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Vatican II – histoire d’un concile

À l’occasion du 50e anniversaire de la clôture du concile Vatican II (1962-1965), Le Verbe vous présente un résumé des premiers chapitres de l’ouvrage de Philippe Chenaux intitulé Le temps de Vatican II. Introduction à l’histoire du Concile*, où sont rappelés les étapes préparatoires et le déroulement session par session de ce que Charles de Gaulle considérait comme « l’évènement le plus important du XXe siècle. »

L’ouvrage débute par une description du climat ecclésial qui prévalait à Rome et dans la catholicité en général avant l’élection de Jean XXIII. L’Église était alors soumise à deux influences ou dynamiques spirituelles majeures, soit le pontificat de Pie XII et l’émergence de divers mouvements ecclésiaux (mouvement liturgique, mouvement biblique et patristique, mouvement marial, mouvement œcuménique, mouvement du laïcat) particulièrement (ré)novateurs.

À lire P. Chenaux, on comprend mieux comment le pape Pacelli fut à la fois un gardien intransigeant de l’orthodoxie, un homme attentif aux signes des temps et un pontife dont la fin de règne fut marquée par une certaine frilosité de l’Église à l’égard de la nouveauté, pour ne pas dire une frilosité certaine. Cette réserve excessive explique que le développement des études bibliques, l’œcuménisme et l’apostolat des laïcs – toutes choses portées par des mouvements de renouveau – marquèrent le pas dans les années 50.

L’amorce

C’est à ce moment-là que le cardinal Roncalli arriva de Milan pour s’installer sur le siège de saint Pierre, en prenant le nom de Jean XXIII. « Jean XXIII n’était pas un pape progressiste : cette image a été construite après sa mort et après le concile. Elle ne correspond pas à la réalité de l’homme Angelo Guisseppe Roncalli, qui était un homme de tradition (mais non pas un traditionaliste), un ‘prêtre à l’ancienne’ attaché à la grande tradition de l’Église. »

L’idée de réunir un concile s’imposa à lui dès son élection en octobre 1958. Sa décision fut annoncée le 25 janvier 1959 à « un petit groupe de cardinaux ».

La préparation du concile commença le 17 mai 1959, « avec la décision […] d’instituer une commission antépréparatoire présidée par le cardinal secrétaire d’État Domenico Tardini. » La commission antépréparatoire eut entre autres « pour charge ‘de prendre contact avec l’épiscopat catholique des différentes nations pour en obtenir des conseils et des suggestions’. » Le chapitre IV du livre de Chenaux rend compte des diverses propositions faites par les évêques, par exemple « l’approfondissement de la réforme liturgique ».

Les écueils

Tout l’épiscopat s’entendait sur le fait qu’il fallait parler de certains sujets, mais tous les évêques ne s’entendaient pas sur la manière de les traiter. Certains voulaient s’inscrire dans la continuité des luttes contre les dérives modernistes à l’intérieur de l’Église, d’autres voulaient davantage « se mettre à l’écoute du monde contemporain pour chercher à répondre à ses attentes. »

La seconde phase, dite préparatoire, débuta le 5 juin 1960, avec l’institution de 10 commissions préparatoires chargées des différents dossiers (doctrine, liturgie, œcuménisme, laïcat, etc.) et d’une commission centrale préparatoire présidée par le pape. Les tensions déjà perceptibles dans la phase antépréparatoire se manifestèrent une fois de plus, en particulier parmi les membres de la commission centrale. « Les débats de la commission centrale préparatoire préfiguraient déjà la dynamique du concile » nous dit P. Chenaux.

À cet écueil des différences de sensibilités traversant l’Église s’ajouta celui de la monopolisation du concile par les membres de la Curie. Après quelques mois seulement, « le concile Vatican II était devenu, avec le travail des commissions préparatoires, un évènement essentiellement ‘romain’. Malgré les efforts faits par les évêques pour tenir éveillée l’attention de leurs fidèles, l’intérêt du grand public pour l’évènement qui se préparait ‘tendait à s’atténuer’. » Des initiatives dans le monde culturel et médiatique surgirent tout de même, qui permirent au peuple de Dieu de s’impliquer.

Les acteurs

Le concile rassembla différentes catégories d’acteurs. D’abord, les pères conciliaires (cardinaux, patriarches, évêques, etc.): « entre deux mille et deux mille deux cents membres, selon les sessions et les moments. » La vaste majorité d’entre eux (environ 80%) inclinait pour l’aggiornamento. Parmi les partisans des réformes se trouvaient entre autres le cardinal Léon-Joseph Suenens et Gionvanni Battista Montini (futur Paul VI). Le cardinal Ottaviani et Mgr Marcel Lefebvre se trouvaient du côté des intransigeants.

Plusieurs pères conciliaires se firent accompagner d’un expert. Ce fut le cas de l’archevêque de Cologne, le cardinal Frings, qui demanda à un jeune professeur de théologie dogmatique de l’université de Bonn, Joseph Ratzinger, de le suivre à Rome.

Jean XXIII ouvrit aussi le concile aux frères orthodoxes et protestants, qui envoyèrent des délégués, reçus en qualité d’observateurs. « Une autre catégorie de participants fut celle des auditeurs » laïcs. Bien qu’ils furent peu nombreux, « la contribution des auditeurs laïcs à l’avancement des travaux conciliaires fut loin d’être insignifiante ». Le plus célèbre d’entre eux est probablement le philosophe français Jean Guitton (1901-1999), qui était de surcroit un ami personnel de Paul VI. « Une autre forme de présence des laïcs au concile, bien que plus marginale et extérieure, fut celle des journalistes et des chroniqueurs », qui permirent au concile de devenir un véritable « événement médiatique. »

L’ouverture

« Le concile Vatican II s’ouvrit le 11 octobre 1962. » La « séance solennelle d’inauguration » fut marquée par le discours du pape Jean XXIII, qui manifesta clairement sa volonté de renouveler, grâce aux discussions du concile, la manière d’annoncer l’Évangile. Son attitude incitait à rompre avec la fièvre obsidionale qui affectait l’Église depuis Pie IX au moins, et à aborder l’avenir avec foi et espérance. Le ton était donné. La première session, qui ne déboucha sur l’adoption d’aucun texte, permit toutefois aux participants, en particulier aux évêques, de s’approprier l’instrument du concile et de prendre ainsi conscience du rôle déterminant qu’ils pouvaient y jouer, après des années passées sous la tutelle parfois sclérosante de l’autorité pontificale.

Forts de cette collégialité épiscopale retrouvée, les évêques profitèrent de la première intersession (décembre 1962-septembre 1963) pour rediscuter et refondre les schémas théologiques élaborés durant la phrase préparatoire. Aux dires de certains historiens, on assista là à une « seconde préparation du concile. »

Les deux autres évènements marquants de cette première intersession furent la mort de Jean XXIII, le 3 juin 1963, et l’élection consécutive de son successeur, Paul VI, le 21 juin 1963. Paul VI avait des raisons d’être du concile une compréhension similaire à celle de son prédécesseur. Dans une lettre pastorale datée du 22 juin 1962, n’avait-il pas écrit que « Vatican II serait plus un concile d’ ‘exhortations’ que d’ ‘anathèmes’ »?

Les travaux

La deuxième réunion du concile, tenue du 29 septembre au 4 décembre 1963, s’ouvrir sur une allocution de Paul VI confirmant l’orientation essentiellement pastorale du concile et permit d’accoucher des premiers documents conciliaires : Inter mirifica, sur les communications sociales, et Sacrosanctum concilium, sur la liturgie.

La deuxième intercession vit le pape se rendre en Terre sainte et rencontrer le patriarche de Constantinople, Athénagoras (janvier 1964). Ecclesiam suam (6 août 1964), première encyclique du nouveau pontife, traduisit la volonté de ce dernier d’entrer en conversation fraternelle avec le monde, et « deux nouveaux organismes » vinrent s’ajouter à la curie, de manière à passer de la parole aux actes: le Secrétariat pour de dialogue avec les religions non chrétiennes (renommé « Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux » en 1988) et le Secrétariat pour le dialogue avec les non-croyants (intégré au Conseil pontifical de la culture en 1993).

L’assemblée conciliaire se réunit une troisième fois, du 14 septembre au 21 novembre 1964 et permit, au-delà des tensions entre partisans de l’aggiornamento et ceux du statu quo, de faire aboutir la rédaction de trois documents, dont la constitution dogmatique Lumen gentium sur l’Église. Les commissions conciliaires et les conférences épiscopales s’affairèrent durant la troisième intercession (novembre 1964-septembre 1965), car il restait onze textes à composer sur les sujets les plus divers (« l’apostolat des laïcs, les missions, la liberté religieuse », etc.)

L’aboutissement

Tous ces textes furent adoptés et promulgués durant la quatrième et dernière session du concile (14 septembre-7 décembre 1965). En inaugurant cette ultime session, « Paul VI fit deux annonces importantes: il créerait un synode des évêques et visiterait le siège de […] l’ONU », visite qu’il fit effectivement le 4 octobre 1965. « Le dernier jour du concile (7 décembre 1965), eut lieu la cérémonie de levée des excommunications réciproques de 1054 », qui avaient scellées le schisme avec l’orthodoxie.

« La cérémonie de clôture se déroula le jour suivant, 8 décembre 1965. […] À la fin de la messe, furent lus sept messages (voulus par le pape) au nom du concile et adressés aux différentes catégories de l’humanité: les gouvernements, les hommes de pensée et de science, les artistes, les ouvriers, les femmes, les jeunes, les pauvres, les malades, et tous ceux qui souffraient. […] Parmi les intellectuels, c’est le philosophe Jacques Maritain qui fut choisi » pour recevoir symboliquement le document après lecture publique.

« Ces messages pouvaient être vus comme un complément à la constitution dogmatique Gaudium et spes qui venait d’être promulguée » et qui, par son fameux préambule, manifeste le plus clairement l’esprit généreux dans lequel s’est déroulé le concile Vatican II. Cet esprit dont tous allaient bientôt se réclamer, alors qu’une « nouvelle époque s’ouvrait dans l’histoire de l’Église, celle de la réception et de l’application » des enseignements du concile.

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Note :

* Philippe CHENAUX, Le temps de Vatican II. Une introduction à l’histoire du Concile, DDB (coll. Pages d’histoire), 2012, 227 p. L’auteur est professeur d’histoire de l’Église moderne et contemporaine à l’université du Latran.

 

Alex La Salle

Alex La Salle a étudié en philosophie, en théologie et détient une maîtrise en études françaises. Il travaille en pastorale au diocèse de Montréal.