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Photo : Tony Webster / Flickr

Pour une politique patrimoniale nationale

Les bâtiments patrimoniaux protégés au Québec sont nombreux. Cependant, le système comporte toujours des lacunes importantes. L’arbitraire et l’oubli de la hiérarchisation trouveraient certainement un remède dans la création d’un comité national d’experts.

Le 29 mai dernier, le gouvernement du Québec émettait un avis d’intention de classement comme bien patrimonial de l’église du Très-Saint-Sacrement de Québec. Mon collègue Francis Denis a d’ailleurs écrit sur le sujet. La polémique autour de ce sujet révèle toutes les incohérences du programme de classement. Parce qu’au-delà des belles annonces des politiciens, il y a toute une façon de faire qui est complètement déficiente au niveau du patrimoine québécois. D’ailleurs, la vérificatrice générale du Québec tapait dernièrement sur les doigts du gouvernement à ce propos.

Commençons par voir l’état actuel des choses. Comment est-ce que ça fonctionne pour faire classer un bien ? Essentiellement, vous avez besoin d’un groupe de pression et de volonté politique, sinon pas de classement.

Le système québécois de classement fonctionne toujours plus ou moins de la même manière que dans le temps de l’historien d’art Gérard Morisset, qui a réalisé le tout premier répertoire des bâtiments patrimoniaux et des œuvres d’art du Québec… entre 1937 et 1969 ! 

Un système trop arbitraire

À force de pression auprès des gouvernements successifs, Morisset a été en mesure de faire mettre en place la notion légale de « bien patrimonial national ». Celle-ci peut être obtenue pour un objet, par exemple un tableau, une sculpture, une pièce d’orfèvrerie, etc., ainsi que pour un bâtiment unique, disons une église, comme c’est le cas avec Saint-Sacrement. L’étiquette peut aussi couvrir un groupe de bâtiments, par exemple l’ensemble conventuel de l’Hôpital Général de Québec. Ce classement vient protéger légalement le bien contre sa vente à l’étranger dans le cas d’un objet et empêche la démolition et les modifications dans le cas des bâtiments. 

Le problème est que les classements patrimoniaux reposent essentiellement sur le bon vouloir des bonzes du ministère de la Culture et sur l’autorité du ministre en place. Le Québec n’a aucune politique coordonnée, et encore moins indépendante du politique, en matière de classement. Il n’existe aucun comité indépendant d’historiens, d’archéologues, d’ethnologues et d’historiens de l’art et de l’architecture qui évalue les propositions. Tout passe par des groupes de pression et par la volonté ministérielle. 

Ce qui nous mène à deux cas de figure absurdes qui sont malheureusement fortement possibles : 

  1. Un élément hautement patrimonial sans portevoix qui n’est pas classé parce qu’en dehors du radar du politique. 
  2. Un élément à l’intérêt patrimonial discutable qui avec l’appui d’un groupe de pression organisé finit par être classé parce que le politique s’en mêle. 

La solution est pourtant simple : créer un comité permanent d’experts en patrimoine. Indépendant du ministère, il aurait pour mandat de faire l’inventaire des biens existants et de recommander ou non un classement. 

La valeur négligée

Cet exemple par des cas extrêmes nous mène à l’autre grande lacune du système actuel : une fois classés, il n’y a aucune hiérarchie entre les éléments patrimoniaux. Cela a pour conséquence qu’au niveau de l’État, un bien d’importance majeure (historiquement, stylistiquement, selon les artistes y ayant contribué, etc.) aura le même traitement qu’un bien mineur. 

Pour illustrer par l’absurde, disons qu’au niveau du classement un endroit comme la chapelle des Ursulines de Québec, bâtiment colonial français avec son décor d’origine, sera sur le même pied d’égalité qu’une église de campagne des années 1950 entièrement remaniée trois fois depuis… En mettant en place une telle hiérarchie, toujours basée sur les recommandations de comités d’experts, il serait possible pour l’État de mettre en place des niveaux d’investissement selon l’importance des biens classés. 

Qu’on le veuille ou non, tôt ou tard, c’est la question financière qui revient toujours. C’est bien beau dire pour faire chic politiquement et se donner une bonne conscience qu’on classe un bien X, mais si le financement ne suit pas, cela ne sert absolument à rien au niveau de la préservation.

L’exemple du Cyclorama de Jérusalem est à ce sujet parlant : il s’agit d’une œuvre exceptionnelle et unique au monde, que l’État a classé en vitesse pour en empêcher la vente ; toutefois, il demeure toujours fermé à ce jour, faute de projet réel et de financement. Pour le cas des bâtiments, l’autre question importante est ainsi celle de l’usage.

Il me semble que nous aurions tous intérêt à investir dans une politique patrimoniale nationale afin de préserver notre héritage commun pour les générations futures. 


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Emmanuel Lamontagne

Emmanuel est historien de l'art et de l'architecture. Il se spécialise en iconographie et en architecture religieuse. Il travaille présentement dans le domaine de la conservation du patrimoine bâti.