La passion d’Augustine

Un texte de Stefany Paulin-Gagné

Commentaire d’une jeune Québécoise à une réalisatrice Suisse sur une période que ni l’une ni l’autre n’ont vécu. Du moins, pas directement.

La réalisatrice Léa Pool (Anne Trister, À corps perdu, Emporte-moi) tente de nous transporter dans le Québec des années soixante, un Québec qui bégaye la période post-Vatican II, qui s’affirme mal qui cherche et qui se plante.

Si la Passion d’Augustine eut été un éloge de la vie religieuse traditionnelle, au départ l’ambiance était très réussie, voire saisissante, les religieuses (en habit) respirent cette époque ; le bonnet blanc, le voile noir qui le recouvre, l’immense croix qu’elles arborent fièrement au cou, la révérence qu’elles ont l’une envers l’autre, et une touche spéciale quant au vocabulaire employé. Des images criantes d’une joie candide et pure, comme la scène où deux sœurs patinent sur le Richelieu la cape au vent, nous montrent certes une période où ces femmes se contentaient de peu pour être heureuses, mais nous assurent surtout de la véracité de cette joie.

Elles n’avaient pas besoin de plus.

Mais Léa Pool a quelques maladresses concernant les sœurs, qui nous font douter du caractère élogieux du film. Référence évidente au moment où Sœur Lise ridiculise une jeune fille bègue en l’obligeant à réciter une phrase absolument imprononçable devant toute la classe. Si la dureté des sœurs devait être exprimée, elle l’était déjà dans la scène où mère Augustine reprend fermement un exercice de piano avec la jeune Alice Champagne.

La musique prend dès le départ une place importante, qu’on associera à la prière, et évidemment le répertoire est très classique ; Bach, Mozart, Schubert, ce qui n’est pas pour déplaire. Les jeunes actrices ont un talent et une passion contagieuse, surtout Lysandre Ménard qui interprète avec fougue et maturité le rôle clé d’Alice Champagne. Cette jeune pianiste n’a pas été choisie lors d’une audition comme les autres, la réalisatrice est allée la chercher directement dans les murs du Conservatoire de Montréal, d’abord pour son talent musical.

Bien que le thème de la jeune fille rebelle se faisant placer contre son gré dans un couvent soit un motif récurrent et revisité ici, là n’est pas le seul hic.

Du féminisme

Le plus gros bémol réside en la douce ambigüité quant à savoir quel est le propos du film. En entrevue, la réalisatrice explique qu’elle a voulu parler d’une époque qui mérite attention, et qu’elle a vécue à sa manière. Originaire de Suisse, arrivée au Québec au milieu des années soixante-dix à l’âge de 25 ans, elle fut spectatrice des questions telles que la modernisation de la société, du débat entre écoles publiques et écoles confessionnelles, du retrait du religieux dans la sphère politique, etc.

Toutefois, les questions qu’elle met dans la bouche des religieuses ne sont peut-être pas le reflet exact d’un couvent en pleine crise. Enfin, il est difficile de savoir si au départ il s’agit d’une valorisation de la tradition (nombreux commentaires sur Vatican II, l’indifférence totale de l’assistance lors d’une messe à gogo, les appuis des citoyens sur la façon rigoureuse d’enseigner) ou si, plus le film avance, c’est encore et toujours la question de la condition féminine posée un peu maladroitement. Notamment, la scène où l’une des sœurs (Valérie Blais, avant-gardiste) s’identifie à l’expression cheap labor pour parler de leur iniquité salariale.

Cette ambigüité trouve son paroxysme dans la scène extrêmement touchante et – je dois l’accorder à la réalisatrice – étonnamment belle où les religieuses quittent leur habit austère et ma foi très chaste, pour une robe tout ce qu’il y a de plus normal leur arrivant aux genoux, la tête découverte et tous signes ostentatoires disparus. Sœur Lise, sans doute celle qui incarne le mieux ces valeurs traditionnelles, vit un réel combat à ce moment, et a réussi à m’arracher quelques larmes.

De la musique

Pour un point de vue plus chrétien: il faut aussi noter que malheureusement la musique prend la place de Dieu dans ce film. Ce n’est pas qu’une passion, cela devient vraiment une obsession. Toutefois, en se mettant à leur place, on peut facilement comprendre que ce couvent était leur vie et que la menace de le fermer signifiait une seconde perte d’identité.

De plus, certaines répliques nous font comprendre que plusieurs d’entre elles sont entrées au couvent pour fuir le monde et c’est à cet endroit précis que pour un chrétien le film fait grincer des dents. C’est toute la question de la désobéissance à son Ordre, de l’anticléricalisme ambiant, du tournant féministe des sœurs, on croirait vraiment qu’à défaut de vouloir s’émanciper d’un carcan, elles s’en font imposer un autre beaucoup plus dommageable, ne serait-ce que pour leur relation à Dieu.

Ceci est très bien exprimé, et je ne peux dire si cela était voulu, mais la première interaction suivant le port de leur nouvel habit est une critique extrêmement sèche venant d’une sœur à la sœur responsable du réfectoire. En gros: notre nourriture est fade, on évolue, les épices ce n’est pas très dispendieux, il me semble que nous sommes rendues là. Si cette courte scène est un effet miroir cherchant à montrer que leur vie d’avant était fade, c’est réussi pour la réalisatrice.

Malheureusement, on observe qu’au début du film elles étaient heureuses et que plus le film avance, plus elles sont prises avec des problèmes du monde, plus elles se rapprochent du monde (tant physiquement que dans les mœurs) plus la vie spirituelle prend une méchante débarque.

Toutes ces crises mèneront certaines sœurs à quitter la vie religieuse.

Un paradoxe m’a sauté au visage en quittant la salle et je vous le livre en guise de conclusion : en cédant à la mouvance générale au gout du jour, en quittant ce qui les faisait se distinguer du monde, en voulant quitter l’anonymat, elles se sont rendues plus anonymes que jamais.

 

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Pour continuer la réflexion :

http://ici.radio-canada.ca/emissions/medium_large/2014-2015/chronique.asp?idChronique=366709

http://www.ecdq.tv/fr/videos/9af76329c78e28c977ab1bcd1c3fe9b8

http://www.ecdq.tv/fr/videos/d9fc0cdb67638d50f411432d0d41d0ba

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