Photo: Pixabay - CC.
Photo: Pixabay - CC.

Peine de mort : la doctrine de l’Église mise à jour

Jeudi dernier, le préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, le cardinal Luis F. Ladaria s.j., publiait une version ajournée du numéro 2267 du Catéchisme de l’Église catholique. La modification n’a pas manqué de susciter de nombreuses et diverses réactions, tant chez les fidèles que dans les milieux séculiers.

Portant sur la peine de mort, cette volonté de reformulation avait été déjà annoncée par le Saint-Père, il y a quelques mois, alors qu’il affirmait que ce thème « devrait trouver dans le Catéchisme de l’Église Catholique, un espace plus approprié ». Ainsi, nous sommes passés d’un jugement sur la peine de mort comme étant acceptable dans des cas qui « sont désormais assez rares, sinon même pratiquement inexistants » (Evangelium vitae, n. 56) à une condamnation sans équivoque puisque désormais « inadmissible »[1] dans tous les cas (« non passe admitti quippe quae repugnet inviolabili personae humanae dignitati »). Alors que la plupart des catholiques dans des pays où se pratique encore la peine de mort ont salué cette clarification, certains s’en sont néanmoins désolés.

Bien que la peine de mort ne nous concerne plus directement au Canada depuis 42 ans, la nature des arguments utilisés dans cette polémique nous invite à la réflexion.

Continuité ou rupture ?

La doctrine de l’Église est très claire : « Le charisme de l’infaillibilité s’étend encore à tous les éléments de doctrine, y compris les éléments moraux, sans lesquels les vérités salutaires de la foi ne peuvent être gardées, exposées ou observées (CDF, décl. « Mysterium Ecclesiæ » 3) ».

L’Église, si elle veut être en cohérence avec sa propre nature, ne peut donc pas enseigner une chose et son contraire. En effet, définir un enseignement moral en contradiction avec sa propre tradition reviendrait à contredire son infaillibité en matière de dogme et de morale. Cela impliquerait donc anéantir la crédibilité même de l’Église censée être assistée de l’Esprit Saint jusqu’à la fin du monde.

En bon français, on appellerait ça « couper la branche sur laquelle on est assis ».

Or, pendant des siècles, l’Église a permis et bien souvent légitimé le recours à la peine de mort par « le bras séculier ». En effet, comme le dit le pape François lui-même : « Malheureusement, même dans les États pontificaux, on a eu recours à ce remède extrême et inhumain [de la peine de mort], faisant ainsi disparaitre le primat de la miséricorde sur la justice ».

Y aurait-il donc contradiction dans l’enseignement moral de l’Église ?

Posée en ces termes, cette question nous concerne tous puisque reconnaitre une contradiction remettrait en question l’édifice complet de la foi catholique.

Le pas franchi par le pape François de rendre « toujours inadmissible » le recours à la peine de mort est-il en continuité ou en rupture avec l’enseignement de l’Église et des récents papes ? J’étais très surpris d’entendre certains commentateurs américains, manifestement favorables à la peine de mort dans certains cas, affirmer qu’il s’agissait d’une « rupture » (à 3 min. 51 sec.). Nul besoin de manifester les implications d’une telle affirmation. Contentons-nous de comprendre que, pour eux, il est impossible de voir une continuité entre « très rarement admissible » et « jamais admissible ».

L’erreur de cette position se trouve dans le fait de ne pas reconnaitre la nature de ce saut qualitatif. Celui-ci s’appuyant en effet sur un jugement circonstanciel. Par exemple, on aurait pu discerner une rupture entre l’enseignement du présent pape et celui de ses prédécesseurs, s’il avait utilisé la formulation suivante : « la peine de mort est intrinsèquement mauvaise ». Dans ce cas, ce serait la preuve que l’Église n’a pas su reconnaitre la malice intrinsèque de cette pratique à un moment où elle aurait dû le savoir (c’est-à-dire durant toute l’histoire de l’humanité jusqu’à présent). Ce qui aurait été la preuve de la fausseté du charisme d’enseignement de l’Église.

Ce n’est pas la formulation que l’on retrouve dans la nouvelle version du numéro 2267 et ce n’est pas un hasard. Comme l’affirme le préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi (CDF) dans sa Lettre aux évêques :« La nouvelle formulation du numéro 2267 du Catéchisme s’inscrit dans un développement authentique de la doctrine, qui ne contredit pas les enseignements antérieurs du Magistère ».

Nouvel outil au service de la dignité humaine

Au lieu de se laisser aller à des analyses minant plus ou moins la crédibilité des enseignements du Saint-Père, les médias catholiques ne pourraient-ils pas examiner le bienfondé d’une telle modification ? En effet, se peut-il que ce changement soit dû à l’amélioration des systèmes juridiques et carcéraux dans le monde, faisant en sorte que les raisons légitimant le recours à la peine de mort n’existent tout simplement plus ?

En ce sens, cette nouveauté de la totale inadmissibilité de la peine de mort n’est-elle pas plutôt une évolution permise et, même, souhaitée par les enseignements du pape saint Jean-Paul II ? Ne devrions-nous pas nous réjouir de l’évolution de la société sur cette question plutôt que de se perdre dans des justifications inutiles ?

Le changement effectué par le pape François est la preuve de l’adéquation permanente des enseignements de l’Église avec les exigences de la sainteté.

Le changement effectué par le pape François sur cette question n’est donc ni une cohérence enfin atteinte ni une rupture avec l’enseignement du passé, c’est uniquement la preuve de l’adéquation permanente des enseignements de l’Église avec les exigences de la sainteté.

Un autre élément nous permet de nous réjouir de ce changement. Si l’on regarde de plus près, on se rend compte qu’aujourd’hui, la pratique de la peine de mort est quasiment absente en Occident. Cela n’en demeure pas moins une sentence commune dans plusieurs pays comme la Chine, l’Iran et l’Arabie Saoudite.

Dans ce contexte, cette nouvelle « prise de conscience qui reconnait le caractère inadmissible de la peine de mort et en demande donc l’abolition » ne signifie-t-elle pas que le Saint-Siège s’engage résolument à faire la promotion de la dignité humaine, de la conception à la mort naturelle, dans les pays où cette valeur est bafouée ? À l’heure où les contentieux entre le Saint-Siège et Pékin semblent difficilement surmontables, un tel ajout ne risque-t-il pas de miner les pourparlers ?

Bien qu’il soit sensible à ces relations, cela ne semble pas avoir affecté la décision du Pape qui en fait désormais une question de principe. Ainsi, nous devrions nous réjouir de cette évolution qui donnera de nouveaux outils à tous les défenseurs de la vie dans le monde.

Des principes à la hauteur

Loin d’être en rupture avec les enseignements du passé, cette reconnaissance du caractère aujourd’hui inadmissible de la peine de mort s’inscrit dans la volonté pérenne de l’Église d’offrir aux nations, des principes sociaux à la hauteur, à la fois, de la dignité de toute personne et des exigences de justice nécessaires à l’établissement de tout état de droit.

Espérons que cette approche globale de la cause « pro-vie » donnera un nouveau souffle aux artisans de paix afin de « favoriser une mentalité qui reconnaisse la dignité de chaque vie humaine » (no 10).

_________

Note:

[1]Il s’agit ici de ma traduction personnelle puisque la traduction française de la réécriture de l’article ne rend pas compte, contrairement à toutes les autres traductions, de « l’inadmissibilité » de la peine de mort, utilisant plutôt le terme « inhumain ». L’editio typicautilise quant à elle le « non posse admitti » qui signifie « il n’est pas admissible ».

Francis Denis

Francis Denis a étudié la philosophie et la théologie à l’Université Laval et à l'Université pontificale de la Sainte Croix à Rome. Il est réalisateur et vidéo-journaliste indépendant.