Ariane Beauféray

Éducation sexuelle: le contenu décortiqué

Cette année, 8200 élèves de 15 écoles privées et publiques recevront des cours d’éducation à la sexualité, à raison de 5 heures par an à la maternelle et au primaire et 15 heures par an au secondaire. C’est le programme pilote du ministère de l’Éducation, qui permettra la mise en place d’un programme obligatoire d’éducation à la sexualité dès 2017. Car on se doute que le programme pilote sera une réussite. (Vu qu’il a couté 860 000$, on espère bien.)

Lors de l’élaboration du programme, aucun sexologue n’a été consulté. L’UNESCO a beau dire que « les personnes qui feront l’éducation à la sexualité n’ont pas besoin d’être des experts de haut niveau », il faut pourtant bien que quelqu’un tranche sur ce qu’un enfant de 5 est capable d’entendre sur le sexe.

On sait que quelqu’un a tranché, mais on ne sait pas qui ni comment.

Réaction des enseignants face au programme? Ils ne remettent pas en question le contenu. « Il est approprié ». C’est la mise en place du programme qu’ils remettent en cause. Les enseignants ne sont pas formés ; ne sont pas à l’aise à parler de sexualité ; cela s’ajoute à leur horaire sans que des heures spécifiques soient prévues dans l’année, etc. «La façon de faire est inacceptable ». Avec le fond par contre, tout va bien.

En effet, selon le ministre de l’Éducation, il y a un consensus sur le retour de ces cours d’éducation à la sexualité à l’école. C’est vrai que le cours de formation personnelle et sociale était, déjà à l’époque, essentiel concernant l’éducation à la sexualité…

En secondaire 5, j’avais eu le droit de regarder une fille se faire violer 6 ou 7 fois dans une vidéo, pour bien me faire comprendre que ce n’était pas de sa faute si elle se faisait violer (ce que je n’avais jamais contesté). Cela n’avait pas vraiment fonctionné ; certains de mes camarades considéraient encore que c’était de sa faute après le visionnement. Cette expérience – pardon, cet enseignement – n’a rien apporté sinon tristesse et dégout.

De son côté, le premier ministre considère qu’»une bonne majorité des Québécois préfèrent la connaissance à l’ignorance » mais qu’il faut que «le cours soit bien fait, donné par des personnes compétentes qui ont la formation pour le faire, qu’il soit équilibré et qu’il tienne compte de l’âge et du niveau des enfants auxquels il s’adresse ».

Eh bien, regardons cela.

Qui donnera ce cours?

Les enseignants se chargeront de parler aux enfants et ados de sexualité. Les responsables du dossier dans les commissions scolaires recevront une journée et demie de formation sur le programme plus quatre sessions de travail par visioconférence.

Puis, ces responsables détermineront quelle formation sera nécessaire pour les enseignants. Voilà donc nos flambants spécialistes, nos «personnes compétentes ». Parfois, une infirmière ou un responsable de la vie spirituelle viendra aussi donner son grain de sel, mais toutes les écoles n’en disposent pas.

Quel est le contenu du cours?

Il est disponible ici.

Décortiquons-le ensemble. Vérifions qu’il est bien fait, qu’il est «équilibré et qu’il [tient] compte de l’âge et du niveau des enfants auxquels il s’adresse », pour reprendre le mot M. Couillard. Je préfère vous prévenir : lors de l’écriture de ce texte, aucune source n’a été consultée, et aucune méthode scientifique n’a été appliquée.

De plus, je ne suis ni enseignante, ni sexologue, ni psychologue, ni infirmière, ni [remplissez l’espace]. Je suis par contre fille, sœur, épouse et mère. Je me permettrai de parler en tant que telle. Cela me semble un bon départ pour parler de sexualité.

5-6 ans : À quoi ça sert un pénis? Comment le bébé est-il entré dans le ventre de maman? Pourquoi maman saigne?

Mon petit frère a 9 ans. Alors, oui, il savait faire pipi debout à 5 ans, mais il ne se posait pas de question sur ce qu’il pourrait bien faire d’autre avec son zizi. Et il savait encore moins ce qu’étaient des menstruations ; il n’en avait alors jamais entendu parler. Lui en parler à cet âge l’aurait traumatisé, et je n’hyperbole pas.

Je crois qu’il vient d’apprendre ce que c’est, parce que mon père a eu récemment une discussion avec lui sur la sexualité.

Parce qu’il était prêt à en apprendre plus, et parce que mes parents voulaient être les premiers à lui en parler – avant l’école, avant les camarades de classe.

Parce que les autres s’arrêtent souvent sur des détails techniques, de façon sérieuse comme le ministère ou en blaguant comme dans les corridors d’école, mais n’abordent souvent pas l’essentiel : c’est quoi l’amour entre un homme et une femme?

7-8 ans : Est-ce vrai qu’il y a des jouets pour les garçons et des jouets pour les filles? Quand mes seins vont-ils pousser? Pourquoi je n’ai pas de meilleur ami?

Ah, les stéréotypes de genre. À combattre, à supprimer, que dis-je : à annihiler. Que répondra l’enseignante à ces enfants qui ne lui ont pas posé de question? Oui, les garçons de 8 ans peuvent jouer aux Barbies? Non, le camion n’est pas réservé aux garçons? Est-ce que c’est vraiment important?

Quand j’étais au primaire, j’étais un vrai tomboy. Je m’habillais en garçon et je jouais avec les garçons (enfin, j’essayais, car eux ne m’acceptaient pas vraiment). Hors de question de porter du rose, une robe, ou de recevoir une poupée en cadeau. Mes cheveux n’étaient pas courts, mais par contre jamais coiffés.

Je me souviens même, lors de vacances en Bourgogne, d’avoir couru torse nu avec de nouveaux amis dans la prairie (nous étions des guerriers sauvages). Par la suite, j’ai grandi, et j’ai continué à porter les vêtements que je voulais, j’ai fait les études que je voulais, et j’ai épousé l’homme que je voulais.

Sans traumatisme, sans regret.

Enfant, je n’ai jamais eu de meilleur ami, et je n’étais pas pressé que mes seins poussent – je m’en fichais. Car je ne passais pas mon temps à me demander si j’étais une fille ou garçon : c’était établi que j’étais une fille. Une fille qui portait des pantalons de garçon, PAS des pantalons de filles. Car oui, il y a des pantalons de garçon, des jouets pour garçon, des jeux pour garçons, des carrières pour garçon. Et heureusement. Les enfants les choisissent parce qu’ils les aiment, comme ma grande sœur avec ses petites voitures, mais aussi parfois parce que ce sont des affaires de garçon!

Quand j’étais petite, j’avais besoin de ces vêtements étiquetés pour garçon. Je ne voulais pas être une fille, pour un moment. Cela n’a pas duré, comme ces modes affreuses qu’on adopte tous au secondaire, et qu’on trouve alors tellement tendance.

Sans stéréotype, pas d’appartenance à un groupe – or, nous avons besoin de nous situer dans le monde, dans des groupes, d’appartenir à quelque chose. Un monde où porter un pantalon ou une robe a la même signification est un monde absurde, sans logique, où rien n’a de signification.

Or, enfants comme adultes ont besoin de repères pour croitre. Sinon, on est comme un voyageur sans boussole : on va quelque part, mais en fait on ne va nulle part ; on tourne en rond, on avance puis on recule. On ne se situe pas dans ce monde. On ne sait pas où on est, et on ne peut pas savoir où on va.

14-15 ans : Est-ce que les parents devraient savoir que l’on a un amoureux? Jusqu’où peut-on aller quand on sort avec quelqu’un? Est-ce mal de se masturber? Comment dire à mes parents que je prends la pilule?

La question est intéressante : est-ce mal de se masturber? De quoi alimenter une bonne discussion autour d’un verre. Sauf que les interlocuteurs en question ne débattent pas, ils écoutent ; et ils ne peuvent même pas boire d’alcool pour faire passer la pilule, étant donné qu’ils ont 14 ans. Que va répondre l’enseignant? Oui, c’est bien? Qui peut prétendre donner une réponse simple a cette question si délicate?

Cette question renvoie au corps, qui change beaucoup à cet âge, et elle renvoie aussi à l’amour de soi, des autres, à la pornographie, aux dépendances sexuelles… Comme la cigarette, on peut très facilement devenir dépendant au porno et à la masturbation à 14 ans. Il faut parfois des années, des décennies, avant qu’un homme se débarrasse de ces images de femmes nues qu’il a vu à l’adolescence, et qui demeurent comme imprimées dans son imaginaire.

Alors, faut-il statuer à l’école de la moralité de la masturbation? Faut-il accabler le dépendant, ou créer des dépendants? Y a-t-il une autre solution? Demandez-le à votre entourage. Personne ne sera d’accord.

Concernant la dernière question, «Comment dire à mes parents que je prends la pilule? », la formulation m’impressionne beaucoup. L’école va apprendre à ma fille comment m’annoncer qu’elle prend a pilule. Car ma fille finira forcément par la prendre, et parce que moi, mère-mais-pas-trop, j’ai le droit de le savoir. Enfin, on me reconnait un rôle dans cette histoire de sexualité! Je pourrais écouter ma fille quand elle m’annoncera avoir commencé sa première tablette, bien préparée par son enseignante.

Désolée, mais ce jour n’arrivera pas. Prendre un traitement hormonal, cela ne se décide jamais tout seul. Et encore moins quand on a 14 ans. Je serai peut-être mère-plus-qu’il-ne-le-faut aux yeux du ministère, mais j’aurais appris à ma fille à aimer sa féminité et sa fertilité dans la période difficile qu’est l’adolescence ; j’aurais répondu à la question «mon corps féminin est-il bien et beau tel qu’il est? ».

Prendre la pilule, c’est répondre un non criant à cette question.

Des questions sans réponses

Des questions, il y en a bien d’autres sur le site du ministère dédié à l’éducation à la sexualité. Beaucoup de questions, mais pas la source de ces questions, et encore moins des réponses. On ne sait pas qui mène quoi ; ce qu’on sait, c’est que les parents ne mènent rien. Triste réalité. On pense que «c’est certain : certains parents n’éduquent pas leurs enfants ». Ou encore «c’est sûr : ce programme est nécessaire.

Il y a forcément d’indignes parents qui ne parlent pas de tout ça à leurs enfants! Des irresponsables! ». Alors, soyons responsables, donnons la responsabilité au ministère. Et rendons tout cela obligatoire.

Est-ce vraiment ce que nous voulons pour nos enfants?

Peut-on s’abstenir de ce cours?

L’association des parents catholiques du Québec martèle mordicus que oui. «L’autorité parentale doit primer sur la structure scolaire». Cette même association avait déjà obtenu en 1992 un droit d’exemption pour un cours d’éducation à la sexualité.

Que dit le ministre de son côté? Pas question de dispenser des élèves avec des croyances ou des valeurs incompatibles avec les questions sexuelles abordées.

Que ce passera-t-il dans les faits? On verra bien! Pour le moment, le ministère affirme que les dates des cours seront données à l’avance aux parents. Étant donné que garder son enfant à la maison une journée n’est pas encore passible de prison, contrairement ce qui se passe en Allemagne, je ne vois pas ce qui empêcherait d’exempter soi-même son enfant de cours cette journée-là. Une protestation simple, protectrice, à l’écoute des besoins particuliers de chacun de nos enfants.

Une protestation d’éducateurs face à un ministère qui se veut éducateur plutôt qu’enseignant.

Ariane Beauféray

Ariane Beauféray est doctorante en aménagement du territoire et développement régional. Elle s’intéresse à l’écologie intégrale et met au point de nouveaux outils pour aider la prise de décision dans ce domaine. Collaboratrice de la première heure, elle est désormais membre permanente de l’équipe de journalistes du Verbe médias.