Carnaval de Québec
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Carnaval de Québec : fête populaire ou bizness touristique?

Au fil des siècles, les carnavals de partout dans le monde ont largement débordé des questions de restrictions alimentaires pour devenir des festivités populaires de grande ampleur. Partout, sauf peut-être chez nous avec le Carnaval de Québec.

Le terme Carnaval est apparu en français dans les années 1500 et référait à la période qui se trouve entre l’Épiphanie et le Mardi gras. L’expression a pour origine carnelevare, un mot latin formé de carne « viande » et levare « enlever ».

C’est ce qu’on fait (entre autres) durant le carême : se priver viande. 

Un temps de subversion…

On raconte qu’à l’origine, on se réunissait la veille du Mercredi des Cendres afin de consommer la nourriture qui risquait de se perdre d’ici Pâques. On se préparait à l’austérité en se permettant un temps de surabondance, durant lequel les règles de la vie normale étaient suspendues. 

Plus largement, le Carnaval est un espace-temps fait de subversion sociale et politique. Il y règne une certaine liberté de mœurs qui autorise les excès. On a retrouvé dans différentes cultures des traces de telles pratiques.



Par exemple, durant les Saturnales fêtées dans l’Antiquité romaine, les esclaves jouissaient d’une liberté provisoire. Ils pouvaient dire leurs quatre vérités à leurs maitres qui eux, devaient les servir à table.

Dans le film Les Maitres fous, l’ethnographe Jean Rouch présente un rituel haouka. On y voit des immigrés démunis se plonger en transe pour incarner les différents acteurs de la colonisation. Différents carnavals à travers le monde se termineront par l’immolation d’une effigie qui représente l’autorité en place.  

… ou une création commerciale

Quant à lui, le Carnaval de Québec a visé dès sa fondation à enrichir les classes dominantes. Les commerçants du centre-ville ont été les premiers instigateurs de l’évènement qui, en 1894, était réservé aux familles aisées de la ville.

Le Carnaval tel que nous le connaissons est réapparu en 1955 à l’initiative de la Chambre de commerce de Québec. Celle-ci souhaitait attirer les touristes durant la saison creuse.

Encore aujourd’hui, le Carnaval de Québec se donne pour mission d’organiser « une fête hivernale dans la région de Québec dans le but de générer une activité économique, touristique et sociale de première qualité ».

Nous sommes loin de la tradition populaire dont le Carnaval tente de se revendiquer. 

Depuis la fin des années 1990, l’évènement est à la recherche de son identité. Peu de mes contemporaines auront pleuré le départ des duchesses, qui agissaient à titre de simples agentes promotionnelles.

Il faut visionner ce documentaire de l’ONF pour voir à quel point leur discours était formaté. On leur donnait des cours de maintien et de bienséance afin qu’elles soient le reflet d’une ville qu’on aurait voulu proprette. On a voulu les moderniser en leur demandant, en 2014, de défendre un projet entrepreneurial. L’échec de leur retour était à prévoir.

Pour paraphraser Pierre Falardeau, dans Le temps des bouffons : « ici, les monarques jouent le rôle des monarques, les gens d’affaires jouent des gens d’affaires. Chacun à sa place ».

Il n’y a pas de quoi fêter. 


Valérie Laflamme-Caron

Valérie Laflamme-Caron est formée en anthropologie et en théologie. Elle anime présentement la pastorale dans une école secondaire de la région de Québec. Elle aime traiter des enjeux qui traversent le Québec contemporain avec un langage qui mobilise l’apport des sciences sociales à sa posture croyante.