Cette semaine, j’ai écouté le documentaire de Bernard Derome intitulé « Crise d’identité » et dans lequel il tente, selon le synopsis, de répondre à la question suivante : L’identité québécoise, composée d’une histoire, d’une langue et d’une culture distinctes, signifie-t-elle encore quelque chose en 2015?
Bien que l’adage selon lequel « poser la question c’est y répondre » m’indiquait que les dés étaient pipés avant même que j’aie regardé le film, je me suis dit que le visionnement en vaudrait la peine, à tout le moins pour l’écriture de la critique que voici, souhaitant qu’elle serve éventuellement d’antidote.
Le sujet m’intéressant à priori, j’étais tout de même intrigué par les nouveaux arguments que j’espérais y voir. Je dois dire que mon instinct ne m’a pas trahi. Non seulement ce documentaire n’apporte aucune réponse à la fausse question qu’il pose, mais la négation même du problème dont ce documentaire se fait l’avocat me semble être symptomatique du problème qui touche une partie de la population du Québec.
Transcendance, grande absente
Sans entrer dans les détails du va-et-vient des différentes questions et réponses, il me semble que globalement on esquive le nœud du problème qui est celui du sens et de la transcendance, du fait que l’homme ne peut trouver sa raison d’être qu’en dehors de lui-même.
Malheureusement, ici on tente encore une fois d’avoir une prise sur nous-mêmes par l’entremise de grands idéaux de justice sociale et d’une morale supérieure à laquelle nous adhèrerons supposément et qui pourrait être notre spécificité.
Cependant, et à juste titre, on se rend bien compte que ce « modèle », cette idéalisation de nous-mêmes, ne leurre désormais plus personne. De ce constat intéressant, j’osais espérer que ce nouveau documentariste se rendrait compte que la moralité n’est que la partie « visible » de ce que nous appelons l’univers du « sens » et qu’il irait, à tout le moins, un peu plus loin que la simple morale et qu’on pourrait enfin s’approcher des racines métaphysiques de notre mal collectif.
Au contraire, cette brève sortie de ce que le professeur et philosophe Thomas De Koninck appelait le « quotidien abyssal » n’aura servi que de tremplin pour mieux y replonger.
Le discours dominant
De fait, dans ce documentaire, le très mince questionnement qu’on y trouve sur les réalités fondamentales de l’existence humaine devient une excuse pour nous resservir une énième fois la bouillie prête-à-penser anticléricale habituelle.
Bref, on reste sur la description de banalités telles que nos hivers rigoureux ou notre caractère qualifié de « pacifique ».
Aucune réflexion sur le sens de la vie individuelle et collective, sur la destinée des peuples et le sens de l’histoire. L’horizon qu’on nous présente manifeste toujours une interrogation pensant trouver des réponses en se regardant soi-même dans un miroir, ignorant les limites qu’une telle représentation peut avoir.
Bref, on reste sur la description de banalités telles que nos hivers rigoureux ou notre caractère qualifié de « pacifique ». Le problème c’est que l’homme n’est pas un animal qui rampe, mais un animal qui se tient debout ; qui ne peut comprendre l’horizon que parce que le ciel occupe la moitié du paysage qui s’offre à son regard.
Ce manque de référence aux questions de sens, bien qu’étant le problème fondamental de la soi-disant « crise d’identité » du Québec ainsi que la défaillance majeure du documentaire de Bernard Derome, est toutefois une conséquence d’un autre problème dont l’esquive n’empêche pas de voir l’éléphant dans la pièce.
Créer l’identité
Selon moi, la qualité et le manque de diversité des interventions nous orientent bien vers la source sociale et philosophique du problème québécois. Outre le fait que certains intervenants ne semblaient jamais s’être posé la question avant qu’on la leur pose devant une caméra, ce qui m’a le plus surpris c’est le regard de fascination de l’animateur Derome devant la médiocrité de certains propos tenus.
À l’exception de Brian Mulroney, Louis Garneau, Dominique Anglade et Jean-Philippe Warren, le documentaire n’interroge que ceux que l’on pourrait qualifier de « classe artistique québécoise ». Demander à des créateurs de nous décrire ce qu’ils considèrent être l’identité québécoise, c’est présupposer une donnée fondamentale : l’identité est davantage quelque chose de créé que de reçu.
Or, cela n’est pas évident du tout. D’où la crise qui nous afflige tant et qui se manifeste de façon sporadique lorsque des évènements nous touchent collectivement. Nous revenons ainsi à la question de départ : L’identité québécoise, composée d’une histoire, d’une langue et d’une culture distinctes, signifie-t-elle encore quelque chose en 2015 ?
Ce « encore » signifie que l’on suppose que l’identité de l’individu moderne n’est plus un donné reçu ou, en d’autres termes, qu’elle n’est plus quelque chose de transmis, mais, au contraire, qu’elle est d’abord créée par sa volonté et ses choix.
Identité acquise ou transmise ?
Certes, « mettre la charrue derrière les bœufs » aurait demandé à ce que le reporter Bernard Derome se pose premièrement la question de la transmission, mais le dogmatisme avec lequel les intervenants tiennent cela pour acquis ne manifeste qu’un aveuglement presque invincible.
Sans limites, aucune caractéristique d’un peuple ne peut être perçue comme « autre ».
En effet, ce qui saute aux yeux, c’est que cela lui apparait être un acquis. D’où la suite logique de son documentaire dont la conclusion semble bien avoir été arrangée par le « gars des vues ». Si l’identité est (ou plutôt doit être) fondamentalement créée par l’individu, alors aucune limite n’existe.
Or, sans limites, aucune caractéristique d’un peuple ne peut être perçue comme « autre ». Ainsi, impossible d’avoir une identité collective. D’où la conclusion relativiste de Derome sur la caducité de la question identitaire au Québec et ailleurs. Toutefois, l’identité d’un peuple est façonnée différemment selon les pays, etc., mais ce qui en fait l’essence n’est, bien sûr, ni la race, ni l’idéologie politique, mais l’acceptation ou le fait d’assumer un patrimoine.
Autrement dit, faire siens l’histoire, les bon et mauvais évènements, la langue et, j’ajouterais, la cosmologie (au sens aristotélicien du terme) d’un peuple et d’un territoire pour y puiser les principes d’interprétation du monde dans lequel on vit. Voilà ce qui pour moi fait l’identité.
C’est pourquoi je ne vis personnellement aucune crise d’identité et que, peut-être, ils en vivent une…
Le prix du pacifisme
Le documentaire de Bernard Derome soulève le caractère pacifique des Québécois, leur incapacité à débattre fortement de leurs idées, enclins qu’ils sont à « rejeter l’adversité ». Le faible retentissement de ce documentaire est peut-être le contreargument le plus fort de ce supposé constat.
Étant d’une rectitude et d’une uniformité dignes de la littérature hagiographique, il est tout naturel qu’il soit passé aussi inaperçu qu’il a amené d’idées nouvelles. En fait, c’est ce que je retiens de ce documentaire.
J’en garderai le souvenir d’une description de l’univers d’une partie de la population du Québec, incapable d’aborder les questions qui fâchent, préférant se mettre des œillères plutôt que de payer le prix de la chicane. Laquelle confrontation n’aura pas lieu, même si elle aurait pu aider ceux et celles qui vivent difficilement ce vide qu’ils ressentent.