Photo: Pixabay (StockSnap - CC)
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Les limites de la Révolution tranquille


Depuis son élection le 7 avril 2014, le gouvernement libéral de Philippe Couillard a concentré ses efforts sur l’atteinte du déficit zéro. Certains y ont vu une décision responsable et nécessaire en vue de garder la bonne cote de crédit du Québec. D’autres, l’agenouillement du pouvoir politique devant le pouvoir financier. De mon côté, j’ai l’impression que nous sommes, dans les deux cas, dans une optique de politique partisane se refusant à regarder la réalité dans toute sa profondeur. En effet, il est impossible de comprendre la situation actuelle du Québec sans la remettre dans son contexte historique. 

Plusieurs commentateurs ont vu dans les manifestations étudiantes de ce printemps plus que le spectacle un peu loufoque présenté à nos yeux virtuels. Ce contexte plus large dont je parle fait référence aux changements sociaux drastiques que l’on a appelés la « Révolution tranquille ».

De fait, nous commençons à peine à mesurer des conséquences économiques et sociales dont la prévision aurait rangé n’importe quel analyste des années soixante au rang de « prophète de malheur ».

D’un système de santé qui roule à la vitesse de sa pesante bureaucratie à un système d’éducation où le décrochage des jeunes manifeste son incapacité à susciter leur intérêt, les myriades de problèmes semblent insolubles et le naufrage, inévitable. Des problèmes endémiques de cette ampleur me font douter des approches politiques ou fiscales qui ne font, en définitive, qu’effleurer la pointe de l’iceberg.

Des problèmes endémiques de cette ampleur me font douter des approches politiques ou fiscales qui ne font, en définitive, qu’effleurer la pointe de l’iceberg.

Au contraire, il faut remonter dans le temps pour trouver les « root causes ». Ainsi, la première étape d’une solution serait de porter un diagnostic en examinant les grandes aspirations et promesses de la Révolution tranquille; pourtant de moins en moins inspirantes à mesure que la dette publique augmente.

De l’Église à l’État

La Révolution tranquille est un phénomène complexe qui ne peut être résumé facilement sans tomber dans la caricature. Je me limiterai ici à l’un de ses aspects centraux, mais non moins reconnus: l’étatisation. D’un régime « clérical » où l’État était considéré inférieur à l’Église, le Québec s’est rapidement retrouvé dans la situation inverse.

Ce n’est pas un hasard si les ingénieurs sociaux, inspirés par le Refus global, allaient vouloir à tout prix remplacer les « bonnes œuvres » de l’Église spécialement en santé et en éducation. Pour recentrer la société québécoise vers l’État, il fallait discréditer l’Église, sa première concurrente en ces matières.

Contrairement aux fonctionnaires britanniques chargés d’appliquer le « Rapport Durham » (1), l’État québécois allait réussir, étape par étape, l’assimilation de cette immense responsabilité. Et, il allait boire le calice jusqu’à la lie en retirant le Québec de l’article 93 de la Constitution canadienne qui protégeait, jusqu’alors, les droits des parents catholiques et protestants en matière d’éducation.

Aujourd’hui, nous commençons à voir les couts économiques et sociaux d’une telle gourmandise. L’État, théoriquement gardien par excellence du Bien commun, était-il fidèle à sa mission en se laissant emporter par les promesses socialistes de la venue d’un « homme nouveau »?

Le prix de la vertu

Remplacer l’Église dans le soin des malades ou dans la noble tâche de la transmission du savoir présentait de nombreux défis. Un de ces défis était d’ordre économique. Comment financer un tel projet? Comment remplacer financièrement un régime dont l’expertise se payait à cout de prières? Tel était un défi auquel les décideurs politiques ont dû faire face.

Ce n’est qu’aujourd’hui que l’on est en mesure de percevoir le prix de la vertu c’est-à-dire le cout réel d’un système dont la structure « cléricale » ne fut pas réellement évacuée sinon par un détournement de sens.

On peut désormais constater que cette question n’a jamais vraiment été posée. On a préféré mettre sur la carte de crédit de l’État les conséquences de cette vision utopique selon laquelle une société peut, sans problèmes, échanger le don de soi par la consommation. Ce n’est qu’aujourd’hui que l’on est en mesure de percevoir le prix de la vertu c’est-à-dire le cout réel d’un système dont la structure « cléricale » ne fut pas réellement évacuée sinon par un détournement de sens.

Ces deux « vaches sacrées », que sont les systèmes étatiques de santé et d’éducation, pourront-elles vivre encore longtemps sur le dos de la force symbolique des grands mythes de la Révolution tranquille ?  Les réformes tant annoncées seront-elles capables de faire face à ce mirage idéologique ?

En d’autres termes, l’étatisme comme prolongement sécularisé d’un régime clérical est-il viable à long terme ? Je pose la question.

Loin de moi l’idée nietzschéenne d’un quelconque « éternel retour du même » ou, autrement dit, le souhait d’un retour en arrière. Il me semble cependant que la distance qui nous sépare des années soixante devrait nous permettre d’envisager plus d’options qu’un État calqué sur le fonctionnement de l’Église au siècle passé.

G.K. Chesterton, disait que « le monde est rempli de vertus chrétiennes devenues folles ». La structure de nos institutions publiques en est, selon moi, le meilleur exemple.

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Note :

(1) DURHAM, Lord. Rapport sur les affaires de l’Amérique du Nord britannique (1839), traduit et reproduit sous le titre Rapport Durham, Montréal, Les Éditions Sainte-Marie, 1969.

Francis Denis

Francis Denis a étudié la philosophie et la théologie à l’Université Laval et à l'Université pontificale de la Sainte Croix à Rome. Il est réalisateur et vidéo-journaliste indépendant.