagne

Emmanuel est historien de l'art et de l'architecture. Il se spécialise en iconographie et en architecture religieuse. Il travaille présentement dans le domaine de la conservation du patrimoine bâti.