Tourner le fer dans la plaie?

Qui porte la faute des abus pédophiles en Église? Les prêtres qui les ont commis? Les prélats qui les ont camouflés? Le patriarcat qui les a structurés? Le relativisme moral qui les a dédramatisés? La révolution sexuelle qui les a stimulés? Les réseaux homosexuels qui les ont facilités? Le diable qui les a inspirés?

Toutes ces réponses ont été offertes, ainsi que plusieurs autres. Chacune fut accueillie avec plus ou moins de sérieux en Église et hors de l’Église.

Pour distinguer ces réponses, une question me semble fondamentale : l’Église est-elle responsable ou ne l’est-elle pas? Est-ce que l’Église subit les conséquences de ces abus, ou les a-t-elle causées? Au fond, c’est là que se trouve le grand clivage de toutes les explications.

Les explications du pape François sont bien rangées : il blâme le cléricalisme. Le clergé exerce un pouvoir trop lourd. Ce pouvoir a dégénéré en priorisant la défense des prêtres aux dépens de la protection des enfants. La faute est dans le camp de l’Église. C’est l’Église qui porte la culpabilité et elle doit se réformer.

Le pape émérite Benoit XVI (Wikimedia Commons).
Le pape émérite Benoit XVI (Wikimedia Commons).

À travers sa lettre de la semaine dernière, le pape Benoit nous offre des explications alternatives. La corruption de l’Église a été causée par une faiblesse interne et par des influences externes. Une théologie morale compromise n’a pas su résister à la débauche moderne. La culpabilité du clergé est donc partiellement passive et l’Église doit restaurer sa théologie.

Ces deux lectures sont compatibles ; le pape émérite précise qu’il soutient le pape actuel et que ce dernier a approuvé la publication de sa lettre. Il ne faut pas imaginer une rivalité idéologique entre deux papes, comme l’a bien souligné James Langlois dans son plus récent texte sur la question.

Cependant, leurs explications respectives relèvent bel et bien de regards différents sur la crise. Leurs considérations sont complémentaires, mais leur emphase n’est pas la même. Le pape Benoit avance un discours théologique nuancé ; le pape François avance un discours pastoral catégorique.

Le danger des nuances

Le scandale dans le scandale, ce qui suscite la colère dans l’Église et hors de celle-ci, est le déni de responsabilité. C’est l’impression générale, au-delà des explications particulières, que l’Église institutionnelle ne reconnait pas ses torts.

Le pape François avait lui aussi suscité des réactions hostiles en évoquant l’influence du diable. On pouvait comprendre que, si le diable est le vrai coupable des abus, personne en Église ne l’est vraiment. En effet, une familiarité théologique – peut-être moins commune qu’on ne la suppose – est requise afin de concevoir qu’on puisse être pleinement coupables de nos actes malgré le fait qu’ils soient inspirés par le diable.

Ce qui choque le public, c’est l’impression, floue mais constante, que l’Église est ultimement la victime des abus.

Le pape Benoit suscite des réactions similaires en référant à la révolution sexuelle et à la perte de la foi. Ce qui choque le public, ce n’est pas tant la véracité ou l’exactitude de ces facteurs : c’est l’emphase sur des influences extérieures à l’Église. C’est l’impression, floue mais constante, que l’Église est ultimement la victime des abus.

Rappelons que le scandale n’est pas tant que des abus ont été commis par des prêtres : c’est surtout que ces abus ont été tolérés et masqués par la hiérarchie ecclésiale. Toutes les institutions sociales furent le terrain d’abus sexuels, elles ne sont pas toutes discréditées pour autant. Celles qui ont rapidement prévenu ces abus ne sont pas sévèrement blâmées. Celles qui ont agi de façon mitigée perdent la confiance du public.

L’Église catholique ne fut certes pas à l’avant-garde de cet enjeu, et pourtant elle demande qu’on lui accorde toujours notre confiance. Elle nous demande de nous fier à ses enseignements sexuels très exigeants… alors qu’elle s’est montrée peu fiable afin de prévenir les abus sexuels les plus horribles sur des enfants.

Communication et clairvoyance

Vraiment, on ne peut pas exagérer à quel point la confiance est heurtée. On ne peut exagérer la sévérité de la faute portée par l’Église. Si on veut rebâtir la confiance, il faut prendre acte d’à quel point elle est effondrée. Si on nuance le blâme en invoquant des facteurs externes à l’Église, nos discours perdent leur clarté.

Pour les laïcs innocents de toute faute, et plus encore pour les prêtres ainsi innocents, il est affligeant de voir l’Église être accusée sans nuance. Il est donc normal qu’on soit porté à insister sur les nuances qui relativisent la culpabilité de l’Église.

S’il est vrai qu’on doit considérer tous les facteurs quand vient le temps de discerner les problèmes en Église, ces facteurs ne doivent pas pour autant se trouver dans nos discours publics voués à expliquer la crise des abus pédophiles.

Visite pastorale du pape François en Corée du Sud, 17 aout 2014 (photo: Jeon Han / Wikimedia Commons).
Visite pastorale du pape François en Corée du Sud,
17 aout 2014 (photo: Jeon Han / Wikimedia Commons).

Nous devons nous soucier de l’exactitude de nos propos autant que des sentiments avec lesquels ils seront reçus. Si notre repentance doit être exprimée et accueillie avec la sincérité la plus complète, elle doit être communiquée sans nuance. Les nuances viendront autrement et plus tard. Face à des fautes aussi graves ayant infligé des blessures toujours vives, toute nuance quant au blâme tourne le fer dans la plaie.

C’est en ce sens que les discours du pape François me semblent plus sensibles : il ne blâme personne hors de l’Église, sauf le diable à l’occasion. Je reconnais une sagesse immense au pape Benoit et il m’inspire une affection filiale ; je ne suis pas le partisan d’un pape contre l’autre. Mais je pense que, en termes de communication publique, le pape François est doté d’une clairvoyance supérieure à celle du pape Benoit.

On comprend que, dans sa grande sagesse, c’est l’une des raisons pour lesquelles le pape Benoit a cédé la chaire de Pierre à un successeur. Remercions-le pour cette humble déférence, et suivons la direction indiquée par son successeur.


Sylvain Aubé

Sylvain Aubé est fasciné par l’histoire humaine. Il aspire à éclairer notre regard en explorant les questions politiques et philosophiques. Avocat pratiquant le droit de la famille, son travail l’amène à côtoyer et à comprendre les épreuves qui affligent les familles d’aujourd’hui.