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Les croyants et le bénévolat

Par Daniel Guérin, Ph.D.

Contrairement à ce qu’avance une récente étude publiée par Le Monde, les croyants du monde entier contribuent au mieux-être de leur société d’appartenance par leur intense engagement social.

En ces années où le terrorisme à connotation religieuse fait la manchette régulièrement dans les médias du monde entier, plusieurs remettent en question le phénomène religieux lui-même, qui serait selon eux une source de divisions et de conflits dans nos sociétés plutôt qu’une source de paix et de concorde comme il devrait l’être normalement.

Il est toutefois important de distinguer le phénomène religieux dans son ensemble, de son instrumentalisation violente par certains groupes politiques qui, au final, sont très largement minoritaires comparativement à tous les croyants du monde entier qui tentent de vivre du mieux qu’ils le peuvent.

La règle d’or des religions : traite les autres comme tu voudrais être traité, en d’autres mots, mets en pratique le message de bienveillance universelle valable pour toutes les cultures et religions.

Pour le démontrer, nous allons emprunter une voie indirecte. Premièrement, il s’agira pour nous de rappeler, à l’aide de données d’enquêtes nationales réalisées dans 60 pays entre 2010 et 2014, que la grande majorité des croyants, toutes confessions confondues, contribuent au mieux-être de l’ensemble de la population en étant actifs au plan social et communautaire.

Autrement dit, les croyants font du bien aux autres de façon générale en étant actifs dans la société, notamment au moyen du bénévolat et de leur participation dans des organismes de la société civile.

Les croyants sont surreprésentés chez les personnes les plus actives socialement dans les organismes bénévoles de la société civile

En somme, d’un point de vue technique, il s’agit de démontrer que les croyants sont surreprésentés chez les personnes les plus actives socialement dans les organismes bénévoles de la société civile, et ce dans la plupart des pays du monde, sans distinction de cultures ou de confessions religieuses.

Nous soutiendrons que cette participation des citoyens « religieux » contribue largement au mieux-être des sociétés en produisant ce que l’on appelle du capital social (Kaasa, 2013). En effet, nos analyses montrent que les croyants sont largement présents dans ce type d’activisme social qui contribue à la paix et à l’humanisation de la société.

Pour l’instant, examinons de façon empirique le lien qui existe entre la participation civique et la religiosité dans un contexte global.

Description des enquêtes et des données

Les données d’enquêtes proviennent de l‘organisme World Values Survey. La sixième vague (réalisée entre 2010 et 2014), que nous utilisons dans la présente analyse, porte sur 60 pays et comprend au total 86 274 répondants.

  • Question 1 : Quelle est la proportion des croyants parmi les habitants de ces pays ?

Les données permettent de constater que 85 % de la population totale de ces pays croit en Dieu. Ce chiffre varie évidemment de façon importante d’un pays à l’autre. Par exemple, cette proportion peut être aussi basse que 19 % dans la Chine officiellement athée jusqu’à plus de 99 % de croyants dans un pays musulman comme l’Azerbaïdjan ou un pays chrétien (orthodoxe) comme la Géorgie.

Mais de façon générale, ce résultat nous permet de conclure que le fait de croire en Dieu est un phénomène largement répandu dans l‘ensemble de la population mondiale. Ce résultat fait évidemment contraste avec le sentiment parfois qu’ont les croyants d’être minoritaires dans nos pays fortement industrialisés. Il ne s’agit pas d’un fait nouveau, mais il est bon de le rappeler à l’amorce de la présente analyse.

  • Question 2 : Quel est le niveau d’activisme social des citoyens ?

La question 2 s’attarde maintenant à l’activisme social des répondants. Comme nous le savons déjà, ce genre de participation n’est pas l’apanage de la majorité de la population, et ce dans la plupart des pays. C’est en effet une minorité de gens qui se joignent à de tels organismes bénévoles et qui déclarent y jouer un rôle actif.

Aux fins de la présente analyse, nous avons retenu 7 organismes sur la base de leur orientation (qui œuvrent pour le bien-être d’autrui ou de la société dans son ensemble) et compilé la participation active des citoyens à ces associations.

Les sept organismes sont les suivants :

  1. Organisme d’Église ou religieux ;
  2. Syndicat de travailleurs ;
  3. Parti politique ;
  4. Organisme environnemental ;
  5. Organisme humanitaire ou charitable ;
  6. Organisme de consommateurs ;
  7. Groupe d’entraide.

Les données montrent que les citoyens les plus actifs représentent 37,2 % des populations à l’étude. La plus grande partie de ces citoyens dits actifs sont présents dans seulement 1 organisme (19,5 %). Les citoyens actifs dans plus d’un organisme sont réellement un petit nombre, comme le démontrent les pourcentages suivants : 7,3 % (2), 2,5 % (3), 1,1 % (4), 0,6 % (5), 0,4 % (6) et 0,8 % (7).

La prochaine étape de notre analyse arrive au cœur de notre démarche. Il s’agit d’établir un lien d’association entre les variables de pratique religieuse et de participation civique. Nous l’avons fait en calculant un coefficient de corrélation adapté aux données de distribution non normale qui font l‘objet de la présente analyse. Il s’agit du Rho de Spearman*.

  • Question 3 : les pratiquants réguliers sont-ils plus actifs au plan social ?

Plusieurs études ont déjà montré que la pratique religieuse ou la religiosité mesurée de différentes façons était associée au fait de pratiquer le bénévolat (Uslaner, 2002 ; Paxton et coll. 2014). Nous avons voulu vérifier si ce lien était présent dans notre échantillon de 60 pays.

Lorsque nous calculons un coefficient de corrélation pour l’ensemble des pays, nous obtenons un Rho de Spearman de 0,340, ce qui traduit un lien de force modérée entre les deux variables. Nous nous sommes demandé si la relation entre la pratique religieuse et l’implication dans les organismes sociaux pouvait varier d’une quelconque façon d’un pays à l’autre.

Nous avons donc calculé un coefficient de corrélation pour chacun des 60 pays à l’étude.

Première remarque, le lien statistique entre les deux variables est présent et significatif (et de signe attendu, soit positif) dans la plupart des pays, 52 pays sur 56 au lieu de 60, car les données n’étaient pas disponibles pour 4 pays soient Barheïn, le Koweït, le Maroc et le Katar, ce qui dénote une constance remarquable dans les résultats. Dans les quatre pays où les coefficients ne sont pas significatifs, ils sont néanmoins de signe attendu ou positif.

Ainsi nous pouvons affirmer avec assez de confiance qu’il existe une relation de force modérée à forte entre la pratique religieuse et la participation à des groupes ou organismes de la société civile qui ont pour but l’entraide ou l’aide entre citoyens, et ce dans un important groupe de sociétés très diversifiées.

En d’autres mots, la pratique religieuse en général est associée au bénévolat et à la participation sociale dans un grand nombre de pays, ce qui permet de conclure que les croyants toutes confessions confondues produisent du capital social et contribuent au mieux-être de leur société d’appartenance.

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Note :

* Le coefficient de corrélation sur les rangs (Rho de Spearman) s’interprète de la même manière qu’un coefficient de corrélation de Pearson : une valeur positive (maximum = +1) indique une variation simultanée dans le même sens, une valeur négative (minimum = -1) une variation simultanée en sens inverse.

Références

  • Anneli Kaasa (2013) “Religion and social capital: evidence from European countries”, International Review of Sociology, 23:3, 578-596.
  • Pamela Paxton , Nicholas E. Reith,Jennifer L. Glanville, “Volunteering and the Dimensions of Religiosity:A Cross-National Analysis”, Rev Relig Res (2014) 56:597–625.
  • Eric M. Uslaner, “Religion and Civic Engagement in Canada and the United States”, Journal for the Scientific Study of Religion, Vol. 41, No. 2 (Jun., 2002), pp. 239-254.

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