Dans les encadrés des livres de science, on lit souvent que Galilée (1564-1642) est le père de la science moderne, que l’Église a condamné au nom de l’obscurantisme. Dans certaines représentations en art, on le voit dans un cachot ou encore à genoux devant le tribunal de l’Inquisition. Dans les débats enflammés sur la Toile, il n’est pas surprenant d’y lire qu’il a fini brulé au bucher par des catholiques zélés. Le chapeau de martyr de la science fait-il vraiment à ce savant du 17e siècle? Rencontre avec Jean-Baptiste Noé, historien, à Paris.
Galilée est un grand incompris de l’Histoire. C’est ce qui me saute aux yeux quand je m’entretiens avec l’auteur Jean-Baptiste Noé, qui a consacré plusieurs années de recherche pour écrire le livre Le dossier Galilée.
L’historien m’énumère quelques difficultés que pose d’emblée l’étude de l’affaire Galilée. « Un des problèmes que l’on rencontre avec Galilée est que trop souvent on l’isole, lui qui est pourtant un chainon parmi d’autres dans l’histoire des sciences. On parle de Galilée en omettant de mentionner les autres scientifiques qui le précèdent. Je pense à Tycho Brahé, à Copernic, à Nicolas de Cues, à Ptolémée. »
Avant Galilée…
Galilée a eu l’idée de braquer une lunette d’approche vers l’immensité du ciel nocturne. Il découvre les lunes de Jupiter, les phases de Vénus, les cratères de la Lune, les taches solaires. Pour lui, nul doute : ces observations font pencher fortement la balance en faveur del’héliocentrisme, la théorie physique qui place le Soleil au centre de l’Univers.
Même si, depuis des siècles, la représentation du monde communément admise est le géocentrisme, on voit déjà poindre la théorie opposée chez les Grecs de l’Antiquité dans des cercles restreints de penseurs. « Puis, il y a Nicolas de Cues, prêtre allemand, et Copernic, prêtre polonais, qui ramènent l’idée bien avant Galilée, me raconte Jean-Baptiste Noé. Galilée la reprend pour la réaffirmer, et ce qu’il apporte d’un peu nouveau, ce sont de nouvelles observations. Mais il n’arrive jamais à la démontrer. »
Ainsi, si Galilée invente la lunette astronomique, il n’est pas l’inventeur de l’héliocentrisme auquel il adhère.
L’idée que Galilée a soutenue toute sa vie et qui lui a valu un procès était déjà promue par des membres du clergé avant lui.
Un constat : l’idée que Galilée a soutenue toute sa vie et qui lui a valu un procès était déjà promue par des membres du clergé avant lui. La différence est que Galilée sera le premier à l’affirmer clairement comme scientifiquement vraie. Même s’il tente d’apporter de nouveaux arguments, il ne pourra pas en faire la preuve définitive.
Peut-on, par conséquent, si facilement affirmer que l’Église est contre la science quand on sait que Galilée s’est inspiré des théories de ses prédécesseurs, qui étaient eux-mêmes des prêtres catholiques?
L’époque des grands débats
Depuis des millénaires, l’humanité n’avait jamais vraiment remis en question sa position dans l’Univers. Que le Soleil tourne autour de la Terre était chose acquise par l’évidence des sens. Mais à l’époque de Galilée, on assiste à un choc des idées.
Chez les scientifiques de l’époque, à ce sujet, on ne s’entend plus. Galilée soutient l’héliocentrisme pendant que Tycho Brahé, unautre grand astronome, tente un nouveau modèle pour concilier le géocentrisme et les nouvelles découvertes de Galilée.Galilée qualifie d’« enfantillages » les arguments invoqués par Kepler et Tycho Brahé pour expliquer les marées par l’influence de la Lune. Selon lui, les marées sont plutôt une preuve de l’héliocentrisme. Mais l’Histoire donnera raison à ses opposants.
Ce texte est tiré du numéro spécial Histoire de l’hiver 2016. Pour consulter la version numérique, cliquez ici. Pour vous abonner gratuitement, cliquez ici.
« L’Église, devant ces débats, me dit M. Noé, ne prend pas position. Il y a des gens dans l’Église qui soutiennent une thèse ou l’autre, mais ça, c’est un légitime débat scientifique, jusqu’à ce qu’on arrive à la vérité scientifique. »
Encore une fois, peut-on qualifier l’Église d’obscurantiste quand elle refuse d’admettre comme vraie une thèse qui ne faisait même pas consensus chez les scientifiquesde l’époque de Galilée?
Science ou théologie?
Quand Copernic construit son modèle de l’héliocentrisme, il le fait par conviction métaphysique et non par déduction scientifique. Il opte pour une métaphysique platonicienne où le Soleil joue un rôle central. Dans son modèle, il donne aux planètes des mouvements circulaires uniformes, symbole de la perfection.
À l’époque il n’existe pas encore de séparation nette entre la science et la théologie, du moins en pratique.
Voilà un bel exemple illustrant qu’à l’époque il n’existe pas encore de séparation nette entre la science et la théologie, du moins en pratique. La théologie est d’ailleurs elle-même considérée comme une science, car le mot « science » à l’époque fait référence à tous les discours qui procèdent par raisonnement et qui sont guidés par la logique. « Jusqu’à Galilée, on a tendance à un peu tout mêler. La théologie et l’astronomie sont unies, mais à partir du 17e siècle, on commence à séparer un peu chaque science », m’explique l’historien en sirotant son café.
La science moderne était donc en train de naitre. C’est pourquoi, une fois de plus, on ne peut pas rendre l’Église coupable d’être contre une science qui n’existait pas encore, au sens où on l’entend aujourd’hui.
Les Écritures saintes en question
Il allait de soi d’interpréter certains passages de la Bible comme décrivant des phénomènes physiques. Par exemple, de nombreux théologiens voient dans le passage où Josué dit au Soleil d’arrêter sa course une confirmation du géocentrisme.
Toutefois, Galilée, appuyé par certains ecclésiastiques, dans la Lettre à Christine de Lorraine, demande aux théologiens de l’ancienne philosophie de revoir leurs interprétations des Écritures. Mais la question de savoir si les propositions physiques dans les Écritures sont ou non objet de foi est extrêmement sensible à l’époque.
Les débats concernant le statut des Écritures saintes se font donc de plus en plus vifs. Comment doit-on les interpréter? Doit-on avoir foi dans les représentations du monde que proposent les saintes Écritures? Nous renseignent-elles sur le fonctionnement du monde, sont-elles un traité de physique?
Selon Galilée, une chose est claire : « L’intention du Saint-Esprit est de nous enseigner comment on va au ciel, et non comment va le ciel. » Dans certaines lettres, il avance que Dieu nous parle autant par la Bible que par le livre de la création. De toute façon, pense-t-il, si le Créateur a fait le monde, il ne faut pas craindre de contradiction entre sa parole et les lois de la nature. Galilée invite à on ne peut plus de prudence dans l’interprétation des Écritures saintes.
Chose certaine, le 17e siècle est une période charnière de l’Histoire, où un nouveau paradigme s’apprête à remplacer l’ancien. Jean-Baptiste Noé fait aussi remarquer ce point : « On est à l’époque de la réforme du concile de Trente, donc il y a des oppositions vives entre protestants et catholiques. Comme on a déjà beaucoup de problèmes d’un point de vue théologique, ça complique les débats concernant les Écritures saintes. » Compte tenu du contexte, les catholiques accordent un surcroit d’importance à la Tradition et à l’interprétation que font de la Bible certains Pères de l’Église.
Ce n’est donc pas seulement la science qui avance, mais toute une représentation du monde avec elle. Et l’Église en est d’autant plus ébranlée.
Les motifs du procès
En 1616, le Saint-Office interdit les thèses du De Revolutionibus de Copernic, en attendant qu’elles soient corrigées. Galilée, un professeur renommé et connu à travers l’Europe pour ses découvertes, est indirectement visé par cet interdit. Le cardinal Bellarmin l’avertit de ne plus clamer haut et fort les thèses de Copernic comme étant la vérité, mais de s’en tenir à l’ordre de l’hypothèse.
Galilée appliquera le conseil du cardinal Bellarmin durant sept ans, jusqu’à ce qu’il tâte la possibilité d’une publication d’un livre auprès du pape de l’époque, Urbain VIII. Dans ce livre, Galilée souhaite mettre en scène un dialogue entre des tenants de l’héliocentrisme et ceux du géocentrisme. Le pape accepte sa proposition à la condition qu’il publie son livre à Rome et qu’il ne prenne pas parti pour l’une ou l’autre thèse.
Son livre Dialogue sur les deux grands systèmes du monde parait en 1632. Sauf que Galilée le publie à Florence. « Il s’entendait très bien avec la cour de Florence, qui l’a rémunéré pour faire des expériences. En fait, il ne respecte pas l’accord qu’il a conclu avec Rome. Ce qui est très mal perçu à Rome, Florence étant une ville rivale. Pour prendre un exemple concret, c’est un peu comme si Gallimard accepte de publier votre livre, que vous signez le contrat, mais que vous publiez chez Flammarion », m’explique M. Noé.
Autre promesse que Galilée n’a pas respectée : ses dialogues avantagent clairement la théorie de l’héliocentrisme. Un de ses personnages, Simplicius, tient pour vrai le géocentrisme. Le personnage n’est pas convaincant, et certains voient dans ce nom une référence au qualificatif « simplet ». C’est ce que pense l’historien avec qui j’en discute.
« Simplicius emploie des arguments qui sont des reprises d’un livre publié des années plus tôt par Maffeo Barberini, devenu Urbain VIII. Galilée a repris son livre et fait des citations qu’il met dans la bouche d’un idiot pour discréditer la thèse du pape. Urbain VIII aime beaucoup Galilée, mais devient fâché contre lui. Quand votre ami reprend votre livre et fait des citations dans la bouche de l’idiot du village, ça choque un peu. Encore une fois, Galilée soutient la thèse que la Terre tourne autour du Soleil sans pouvoir la démontrer. »
À cela s’ajoute toute une série de conjonctures politiques qui rendront la tâche difficile au pape. La guerre de Trente Ans donne des adversaires au pape au sein de l’Église. On l’accuse de donner son assentiment aux tenants de la philosophie nouvelle. On le traite d’hérétique. Sans doute, la décision du pape de convoquer un procès à Galilée et de changer de cap vis-à-vis de son vieil ami en est marquée.
Ce sont les raisons principales pour lesquelles Galilée est convoqué à Rome pour un procès au tribunal de l’Inquisition en 1632. Le fameux procès qui marquera les pages de l’Histoire.
Galilée n’a pas fini au cachot
En début d’entrevue, Jean-Baptiste Noé m’a exposé les difficultés que pose l’étude de l’affaire Galilée. En voici une autre, directement liée à l’issue du procès Galilée.
« Il y a tout ce dont on parle après l’affaire, au 18e siècle, aux 19eet 20e siècles. À cause de ces différentes représentations, la manière dont on voit la chose aujourd’hui est coupée de la manière dont ça s’est vraiment passé. Quand on parle de Galilée, les gens ont une vision qui est complètement déformée par rapport à la réalité. Il y a des gens qui pensent qu’il a été condamné à mort, alors qu’il n’a absolument pas été condamné à mort. Certains pensent qu’il a été brulé par l’Inquisition, alors qu’il n’a pas été brulé.
“La peine de Galilée est très simple, c’est de réciter des psaumes de pénitence, et c’est sa fille, religieuse, qui les récite pour lui. Pendant le procès,il est assigné à résidence pendant quelque temps dans une grande villa à Rome, et après, il va chez l’ambassadeur de Florence. Il finit sa vie dans une villa florentine en participant à des soirées scientifiques.” Après sa condamnation, Galilée continue ses recherches et achève une œuvre maitresse dans laquelle il pose les bases de la nouvelle mécanique.
L’histoire de l’affaire n’a non plus rien à voir avec la peinture de Bartolomé Esteban Murillo datant du milieu du 17e siècle. On y voit Galilée dans un cachot, et l’on peut lire dans le bas : “Et pourtant, elle tourne!” Une phrase qui, selon la légende, aurait été marmonnée par Galilée à l’issue du procès. “La phrase est apocryphe”, m’apprend M. Noé.
Autre temps, autres mœurs
Comme ça fait déjà une bonne heure et demie que je discute avec Jean-Baptiste Noé, je sens venir le temps de la dernière question. “Comment faut-il concevoir aujourd’hui que des idées aient été condamnables?”
“Aujourd’hui, ça peut nous paraitre aberrant, mais au 13e siècle, c’est un système de pensée qui est autre. C’est la difficulté, en fait. Pour comprendre une époque, il faut se mettre dans la tête des gens de l’époque et ne pas arriver avec nos pensées à nous.
‘On avait une vision de la société qui était une vision unitaire. Aujourd’hui, on est très individualiste. Ça veut dire que penser différemment du groupe, c’est bien vu, et quelqu’un de conformiste, c’est mal vu. Jusqu’au 18e siècle, c’est l’inverse.
‘L’autre idée, c’est qu’il y a des pensées qui sont dangereuses, qui sont néfastes. Si je prends l’exemple de la société parisienne : il y a des propos qui sont interdits dans la société. Si on tient des propos racistes, antisémites, c’est interdit. On ne peut pas dire que, dans notre liberté, on va écrire des choses qui sont antisémites. On estime que, si quelqu’un tient ces propos et les écrit, ça nuit à la société. On trouve ça normal que des lois le répriment.’
***
L’Église, au fil de l’histoire, a révisé sa façon d’interpréter l’Écriture sainte. Elle a aussi en un sens réhabilité Galilée en 1757, l’année d’abolition du décret de 1616 interdisant les écrits de Copernic. De plus, au terme d’une commission menée par Jean-Paul II à partir de 1981, l’Église a reconnu certains torts qu’elle aurait eus dans cette affaire, notamment quant à l’interprétation littérale des Écritures, ‘dont Galilée ‘eut beaucoup à souffrir’’.
La création de l’Académie pontificale des sciences, le télescope du Vatican ou les multiples scientifiques religieux ayant succédé à Galilée montrent même la contribution de l’Église à la science, contrairement à ce que nous font croire bien des mythes.