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Photo : Luwadlin Bosman / Unsplash.

Et Dieu vit que cela était beau ! Réflexions autour de la lettre aux artistes de saint Jean-Paul II

« Tu es beauté… Tu es beauté ! » s’exclamait saint François d’Assise peu de temps après avoir reçu les stigmates ; et saint Bonaventure d’expliquer ainsi : « François contemplait alors dans les belles choses le Très Beau et, en suivant les traces imprimées dans les créatures, il poursuivait partout le Bien-Aimé. » La beauté est chemin vers Dieu et l’artiste est en quelque sorte le prêtre sur ce chemin. Jean-Paul II l’a rappelé dans sa lettre aux artistes : la beauté est la vocation de l’artiste et son noble ministère est d’orienter les esprits vers la beauté de Dieu.

Je t’ai aimé ô Beauté !

Les pères du Concile Vatican ont réaffirmé ainsi la véritable finalité de l’art : « Parmi les plus nobles activités de l’esprit humain, on compte à très bon droit les beaux-arts, mais surtout l’art religieux et ce qui en est le sommet, l’art sacré. Par nature, ils visent à exprimer de quelque façon dans les œuvres humaines la beauté infinie de Dieu, et ils se consacrent d’autant plus à accroître sa louange et sa gloire qu’ils n’ont pas d’autre propos que de contribuer le plus possible, par leurs œuvres, à tourner les âmes humaines vers Dieu. » (Sacrosanctum Concilium #122)

Toutes les activités humaines en effets visent plus ou moins prochainement la gloire de Dieu et l’art n’y fait pas exception. L’art pour l’art est une supercherie de l’athéisme moderne.

Le propre de l’art est donc de rendre gloire à Dieu en exprimant « dans les œuvres humaines la beauté infinie de Dieu ». Cette beauté est en un certain sens l’expression visible du bien et la splendeur de la vérité. Quoi qu’en disent les théories relativistes à la mode, l’art demeurera toujours intrinsèquement lié à la beauté.


Cet article est d’abord paru dans le numéro d’été 2016. Cliquez ici pour consulter la version originale.


Cette beauté qui pour Jean-Paul II est la clé du mystère en ce qu’elle renvoie à la transcendance. Elle est une invitation à savourer la vie et à rêver de l’avenir. Mais la beauté des choses créées ne peut satisfaire complètement, et elle suscite cette secrète nostalgie de Dieu qu’un amoureux du beau comme saint Augustin a su interpréter par des mots sans pareil : « Bien tard, je t’ai aimée, ô Beauté si ancienne et si neuve, bien tard, je t’ai aimée ! »

« La beauté frappe, mais c’est justement ainsi qu’elle rappelle l’homme à son destin ultime, le remet en marche, le remplit d’une nouvelle espérance, lui donne le courage de vivre complètement le don unique de la vie. Evidemment, la recherche de la beauté dont je parle ne consiste en aucun cas en une fuite dans l’irrationnel ou dans le simple esthétisme. »

Benoît XVI, Discours aux artistes, 21 novembre 2009

La vocation de charpentier

« N’est-ce pas le fils du charpentier ? » (Mt 13,55 ; Mc 6,3) Ce mot grec « teknon » que nous traduisons par charpentier pourrait tout aussi bien se traduire par « artisan », voir même « artiste ». Car pour les Grecs, les artisans et artistes avaient en commun de transformer le monde extérieur par leurs actions. Dans le Nouveau Testament, ce mot revient deux fois pour qualifier saint Joseph.

Jésus comme son père adoptif était donc un « teknon », un artiste qui transformait le monde et qui accomplissant ainsi la vocation de l’homme à collaborer à l’œuvre de Dieu. (Gn 1, 26-31)

Comme Joseph et Jésus, la vocation de l’artiste est d’une très haute noblesse puisqu’elle est à l’image de Dieu dans son agir ad extra : Création, Incarnation, Rédemption.

I. Écho de la Création

L’art est à la fois écho et parachèvement de la création divine. En créant, les artistes sont à l’image de Dieu le Père créateur. Leur expérience de création commence toujours par une « inspiration » dont l’origine demeure mystérieuse. Cette inspiration originelle n’est pas sans rappeler « le souffle de Dieu » (Gn 1,2), cet Esprit créateur qui remplissait dès les origines l’œuvre de la création. Une fois leur œuvre achevée, les artistes contemplant leur travail peuvent intimement comprendre Dieu qui pose un regard amoureux sur l’œuvre de ses mains. 

Serviteur de la beauté à l’image de Dieu, l’artiste ne doit jamais oublier qu’il est lui-même une œuvre divine. Sa vie est une œuvre en processus de création. Les saints sont à la fois les plus grands artistes et les plus belles œuvres d’art. Artistes en tant qu’ils travaillent à la sanctification du monde. Œuvre d’art en tant qu’ils se sont avant tout laisser modeler par Dieu.

Si tous ne sont donc pas appelés à être artistes au sens spécifique du terme, tous néanmoins sont appelés à être des artisans de leur propre vie. Oui, tous doivent faire de leur vie un chef-d’œuvre ! C’est l’appel universel à la sainteté. Faire de sa vie une œuvre d’art est une idée ancienne, mais la nouveauté chrétienne tient en ce que c’est n’est plus principalement moi qui sculpte mon existence, mais Dieu qui modèle ma vie selon son cœur, comme l’argile dans la main du potier. (Jr 18,6)

Serviteur de la beauté à l’image de Dieu, l’artiste ne doit jamais oublier qu’il est lui-même une œuvre divine. Sa vie est une œuvre en processus de création.

Si l’art transforme une matière extérieure à l’artisan, c’est l’agent lui-même qui est transfiguré par l’éthique. Malgré cette distinction, il existe un trait d’union entre l’œuvre éthique et l’œuvre artistique.

D’une part, puisque l’artiste s’exprime toujours de lui-même, ses œuvres sont toujours un certain reflet de son être « En effet, quand l’artiste façonne un chef-d’œuvre, non seulement il donne vie à son œuvre, mais à travers elle, en un certain sens, il dévoile aussi sa propre personnalité. » Et dans ce mouvement d’expression de soi, l’artiste est semblable à Dieu qui s’est révélé lui-même dans toutes ses paroles et actions.

D’autre part, dans sa pratique même, l’artiste trouve une dimension nouvelle et un extraordinaire moyen d’expression pour sa croissance spirituelle. La production extérieure est donc toujours liée à la transformation intérieure. L’artiste sculpte sa vie en sculptant ses œuvres.

II. Allégorie de l’Incarnation

L’art est une allégorie du mystère de l’incarnation. En créant, l’artiste est à l’image du Verbe qui s’est fait chair. Or, qu’est-ce que l’incarnation sinon ce mystère de l’invisible qui devient visible ? De même qu’en parlant notre pensée se manifeste grâce au son, de même en s’incarnant Dieu s’est manifesté grâce à la chair. De même aussi l’artiste manifeste ce qui habite son cœur grâce aux matières, couleurs, formes et mouvement avec lesquels il joue.

L’art est parole de la réalité profonde des choses, réalité qui se tient toujours au-delà des capacités de pénétration humaine. 

Chaque œuvre d’art est dans son processus et son résultat une image du Christ : union du monde spirituel et matériel, expression de l’indicible et image du mystère. L’art est proprement humain en tant qu’il fait appel à la matière, au sens, à l’émotivité et à l’intelligence. Nul artiste parmi les bêtes et les anges !

L’art est parole de la réalité profonde des choses, réalité qui se tient toujours au-delà des capacités de pénétration humaine. 

« En effet, chaque intuition artistique authentique va au-delà de ce que perçoivent les sens et, en pénétrant la réalité, elle s’efforce d’en interpréter le mystère caché. Elle jaillit du plus profond de l’âme humaine, là où l’aspiration à donner un sens à sa vie s’accompagne de la perception fugace de la beauté et de la mystérieuse unité des choses. »

L’art est donc révélation d’un mystère comme le Christ est venu pour révéler Le Mystère des mystères. « Qui m’a vu a vu le Père » a dit Jésus. L’artiste lui pourrait dire : « Qui voit mon œuvre voit le mystère qu’elle dévoile. »

Voilà aussi pourquoi nous pouvons dire que l’art est comme un sacrement : signe sensible qui conduit à Dieu. L’icône en est la plus belle illustration. L’icône rend présent un aspect du mystère de l’incarnation et élève l’âme à communier à la grâce liée à ce mystère. Par son incarnation, le Christ est devenu lui-même icône du Dieu invisible, jetant par son humanité un pont entre le visible et l’invisible. Similairement, toute représentation du mystère peut être employée, dans la logique des signes, comme une évocation sensible du mystère. C’est dire que toute œuvre d’art, et au premier chef l’œuvre religieuse, est une échelle entre le ciel et la terre. 

III. Œuvre de Rédemption

L’art est une œuvre de rédemption. En créant, les artistes sont à l’image de l’Esprit qui éclaire, fortifie et libère. L’artiste est constamment à la recherche du sens profond des choses, il se pose les grandes questions de l’existence. Il tente de dévoiler le monde qu’il habite et propose des réponses respectueuses du mystère qui ne peut être épuisé.

Quand l’artiste scrute les plus obscures profondeurs de l’âme ou les plus bouleversants aspects du mal, il se fait en quelque sorte la voix de se peuple, la voix de l’attente universelle d’une rédemption.

À sa manière, l’artiste remplit la mission d’éclairer l’humanité sur son chemin et sa destinée. Dans ses œuvres, il révèle au peuple ses amours et angoisses, ses souffrances et espérances. Et quand l’artiste scrute les plus obscures profondeurs de l’âme ou les plus bouleversants aspects du mal, il se fait en quelque sorte la voix de se peuple, la voix de l’attente universelle d’une rédemption.

Mais devant l’horreur du mal, l’art acquiert la mission de nourrir l’espérance. « Ce monde dans lequel nous vivons a besoin de beauté pour ne pas sombrer dans la désespérance. La beauté, comme la vérité, c’est ce qui met la joie au cœur des hommes, c’est ce fruit précieux qui résiste à l’usure du temps, qui unit les générations et les fait communiquer dans l’admiration. »

De la beauté nait l’émerveillement et de l’émerveillement jaillit l’enthousiasme. Et comme le dit le saint pape « Les hommes d’aujourd’hui et de demain ont besoin de cet enthousiasme pour affronter et dépasser les défis cruciaux qui pointent à l’horizon. Grâce à lui, l’humanité, après chaque défaillance, pourra encore se relever et reprendre son chemin. » C’est le sens de cette intuition profonde de Dostoïevski : « la beauté sauvera le monde. »

Appel au mystère

À l’exemple du Christ qui est le Chemin, l’art remplit pleinement sa mission quand il ramène sans cesse l’humanité à Dieu. Car « même au-delà de ses expressions les plus typiquement religieuses, l’art, quand il est authentique, a une profonde affinité avec le monde de la foi, à tel point que, même lorsque la culture s’éloigne considérablement de l’Église, il continue à constituer une sorte de pont jeté vers l’expérience religieuse. Parce qu’il est recherche de la beauté, fruit d’une imagination qui va au-delà du quotidien, l’art est, par nature, une sorte d’appel au Mystère. »

Avec saint Jean-Paul II nous exhortons tous les artistes à la plus grande des œuvres : « Que votre art contribue à l’affermissement d’une beauté authentique qui, comme un reflet de l’Esprit de Dieu, transfigure la matière, ouvrant les esprits au sens de l’éternité ! »

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Pour aller plus loin :

Paul VI, Homélie de la messe des artistes, 7 mai 1964.

Jean-Paul II, Lettre aux artistes, 4 avril 1999.

Benoît XVI, Discours aux artistes, 21 novembre 2009.

Simon Lessard

Simon aime entrer en dialogue avec les chercheurs de vérité et tirer de la culture occidentale du neuf et de l’ancien afin d’interpréter les signes de notre temps. Responsable des partenariats pour le Verbe médias, il est diplômé en philosophie et théologie.