Lysandre Ménard
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Lysandre Ménard: de musique, de rigueur et de bonnes sœurs


Elle n’a que 21 ans, et on dirait qu’elle est née dans un bénitier. Lysandre Ménard, la révélation du film de Léa Pool La Passion d’Augustine, n’a que de bons et de beaux mots à l’égard des religieuses qui l’ont formée, éduquée, inspirée… et fait transpirer!

«Dès mon plus jeune âge, à l’École Sainte-Anne, j’étais entourée de sœurs! Je n’ai pas un regard critique sur elles! Je n’ai que du respect pour les Sœurs de Sainte-Anne et tous les religieux que j’ai vus dans ma vie. Que du bon monde! Et je dirais que toutes les personnes qui ont gravité autour de moi possédaient toutes ce charisme très spécial, porté par la religion.

Rigueur de soeurs

N’as-tu pas quelques critiques à formuler? «J’ai une vision différente de la religion que les jeunes de ma génération. L’éducation que j’ai reçue était tellement différente. Il y avait une grande rigueur.»

Un peu comme dans le film? «Oui! C’est sûr qu’il y a de nouvelles approches pédagogiques de nos jours, mais [l’École de musique] Vincent d’Indy utilise les mêmes formules qu’à l’époque du film.

«Au début, j’avais peur que le film ne respecte pas l’histoire de la musique au Québec. J’ai quand même ma vision des choses sur la musique d’ici et je tenais à ce que ce soit fidèle à l’histoire, que ce soit crédible.»

Comme quoi, par exemple? «Eh bien, dans le film, la sœur me fait répéter le prélude de Bach en me faisant compter à voix haute. Mais c’est comme ça que ça se faisait pour vrai dans le temps! À Vincent d’Indy, c’est comme ça! Je faisais des examens devant des religieuses, à voix haute!»

Pourquoi la musique?

Et dans les autres écoles? «Disons que cette rigueur-là, comme ça, y’en a pas eu beaucoup au Québec. La rigueur, pourtant, c’est ce que ça prend pour arriver à interpréter les grands maitres!

«Ce qui me fait peur en ce moment, dans ce que le milieu semble être devenu, c’est qu’on perd un peu l’essence même de ce qu’est la musique, du pourquoi on joue! Il y a comme un nouveau phénomène, comme pour faire un show… mais ce n’est pas pour ça que je fais de la musique! Moi, c’est pour découvrir de grands génies! Pour les faire découvrir aux autres! Pour faire vivre ça aux gens! Pour donner ces moments-là qui sont intemporels! Transcendants! C’est la puissance de la transcendance!»

Comme si la musique était devenue un truc de performance? « Oui, hier j’avais mon récital de Bach. Quelques jours avant, j’angoissais totalement parce que je me disais que c’était un répertoire que tout le monde connaissait, et que je ne faisais rien de nouveau, et qu’ils allaient me juger…

«Il a fallu que je me parle! Je me suis dit, NON! je ne veux pas rentrer là-dedans! Je ne veux pas être un robot! Je ne veux pas faire dans la performance! Alors, en jouant, j’ai eu la réflexion suivante: « Là, tu donnes ce que tu as préparé. C’est tout! » C’était devenu un cadeau, tu vois… Je me suis totalement laissé aller, et c’était bon!»

Le film

La jeune musicienne a beaucoup apprécié le film de Léa Pool parce qu’elle n’a pas senti que les religieuses avaient été jugées. Ni trop bonnes, ni trop mauvaises, elles étaient des femmes.

Elle qui avait fréquenté toute sa vie des religieuses, les voyaient soudainement d’une autre façon: «Je n’avais aucune idée ce par quoi elles avaient dû passer! J’ai souvent entendu ou lu des choses négatives par rapport à notre passé religieux au Québec. Ce film redonne à ces femmes un peu de ce qu’elles nous ont donné en santé et en éducation.

«On a un énorme héritage, et on dirait qu’on veut tout jeter par-dessus bord. Ces femmes-là se sont battues ; elles voulaient faire avancer le Québec! Sœur Violette Blais qui m’accompagne depuis l’âge de 6 ans à Vincent d’Indy, elle, elle a vu ce film comme un grand cadeau…»

Face à face

En tournage, quelque chose d’incroyable est survenu. «Lorsque nous sommes arrivés à l’Horeb de St-Jacques, le lieu de notre tournage (ancien couvent devenu centre de ressourcement spirituel), quatre sœurs sortaient du couvent. C’était le matin de leur départ définitif; elles étaient relocalisées ailleurs.

«Céline Bonnier et Diane Lavallée portaient leur costume de sœurs pour le tournage… mais pas les quatre sœurs qui sortaient! Elles, elles ne l’avaient plus! Elles se sont regardées… C’était vraiment très troublant… On les a invités à venir voir la classe de Sœur Lise à l’intérieur, pour le tournage, mais elles ont refusé. C’était trop pour elles, je crois.

«Elles ont sonné la cloche du couvent une dernière fois, et elles sont parties… Dans le film, Sœur Lise dit « on va se retrouver à 80 ans, sans couvent et sans costume! »… Eh bien, c’est exactement ça qui est arrivé ce matin-là! C’était surréaliste… et triste.»

La passion de Lysandre

Ta passion, c’est la musique, mais le cinéma, lui? «Je dois dire que cette expérience a changé beaucoup de choses dans mes plans. Je me suis rendu compte qu’une carrière de soliste ce n’était peut-être pas pour moi.

«J’ai toujours été solo, à répéter des heures et des heures, toute seule, mais quand j’ai travaillé sur ce projet, ça m’a déstabilisée! Je me suis dit que je pouvais faire de la musique avec d’autres et continuer dans le cinéma.

«J’aimerais faire du cinéma, plus que du théâtre ou de la télé. Il y a quelque chose dans le travail cinématographique qui prend du temps, qui est long, que j’explore par moi-même.»

Lysandre Ménard vient de terminer son baccalauréat au Conservatoire de musique à Montréal. Parions que nous pourrons la voir et l’entendre de nouveau sur grand écran.


Brigitte Bédard

D’abord journaliste indépendante au tournant du siècle, Brigitte met maintenant son amour de l’écriture et des rencontres au service de la mission du Verbe médias. Après J’étais incapable d’aimer. Le Christ m’a libérée (2019, Artège), elle a fait paraitre Je me suis laissé aimer. Et l’Esprit saint m’a emportée (Artège) en 2022.