Photo: Pexels (Pixabay)
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Église, mœurs et médias: incompatibilité ou malentendu?

On croirait parfois que l’Église, par peur de choquer, se retient d’aborder de front la délicate question des mœurs. C’est probablement qu’elle saisit trop bien l’émoi et le retentissement que certaines de ses positions, trop en contradiction avec la pensée dominante actuelle, peuvent causer. On se rappelle tous la polémique entourant le cardinal Ouellet avant son départ pour Rome !

La semaine dernière, j’étais l’invité de l’émission La vie des idées à Radio VM. Animée par le très volubile Mathieu Bock-Côté, cette émission vise à « prendre le temps de penser, et prendre son temps pour penser politique, histoire, philosophie, religion et droit ». C’est dans ce contexte que nous avons pu discuter de la place du catholicisme dans le débat public spécialement au Québec.

Lors de cet échange des plus stimulants, Mathieu Bock-Côté m’a posé une question cruciale sur laquelle j’aimerais revenir aujourd’hui. En effet, l’animateur mettait le doigt sur une critique que l’on fait souvent à l’institution de l’Église, aujourd’hui : la question des mœurs.

Un système avec sa logique propre

Posons-nous donc la question : comme catholiques, devons-nous prendre « de front » ces polémiques médiatiques liées, spécialement, mais pas uniquement, à la morale sexuelle ? Devons-nous affirmer haut et fort, sans honte ni gêne, les enseignements de l’Église les plus difficiles à comprendre pour notre culture actuelle ? Question hautement légitime de mon hôte radiophonique que je souhaite analyser avec plus de profondeur.

Notre système médiatique actuel, de par sa fragmentation, rend très difficile la transmission d’un contenu cohérent et organique. Celui-ci privilégiant la couverture parcellaire des évènements de l’actualité lorsque ce n’est pas la recherche du spectaculaire, l’Église y trouve difficilement l’espace adéquat pour s’exprimer.

Le catholicisme se trouve souvent dans la position de l’accusé devant défendre sa position face au tribunal de l’opinion publique.

Dans ce contexte, le catholicisme se trouve souvent dans la position de l’accusé devant défendre sa position face au tribunal de l’opinion publique. L’Église doit-elle saisir cette tribune qui lui est offerte même si le contexte lui est à priori défavorable ?

Une aubaine médiatique

Il y a de nombreux avantages à accepter.

D’abord, bien que cela semble paradoxal, cette dynamique donne une légitimité à l’enseignement de l’Église. En effet, même si son rôle consiste à être « l’opposition officielle de notre temps »*, le simple fait d’être invité implique une certaine reconnaissance qu’il ne faut pas nécessairement dédaigner. Comme on dit, « parlez-en bien, parlez-en mal, mais parlez-en » !

Deuxièmement, à voir les budgets des entreprises en publicité, il est clair que la visibilité médiatique a un prix. Devons-nous nous priver de cet espace offert gratuitement ?

De plus, bien qu’il nous soit évident que l’enseignement de l’Église ne se limite pas aux questions de sexualité ou de morale, ces sujets sont néanmoins au centre des préoccupations de notre temps. Il est donc normal que la société s’interroge sur cette parole de l’Église qui émerge par contraste.

Enfin, la morale sexuelle actuelle, étant à de nombreux points de vue destructrice et contraire aux exigences d’une écologie intégrale (Laudato Si’, no 155), l’Église a le devoir moral d’enseigner et d’annoncer la révélation de Dieu sur la sexualité. Sur ce que Mgr Lépine, à la suite de saint Jean-Paul II, appelle « la pure valeur du sexe ».

Être conscients des risques

Des inconvénients existent néanmoins.

Aborder de front les questions qui fâchent dans le contexte médiatique et sur la place publique ne laisse évidemment pas beaucoup de place à la nuance, d’où le danger de réduire la portée de l’enseignement de l’Église tout en donnant beaucoup de matière aux caricaturistes intellectuels et artistiques.

De plus, la grille d’analyse de certains journalistes n’a rien pour aider ; ces derniers souffrant pour la plupart, du préjugé qui veut que la morale catholique soit « contre tout ce qui est nouveau ». La réduisant à sa plus simple expression légaliste.

Peser les pour et les contre est du ressort de la prudence pastorale et communicationnelle. Choisir l’une ou l’autre option dépendra des circonstances entourant une demande d’entrevue par exemple. En dernière analyse, l’efficacité de cette intervention dépendra surtout de l’Esprit Saint et du talent du porte-parole.

La révolution médiatique : une chance à saisir

Ces limites du système médiatique actuel ne sont toutefois pas sans solution. Comment donc présenter une vision plus holistique du point de vue chrétien ?

Cette question – sans réponse adéquate jusqu’à tout récemment – a trouvé une solution dans la révolution médiatique actuelle. En effet, les nouveaux médias et leur accessibilité donnent les moyens à l’Église de maitriser davantage, non pas seulement la nature, le contenu et l’amplitude de son message, mais aussi le contexte dans lequel il s’exprime.

Ainsi, si l’Église saisit cette chance d’une nouvelle annonce médiatique, elle peut, peu à peu, changer les mentalités. Elle sera de moins en moins perçue simplement comme force réactionnaire, ce qu’elle peut laisser transparaitre aujourd’hui lorsqu’elle s’exprime contre les changements sociétaux comme l’euthanasie et l’avortement, par exemple.

Par conséquent, plus elle manifestera les raisons positives que sont sa vision cohérente de l’homme et de sa destinée éternelle, plus les gens comprendront son ardeur à défendre ses positions. Comme l’affirmait le cardinal Joseph Ratzinger (Église et théologie, 1992):

Nous ne pourrons dès lors répondre d’une manière juste que si nous ne nous laissons pas enfermer dans un débat autour de points particuliers, et si nous sommes capables d’exposer dans sa totalité la logique de la foi, la justesse et la rationalité de sa vision de la réalité et de la vie.

En conclusion, je dirais donc que la nouvelle liberté que nous offrent les nouvelles technologies médiatiques rendent possible la transmission du message de l’Église dans le contexte de sa vision globale.

Ainsi, estompant de beaucoup les effets pervers inhérents à l’univers médiatique, l’Église pourra, à moyen terme, réinvestir le débat public, et ce, sans se soustraire à des interventions directes sur les questions qui fâchent.

Note :

* Expression de MBC lors de mon émission :

Francis Denis

Francis Denis a étudié la philosophie et la théologie à l’Université Laval et à l'Université pontificale de la Sainte Croix à Rome. Il est réalisateur et vidéo-journaliste indépendant.