Photo: Fotolia
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Jeter de l’eau sur la braise

– Madame, on va vous changer de bord, d’accord?

L’infirmière fait signe de se tasser à la jeune fille accroupie à la tête du lit. Elle fait un signe pour s’écarter, mais sa grand-maman mourante ne lui lâche pas la main.

– Je vais revenir, je ne pars pas… Ils vont juste te changer de bord. Je reste ici. Ne t’en fais pas.

Ses yeux sont fermés : ils ne parlent plus. Son visage est à ce moment tendu : c’est avec lui qu’elle s’exprime. Tout ce que son corps absorbe, c’est ce qui endort sa douleur. Mais rien n’endort celle de la jeune fille à la tête du lit… ni celle de tous les visiteurs au cœur brisé qui se succèdent à cet endroit.

Rien n’endort cette douleur, vraiment?

Le docteur guérit-tout

Il semblerait que le Québec se porte à l’avant-garde du remède contre la souffrance. C’est tout simple : provoquer la fin de vie de la personne qui ressent cette souffrance… et, du coup, stopper aussi la souffrance causée aux proches qui supportent le mourant.

Celui ou celle qui connait la comptine de camp d’été du « docteur guérit-tout » grince surement des dents en entendant les débats sur l’euthanasie et le suicide assisté au Québec.

Évidemment, la petite chanson à répondre n’a aucune prétention à la morbidité. Mais on y trouve quand même les paroles suivantes :

« Un patient est arrivé
Parce qu’il avait mal au nez
On lui a coupé
Un bout de nez!
Ah c’est le docteur guérit-tout!
Qui a un remède à tout! » 

Et ainsi de suite, jusqu’à ce que le patient comprenne la méthode « curative » du médecin en question.

Nos médecins québécois seraient-ils devenus des docteurs guérit-tout?

On dira, la voix scandalisée : Mais quel manque de compassion que de présenter les choses ainsi! Quel manque de cœur!

Vraiment?

C’est pourtant le contenu du projet québécois sur l’euthanasie, dont la Cour suprême du pays vient d’invalider quelques articles. La Belle province allait nous offrir ce beau cadeau de Noël – des Fêtes, devrait-on dire – cette année, le 10 décembre.

On se modernise!

Devant le constat d’une lumière un peu chancelante d’une vie qui s’éteint, on voudrait réagir en mettant une sorte d’interrupteur. La lumière vacillante et faible, qui ne tient qu’à un souffle, nous gêne. Alors on se modernise!

On jette de l’eau sur la braise d’une vie qui achève de se consommer.

L’interrupteur se révèle très pratique. Il permet d’éteindre d’un coup, sans effort. À notre guise. Sous notre contrôle.

Sous prétexte de ménager la personne souffrante, on évite un processus difficile sur lequel on n’a que trop peu de prise : la souffrance. Mais qui est-ce qu’on ménage?

On jette de l’eau sur la braise d’une vie qui achève de se consommer. Pourquoi endurer cette baisse de lumière, quand on a des moyens modernes? Passons à l’électricité et, tant que nous y sommes, nationalisons-la! Cependant, s’il y avait un dernier héritage que la femme mourante aimerait transmettre à sa petite-fille, ce serait son « secret de grand-mère », un remède à base de véritable compassion.

Un remède de grand-mère

Il n’y a pas de calmant pour un cœur brisé… au risque de paraitre sentimentale. Il n’y a pas de morphine qui apaisera la douleur que ressentiront les visiteurs qui passent chez la dame qui quitte doucement ce monde. La grand-maman de la jeune fille. La mort n’a pas de remède : elle vient, inexorablement.

Mais aujourd’hui, on a confondu la mort avec un remède. Non pas au nom d’une abominable cruauté, mais au nom de la compassion. La compassion pour qui?

Devant la mort prochaine d’un être cher, si on affronte le flot de souvenirs qui nous submerge, lorsqu’on fixe douloureusement le visage de cette personne, on choisit d’embrasser la souffrance. Malgré la terrible inquiétude qui s’enroule autour de nous, comme en sourdine, telle une anguille sournoise dans ce flot d’images du passé : « Un jour, ce sera ton tour… »

La compassion est peut-être mal comprise. Mal comprise parce qu’incomplète. L’aspect de la compassion qui nous manque, c’est celui du souci actif et constant du cœur de celui qui souffre. C’est une préoccupation qui dépasse celle du corps, tout en l’englobant. C’est un vrai remède de grand-mère, tellement plus efficace que toutes les injections… car on y injecte l’amour, comme une véritable transfusion sanguine.

Ce remède de grand-mère, c’est tenir une main, lire un livre à voix haute en ne voyant quelquefois plus les lignes, à cause des larmes… c’est replacer les cheveux, c’est donner à boire, c’est chanter, c’est encourager à persévérer jusqu’à la fin, assurer une présence réconfortante.

Cette compassion véritable pallie les limites de la médecine, qui soigne le corps. Les grands-mamans ont toujours compris ça, mystérieusement. Au-delà du corps, il y a un cœur. Et un cœur négligé est une bien plus grande souffrance qu’un corps affligé.

Mais qui transmettra le secret de ce remède de grand-mère aux Québécois? Comment les jeunes pourront-ils apprendre ce trésor de compassion, s’ils ne peuvent plus s’agenouiller près de leurs aïeuls mourants… qu’on aura achevés par compassion?


Estelle Cloutier

Intéressée par les arts et passionnée par les enjeux sociaux, Estelle est une étudiante aux cycles supérieurs.