chrétiens
Jules-Élie Delaunay, La peste à Rome (1859). Wikimedia Commons

La peste et les chrétiens : une histoire d’amour ?

Entre 165 et 190, une épidémie de ce qu’on pense aujourd’hui être la variole éclot dans l’Empire romain. De l’année 250 à l’année 266, c’est la rougeole qui décime entre un quart et un tiers de la population de l’Empire. L’historien Rodney Stark estime que, lors de ces crises, les actions des chrétiens pour aider les malades ont été si exceptionnelles et transformatrices qu’elles ont contribué à la montée décisive du christianisme.

Ce qui choque dans les témoignages de l’époque, c’est, comme l’a analysé l’historien Rodney Stark dans son ouvrage L’essor du christianisme (1996), la réaction extraordinaire des chrétiens durant cette pandémie. 

Les « Galiléens » : les soldats de la charité 

En effet, ils sont impressionnants. Ils donnent des soins essentiels aux malades chrétiens et païens confondus, en plus de leur fournir souvent eau et nourriture. Ils font ainsi preuve d’une solidarité à mille lieues de ce qui avait été observé lors les épidémies précédentes.

Les païens, en comparaison, à la fois durant ces épidémies et durant la peste d’Athènes rapportée par Thucydide (430-426 av. J.-C.), ont comme réaction naturelle la fuite hors des grandes villes et le rejet des malades. Les plus aisés fuient vers leur maison de campagne. D’autres, nous rapporte saint Denys d’Alexandrie en 260, sans pouvoir quitter la ville, repoussent les malades ; par peur de la contagion, ils les traitent déjà comme des morts.

Seuls les chrétiens, munis du commandement premier de l’amour, prennent soin des malades et restent solidaires, au risque même de la mort. 

Le Dieu chrétien est une nouveauté aux yeux des Romains. Non seulement il aime ardemment les humains, mais il leur demande même d’aimer les autres humains comme lui les aime. Les frontières de la religion et de la famille ne freinent pas cet appel à un amour universel et sans limites. 

La vie après la mort

Ce n’est pas seulement les actions des chrétiens qui impressionnent. C’est aussi leur compréhension de la vie et de la mort. Durant la deuxième épidémie (250-266), saint Cyprien, évêque de Carthage, transmet un témoignage essentiel concernant les actions des chrétiens : 

[Les décès causés par l’épidémie] sont pour nous des exercices ardus, non pas des morts. Ils offrent à l’esprit la gloire de la fortitude […]. Nous savons que nous ne sommes pas perdus, mais envoyés en avant. (De Mortalitate, chapitres 16 et 20)

Cette conception de la vie humaine confère une grande espérance aux victimes de l’épidémie. À travers la souffrance, la promesse du Royaume des Cieux constitue un grand réconfort qui rend manifestes les absences théologiques du paganisme romain. 

Surtout, ce dernier ne permet pas la possibilité d’un lien d’amour avec la divinité. Les dieux païens sont plutôt des figures que l’on vénère en échange de certains biens terrestres. La seule idée de la vie après la mort en tant qu’une possible béatitude éternelle est, pour la plupart des gens, impensable. C’est ainsi que, sans promesse de salut et sans exigence d’amour profond et sacrificiel, les religions païennes ne pouvaient ni rassurer la population sur la destinée humaine ni la guider vers l’action juste et charitable. 

Des Romains à aujourd’hui

Évidemment, aujourd’hui, les sociétés ont évolué dans le sens des valeurs chrétiennes. 

Généralement, on reconnait la dignité intrinsèque de chaque personne ainsi que son droit à la vie et à l’amour. 

Pourtant, ne serait-ce que par le fait de vivre une crise sanitaire où l’imprévisible cède à l’inconnu, nous nous retrouvons en quelque sorte dans une situation semblable à celle des Romains des IIe et IIIe siècles. 

Bien sûr, la science médicale a beaucoup progressé depuis l’Antiquité et les soins de santé sont assurés par des gens formés pour exercer ces métiers. Les soins physiques ne sont pas le lot nécessaire des chrétiens. 

Cela dit, on doit quand même s’inspirer des élans d’amour charitable et de l’espérance profonde des premiers chrétiens. Car, comme a dit saint Paul : 

[Ce] n’est pas un esprit de peur que Dieu nous a donné, mais un esprit de force, d’amour et de pondération. (2 Tm 1, 7)

Isabelle Gagnon

Doctorante en lettres à l’Université du Québec à Rimouski, Isabelle étudie les littératures de langue française et celles de l'Antiquité classique. Épouse et mère, elle s'émerveille devant les réalités du quotidien autant que devant les illustres récits et poèmes du passé.