Le 21 octobre dernier, des propos du pape François au sujet des unions entre personnes du même sexe ont enflammé Internet, tant parmi les médias catholiques que les médias laïcs. Les phrases tirées d’un nouveau documentaire biographique, Francesco, ont divisé à nouveau progressistes et conservateurs. Tendons oreille : s’il y avait plus de sens et de nuance dans les propos du pape que ce qu’en disent les gros titres ?
Vous souvenez-vous lorsque le pape Benoit XVI était au cœur d’une tempête médiatique à la suite d’un commentaire sur le préservatif ? La confusion dura plus d’un an, de mars 2009, lorsqu’il accorda une entrevue à bord de l’avion papal, jusqu’à novembre 2010, moment de la publication d’un livre intitulé Lumière du monde dans lequel le pape précisait sa pensée.
Le souverain pontife reconnaissait que l’usage du préservatif pouvait aider la lutte contre le sida, dans le cas où une personne n’était ni abstinente ni fidèle à un seul partenaire. Mais il avertissait que si cette lutte se limitait à une distribution de préservatifs, cela risquait d’aggraver plutôt le problème. Bien qu’il s’agissait là d’une réflexion personnelle et non d’un enseignement officiel, cela représentait tout de même un élargissement de la position de l’Église sur le sujet.
C’est au tour du pape François d’être au cœur d’une controverse du genre. Ce n’est pas la première fois me direz-vous ! Sauf que celle-ci a pris rapidement des proportions médiatiques énormes et ressemble étrangement à celle à laquelle fit face son prédécesseur en 2009, bien que l’histoire soit un peu inversée.
Le documentaire Francesco
La controverse part d’un documentaire, Francesco, présenté en première à Rome le 21 octobre. Le documentaire est le fruit d’un réalisateur russe, Evgeny Afineevsky, qui se décrit lui-même comme homosexuel. Dans un segment du film, on entend le pape dire : « Les homosexuels ont droit de faire partie d’une famille. Ils sont enfants de Dieu et ont le droit à une famille. Personne ne devrait être rejeté, ou être rendu misérable à cause de cela. Ce que nous avons besoin de créer est une loi sur les unions civiles. Ainsi ils sont couverts légalement. »
D’abord, il est important de savoir qu’il s’agit là d’un collage de phrases qui, sorties de leur contexte, peuvent sembler dire ce qu’elles ne disent pas. Les trois premières phrases proviennent d’une entrevue de 2019 :
« Un jour on m’a posé une question durant un vol — cela m’a fâché ensuite, à cause de la façon dont les médias l’ont relatée — à propos de l’intégration dans la famille des personnes qui ont une orientation homosexuelle, et j’ai dit : les homosexuels ont droit de faire partie d’une famille. Ils sont enfants de Dieu et ont le droit à une famille et les parents ont le droit de reconnaitre leur fils comme homosexuel, leur fille comme homosexuelle. Personne ne devrait être rejeté, ou être rendu misérable à cause de cela. »
Ces phrases ont été non seulement sorties de leur contexte et habilement redécoupées, mais aussi collées au témoignage d’un homme qui, avec un partenaire du même sexe, a adopté un enfant. L’homme a demandé à Bergoglio, alors archevêque de Buenos Aires, s’il pouvait amener à l’Église son enfant, ce à quoi le pape a répondu par un oui chaleureux et enthousiaste.
La proposition du pape
Tout cela semble suggérer que le pape approuve l’adoption par des partenaires du même sexe, alors que le pape François parle clairement de l’accueil, par les parents, d’un enfant ayant des attirances pour le même sexe, non l’inverse. Ce qui est d’autant plus ironique est que dans l’entrevue en question, le pape François se plaint de la manière dont les médias sortent ses propos hors de leur contexte !
Le pape s’est toujours opposé au mariage entre personnes du même sexe, suivant en cela l’enseignement de l’Église catholique1.
Le pape François lui-même s’est exprimé clairement à ce sujet dans le passé. Dans une lettre de 2010, Bergoglio alors cardinal voyait dans le mariage entre personnes du même sexe « une anti-valeur et une régression anthropologique ».
Dans Amoris Laetitia, le pape écrivait : « il n’y a aucun fondement pour assimiler ou établir des analogies, même lointaines, entre les unions homosexuelles et le dessein de Dieu sur le mariage et la famille » (§251). Il a aussi été très clair sur le sujet de l’adoption par des couples homosexuels : « Tout enfant a le droit de recevoir l’amour d’une mère et d’un père, tous deux nécessaires pour sa maturation intégrale et harmonieuse. » (§172)
Pour une protection légale
Mais le pape, déjà bien avant son élection, s’est questionné sur la manière de traiter équitablement les personnes qui sont dans des unions homosexuelles, qui ont parfois légalement adopté des enfants, tout en apportant le message de l’Église.
Ce que le pape a en tête est le bien de la personne ayant un attrait pour le même sexe et le fait que l’état doit protéger les droits de cette personne et quiconque aime ou est aimé de cette personne, et quiconque vit avec cette personne, que cette union soit reconnue ou non par l’Église.
Revenons donc à la dernière phrase du segment en question, celle qui a causé tant d’émoi. « Ce que nous avons besoin de créer est une loi sur les unions civiles. Ainsi ils sont couverts légalement. »
Le pape répondait en fait à une question concernant une loi en Argentine sur la reconnaissance d’« égalité de mariage pour les couples de même sexe », loi à laquelle il s’était opposé à l’époque où il était archevêque de Buenos Aires. Le pape dans l’entrevue avait alors affirmé : « c’est une incongruité de parler de mariage homosexuel », il explique alors qu’il avait cependant défendu les droits pour ces couples d’avoir une certaine protection légale : « ce dont nous avons besoin est d’une loi sur l’union civile (convivencia civil) ».
Dans un document de la Congrégation pour la doctrine de la foi (CDF) datant de 2003, l’Église affirmait que « la reconnaissance légale d’unions homosexuelles ou le fait de placer celles-ci au même niveau que le mariage » signifierait une approbation des actes homosexuels et l’obscurcissement de valeurs fondamentales à l’humanité. Mais est-ce d’une reconnaissance légale des unions homosexuelles dont parle le pape François ?
Notons pour commencer que cette phrase avait préalablement été coupée de l’entrevue de 2019 lors de sa diffusion, ceci avec l’accord du pape. Afineevsky, pour son documentaire, a eu un accès privilégié aux archives du Vatican. Gageons que le pape et le Vatican n’ont aucunement pensé à cette séquence et ont été pris par surprise. Mais il ne serait pas surprenant qu’aux yeux du pape, il y ait aussi là un acte de la Divine Providence !
Convivencia civil
Le terme exact que le pape utilise en espagnol est « convivencia civil », ce qui peut vouloir dire autant « union civile » que « coexistence civile ». Il y a là une nuance importante. Certains catholiques d’Amérique du Sud ont mentionné que les deux expressions sont utilisées de manière interchangeable pour désigner la même chose dans leurs pays et qu’il est donc inutile de chercher une distinction dans les mots du pape. Mais pour le pape, il semble bien y avoir une distinction.
En 2014, le pape François disait lors d’une interview : « Le mariage est entre un homme et une femme. Les états séculiers veulent justifier les unions civiles pour réguler différentes situations de cohabitation, poussés par la demande de règlementer les aspects économiques entre les personnes, comme l’assurance santé. Il s’agit de pactes de cohabitation de différentes natures, je ne saurais pas faire la liste des différentes sortes. Quelqu’un a besoin de voir les différents cas et d’évaluer ceux-ci selon leurs variétés ».
Le document de 2003 de la CDF, que nous avons cité plus haut, n’exclut pas la possibilité d’autres politiques qui alloueraient certains droits légaux pour des personnes qui partagent des obligations de soin ou de soutien, tant que ces politiques ne compétitionnent pas avec le mariage et ne sous-entendent pas uniquement des « partenariats » sexuels. Quelqu’un vivant avec un frère ou une sœur, un ami ou un enfant à charge pourrait ainsi désigner une autre personne qu’un époux, comme proche parent, bénéficiaire dans un contrat d’assurance, personne allouée à des visites à l’hôpital, ou comme représentant pour une procuration, etc.
Une distinction éclairante et importante
L’archevêque de San Francisco, Salvatore J. Cardileone, rapportait il y a quelques jours que lors de leur visite ad limina en janvier dernier, le sujet avait été abordé avec le pape. « Le Saint-Père faisait une distinction claire entre un arrangement civil qui accorde un bénéfice entre deux personnes, et le mariage. »
L’archevêque précise alors : « une union civile de cette sorte (qui n’est pas égale au mariage) doit être aussi inclusive que possible et ne pas être restreinte à deux personnes du même sexe dans une relation sexuelle présumée. Il n’y a aucune raison, par exemple, pour qu’un frère et une sœur, tous deux non mariés et qui se supportent l’un l’autre, n’aient pas accès à ce genre de bénéfices. » Notons que l’archevêque est considéré comme un ultraconservateur dans son pays !
(C’est d’ailleurs ce genre de politique que son prédécesseur, le cardinal Levada, ancien préfet à la CDF, avait mise en place pour les employés de l’archidiocèse, afin d’éviter d’être forcé d’adopter une loi approuvant le mariage entre personnes du même sexe.)
Dans cette ère médiatique où chaque média se bat pour obtenir une nouvelle avant les autres et tente de sortir du lot par un titre et une histoire sensationnalistes, il est difficile de prendre du recul et d’examiner un dossier en profondeur.
Ce que veut le pape
Le pape n’exerce pas son autorité et ne délivre pas d’enseignement officiel lorsqu’il donne une entrevue relayée dans un documentaire. Or, il n’y a rien d’hétérodoxe non plus dans les propos du pape et il se pourrait bien qu’ils entrainent un changement dans les recommandations prudentielles de l’Église. De telles recommandations ne viennent pas atténuer l’enseignement de l’Église, mais cherchent comment l’apporter et l’appliquer dans un monde en constante évolution. Ce que le pape a en tête est le bien de la personne ayant un attrait pour le même sexe et le fait que l’état doit protéger les droits de cette personne et quiconque aime ou est aimé de cette personne, et quiconque vit avec cette personne, que cette union soit reconnue ou non par l’Église.
Comme le remarque l’archevêque de Saint Paul et Minneapolis, Bernard A. Hebda : « Si l’enseignement de l’Église sur le mariage est clair et irréformable, la conversation doit continuer à savoir quelles sont les meilleures façons de révérer la dignité de ceux qui sont dans des relations de même sexe afin qu’ils ne soient pas sujets à des discriminations injustes. »
Tout cela nous indique, et c’est ma conclusion personnelle, qu’il faut prier davantage. Ce genre de crise est un appel à tous les chrétiens à prier et à laisser l’Esprit-Saint guider son Église. N’oublions pas que Jésus lui-même a créé la division parmi les gens les plus croyants, et n’a pas toujours été compris des hommes de loi et des chefs religieux.