Avez-vous l’impression d’avoir été plus souvent victime ou bourreau dans votre vie ? Une victime fort probablement. C’est l’un des sentiments les plus également répandue à notre époque.
Même si vous êtes un homme hétérosexuel, blanc et aisé financièrement, vous avez vraisemblablement subi le mal des autres d’une manière ou d’une autre.
Pas besoin d’avoir été battu ou violé pour se sentir persécuté. La moindre microagression ou parole blessante suffit à nous convaincre de faire partie de l’Ordre des martyres. L’innocence (et non le bon sens) est la chose du monde la mieux partagée.
Peut-être étiez-vous un « morveux », un « nerd » ou un « lèche-cul » au primaire. Sans doute qu’on vous a traité de « minus », de « gros » ou de « boutonneux » au secondaire. Et encore on vous a possiblement étiqueté de « gauchiste », de « facho » ou de « douchebag » au Cégep.
Sans parler qu’on vous a surement un jour traité dans la cour de toutes ces institutions de « sale » suivit d’un de ses nombreux qualificatifs : fif, tapette, pédale, gouine, pute, enculé, chinetoque, arabe, juif, et ce, sans qu’il y ait même toujours un lien à faire avec votre sexe, religion ou couleur préférée.
Préparez-vous, car un jour on vous traitera même de « vieux » !
Bref, nous avons (presque) tous déjà été victimes d’une insulte ou d’une autre, d’une violence ou d’une autre.
Rouler en arrière
Face à l’injustice montent le plus souvent en nous des sentiments de colère et de révolte. On en appelle alors spontanément à la révolution. Et c’est là que peut s’amorcer un pernicieux retournement des rôles.
Des pauvres veulent faire payer des riches.
Des femmes veulent diriger des hommes.
Des francos veulent bâillonner des anglos.
Des mécréants veulent excommunier des croyants.
À première vue, on dirait que c’est le naturel retour du balancier. Une sorte de justice immanente qui rétablit l’équilibre des violences. Les opprimés deviennent oppresseurs, les serfs des seigneurs.
Évidemment, le désir de justice humaine est sain. Les fautes doivent être punis et les torts réparés. Mais le seul problème avec toutes ces révoltes, c’est qu’elles signifient littéralement « rouler en arrière ».
S’il s’agit bien d’un renversement des rôles, on reste toutefois dans les mêmes logiques d’abus de pouvoir, dans les mêmes relations toxiques de type dominant/dominé, ou maitre/esclave si vous préférez.
Et c’est justement ce rapport qui est pervers, qui est un système générateur d’injustices, une structure de péché.
Roue de hamster
L’inverser, ce n’est que le reproduire autrement et donc reporter le problème. On bouge les pions, mais on joue encore au même jeu vicieux.
Il n’y a dès lors qu’illusion de progrès.
On pense observer une conversion, un changement de direction, mais en réalité on tourne en rond. C’est l’éternel retour du même. C’est le cycle tragique de la loi du talion.
Or, cette révolution infinie des vendettas ne fait nullement avancer l’histoire ; elle la condamne au contraire à se répéter, à reproduire les mêmes structures aliénantes et violentes. Et notre désir de vengeance est le signe que l’on est encore prisonnier d’une structure mentale archaïque.
Les anciens appelaient cela du paganisme, les modernes du marxisme. Aujourd’hui, on décline la même idée en plusieurs autres « ismes » : racisme, sexisme, et le petit dernier à la mode : « spécisme ». Toujours cette même idée que le monde est pris dans une roue de hamster entre les classes du dessus et les classes du dessous. Que notre unique espoir est dans une alternance des inquisiteurs et guillotineurs.
Faut-il donc se résigner à tourner en rond ?
Mea culpa
La solution se trouve dans un autre « isme » que l’Occident a plus ou moins consciemment crucifié : le christianisme.
Le seul « isme » qui reconnait que les victimes sont aussi des bourreaux. Le seul « isme » qui reconnait une égale dignité à ceux qui commettent l’injustice qu’à ceux qui la subissent.
Car qui se reconnait coupable au moins en partie, se reconnait du même coup responsable et donc libre. Mais qui se croit seulement innocent en tout et pour tout diminue sa dignité.
Hormis les très jeunes enfants, les pures victimes n’existent pas. Et c’est de ce mensonge que le Christ est venu nous libérer.
Car, quand tout le monde se considère innocent et accuse les autres, plus rien ne bouge. Le monde se fige et se fixe dans une position défensive. Les accusateurs et les accusés entrent en cours de justice et tout le monde se pare d’avocats, non pas tant pour faire justice, que pour se justifier.
Le christianisme est l’unique voie qui propose un véritable renversement et avancement. C’est à chacun de se reconnaitre d’abord bourreau. À chacun de s’accuser premièrement de ses torts et travers avant d’accuser les autres. « Enlève d’abord la poutre de ton œil ; alors tu verras clair pour enlever la paille qui est dans l’œil de ton frère. » (Mathieu 7, 5)
Et alors seulement se produit la transformation miraculeuse tant désirée.
Le bourreau ne devient pas une victime, ni la victime un bourreau, mais tous deux redeviennent des êtres libres et responsables.
Ils ne sont plus sur la défensive ni dans l’offensive. Ils sont dans la vérité et l’humilité. Et ils inspirent d’autres à faire de même par leur exemple.
Une véritable réconciliation est alors possible.
Sortir du système
En somme, il ne s’agit pas de changer le système, mais il s’agit d’en sortir.
Et ce n’est pas avec des subventions et des chaires de recherches qu’on fait éclater un système, encore moins avec des manifestations et des révolutions. C’est avec des confessions et des réconciliations, avec l’introspection et le pardon.
Le Christ est venu pour faire éclater ces schémas destructeurs, en sortant de cette dialectique mensongère et mortifère.
En rétablissant la justice par la miséricorde.
En réparant l’offense par l’offrande.
En vainquant le mal par le bien.
Et alors seulement « il n’y a plus ni esclave ni homme libre ». (Galates 3,28)