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Faut-il ordonner prêtre des hommes mariés?

Dans l’attente des conclusions du pape François sur le synode amazonien de l’automne, le cardinal Robert Sarah, en collaboration avec le pape émérite Benoît XVI, publie un livre qui fait polémique, car il aborde frontalement la proposition la plus controversée de l’heure : faut-il ordonner des hommes mariés (viri probati) pour pallier le manque de prêtre dans les zones éloignées.  Solution miracle ou sacrilège ?

Sans surprise, la première raison évoquée pour réclamer l’assouplissement de la discipline du célibat dans l’Église romaine, c’est pour pallier le manque de prêtres.

Dans le cas du synode sur l’Amazonie, il s’agit d’une proposition parmi des dizaines, et certainement pas la plus importante quand on lit attentivement le document final de cette grande rencontre d’évêques.

Ordonner des hommes mariés n’est certes pas impossible. L’Église d’Orient le fait depuis des siècles. Mais ce n’est ni l’unique ni la meilleure solution au manque de prêtre. Pourquoi par exemple ne pas commencer par ordonner les hommes célibataires et veufs qui sont en nombre plus que suffisant déjà ?

Ce n’est pas une solution « miracle » en tout cas. Pour preuve, les protestants dans la région, qui acceptent les pasteurs mariés, souffrent eux aussi d’une pénurie d’hommes donnés à Dieu.

Rien de nouveau

Le manque de prêtre n’est pas une situation propre à l’Amazonie. C’est le cas chez nous au Québec et dans de nombreuses autres régions du monde.

En fait, durant toute l’histoire de l’Église, il y a toujours eu un manque de prêtre. Seulement, la pénurie ne survenait pas toujours au même endroit.

Jésus ne s’était pas trompé quand il a dit : « La moisson est abondante, mais les ouvriers sont peu nombreux. »

Priez donc !

Ah oui ! Justement, voilà la première solution et non la moindre, car elle nous vient du maitre lui-même : « Priez donc le maitre de la moisson d’envoyer des ouvriers pour sa moisson. »

Prier. Ça semble dérisoire aux yeux du monde et pourtant…

On nous dira qu’on prie depuis des années sans trop de résultats. Mais avons-nous vraiment prié ? Avons-nous prié avec tout notre être, en quantité et en intensité ? Qu’avons-nous sacrifié pour demander à Dieu des prêtres ?

Quand on aura jeuné et prié comme jamais, quand on aura importuné comme la veuve et crié comme l’aveugle, alors le Seigneur répondra. Il ne suffit pas d’allumer des centaines de lampions pour que le Seigneur écoute ; il faut des cœurs souffrants et passionnés.

Mépris des autochtones et de Dieu

Attention aussi à ne pas entretenir un préjugé méprisant que les autochtones seraient incapables de vivre la chasteté dans le célibat. Certes, c’est un défi plus que naturel pour tous les hommes, mais possible avec la grâce de Dieu. D’ailleurs, le cardinal Ouellet [en espagnol] n’hésitait pas à l’affirmer un peu plus tôt cette année.

Attention surtout à présupposer que la puissance de Dieu n’est pas capable de susciter des vocations sacerdotales parmi les jeunes hommes indigènes. Si Dieu ne répond pas, c’est probablement plus parce que nous avons demandé trop poliment.

Attention enfin à ne pas instrumentaliser les pays du Sud pour mousser un programme politique du Nord. On dit souhaiter rejeter un néocolonialisme économique, mais il ne faudrait pas retomber dans une forme de néocolonialisme idéologique.

Envoyer des ouvriers

Chaque fois que les prêtres ont manqué, la réponse de l’Église a toujours été d’envoyer des missionnaires en puisant là où il y a abondance de vocation. Il y a toujours eu une solidarité entre les différentes églises particulières, entre les membres de l’unique Corps du Christ.

On touche là quelque chose du mystère d’iniquité.

Comme Jésus l’a expliqué à sainte Catherine de Sienne :

« Pour les choses nécessaires à la vie humaine, je les ai distribué[e]s avec la plus grande inégalité, et je n’ai pas voulu que chacun possédât tout ce qui lui était nécessaire pour que les hommes aient ainsi l’occasion, par nécessité, de pratiquer la charité les uns envers les autres... J’ai voulu qu’ils eussent besoin les uns des autres et qu’ils fussent mes ministres pour la distribution des grâces et des libéralités qu’ils ont reçues de moi. » (Dialogue, 1, 6)

Sainte Catherine de Sienne, Dialogue, 1, 6

Toujours, le Bon Dieu a permis le manque pour susciter deux attitudes : la prière vers lui et la générosité les uns envers les autres.

Manque de générosité

Générosité… Voilà peut-être ce qui nous manque plus encore que des prêtres.

Comme il est de plus en plus difficile de trouver des hommes prêts à tout donner !

Mgr Emmanuel Lafont, évêque de Cayenne en Guyane française a osé le dire, les missionnaires d’aujourd’hui ne se voient plus aller passer leur vie entière dans une terre de mission. Ils ne prennent plus le temps d’apprendre la langue et la culture et donc il n’y a plus de réelle inculturation des prêtres et de l’évangile.

On peine à trouver de jeunes hommes pour la prêtrise et on a plus de difficulté encore à en trouver qui veulent partir en mission. Et partir pour vrai, pour de bon.

Si le reste du monde est si solidaire de l’Amazonie, alors qu’il le prouve par un élan de générosité sans précédent ! C’est ce que propose le cardinal Sarah en proposant que chaque diocèse d’Amérique latine (et pourquoi pas aussi du Nord et de l’Europe) offre généreusement un prêtre pour la mission en Amazonie.

Tradition de l’Église primitive

Beaucoup l’ignorent, même des « experts », mais durant les sept premiers siècles de l’Église, la continence sexuelle a toujours été liée au sacerdoce.

Il est vrai que des hommes mariés, à commencer par saint Pierre lui-même, étaient parfois ordonnés. Mais (et ce n’est pas un petit « mais » !) ils devaient vivre leur mariage dans l’abstinence complète une fois devenus prêtre.

En 390, le deuxième Concile de Carthage prescrivait même comme obligatoire dans un canon la pratique de la continence non seulement pour tous les évêques et les prêtres, mais aussi pour les diacres. [1]

Ce concile prenait aussi soin de rappeler que cette pratique remontait directement jusqu’aux apôtres et qu’elle a été conservée depuis les tout premiers temps de l’Église.

Un pape « fermé » à l’idée

Il est vrai que cette coutume immémoriale n’est toutefois pas absolument inchangeable. Mais on ne change pas une tradition éprouvée pendant des siècles sans une excellente et grave raison.

Le pape François lui-même ne semble pas du tout favorable à changer cette discipline de l’Église, même s’il reste ouvert à y réfléchir davantage pour de rares exceptions.

Dans l’avion qui le ramenait du Panama, en janvier dernier, il a répondu aux journalistes

Il me vient à l’esprit une phrase de Paul VI : « Je préfère donner ma vie plutôt que de changer la loi sur le célibat. »  (…) Personnellement, je pense que le célibat est un don pour l’Église et je ne suis pas d’accord pour permettre le célibat comme option, non. (…) Ma décision est : non au célibat optionnel avant le diaconat. C’est quelque chose qui vient de moi, c’est personnel, mais je ne le ferai pas, c’est clair. Suis-je quelqu’un de « fermé » ? Peut-être, mais je ne me sens pas de me présenter devant Dieu avec cette décision. 

Régression théologique

Dans son livre Le soir approche et déjà le jour baisse paru au printemps dernier, le préfet de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements abordait déjà la crise du sacerdoce en évoquant explicitement cette question.

Il y faisait remarquer que la proposition d’ordonner des hommes mariés seulement pour les sacrements là où il manque de prêtre serait une véritable régression théologique.

On sait qu’une pratique semblable avait lieu dans des monastères au Moyen-Âge. Des prêtres (non mariés toutefois) étaient ordonnés que pour dire des messes. Mais l’Église y a vu une forme d’abus du sacerdoce qui divise les trois fonctions du prêtre qui sont de sanctifier, d’enseigner et de gouverner.

« Cette proposition est théologiquement absurde, écrit le cardinal Sarah, car elle sous-tend une conception fonctionnaliste du sacerdoce en séparant les tria munera contre l’enseignement du Concile Vatican. »

Ce serait pratiquement créer une sous-classe de prêtres. L’Amazonie a droit à mieux que des presbytres de deuxième classe qui n’auraient pas reçu la formation adéquate pour garder les mystères du salut.

Ni miraculeuse ni sacrilège, l’ouverture à ordonner des hommes mariés n’est pas pour autant la proposition la plus enthousiasmante du dernier synode.

Comme en toute terre de mission, ce sont au contraire les meilleurs prêtres qui sont nécessaires là-bas. Des prêtres avec une formation doctrinale, humaine et spirituelle béton pour affronter les défis de la mission et inculturer sagement l’Évangile.

Célibat prophétique

Ni miraculeuse ni sacrilège, l’ouverture à ordonner des hommes mariés n’est pas pour autant la proposition la plus enthousiasmante du dernier synode. Et certainement pas la plus urgente non plus quand on s’arrête sur tous les défis de l’Église d’Amazonie.

Loin d’être le moteur d’un renouveau pastoral, renoncer au célibat des prêtres risquerait plutôt de provoquer une rupture doctrinale et une régression ecclésiale. C’est à tout le moins l’avis du cardinal Sarah qui ne mâche pas ses mots :

« Il est urgent, nécessaire, que tous, évêques, prêtres et laïcs, ne se laissent plus impressionner par les mauvais plaidoyers, les mises en scène théâtrales, les mensonges diaboliques, les erreurs à la mode qui veulent dévaloriser le célibat sacerdotal. »

Au contraire, plus que jamais le célibat revêt un caractère prophétique pour notre époque aux prises avec tant de débauches et d’abus sexuels en tous sens.

Il y en a qui ont choisi de ne pas se marier à cause du royaume des Cieux. Celui qui peut comprendre, qu’il comprenne ! (Mt 19,12)

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Simon Lessard

Simon aime engager le dialogue avec les chercheurs de sens. Diplômé en philosophie et théologie, il puise dans les trésors de la culture occidentale, combinant neuf et ancien pour interpréter les signes des temps. Il est responsable des partenariats au Verbe médias.