Photo: Pixabay (jpeter2 - CC)
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Les fondements de l’islam

Dans le contexte social actuel, les polémiques autour de l’islam sont légion. Elles touchent le djihad, le halal, la charia, le voile, la construction de mosquées… D’un débat l’autre (comme dirait Louis-Ferdinand Céline) chacun se fait sa petite idée.

Mais au-delà des divers débats sur l’un ou l’autre aspect de cette religion, d’aucuns se questionnent sur son essence, qui n’apparait pas clairement, puisque, dans un contexte de fort clivage idéologique, des discours contradictoires s’affrontent et créent la confusion.  Beaucoup en effet perçoivent l’islam comme une menace à notre civilisation, tandis que d’autres le voient comme un enrichissement à la trame multiculturelle de la « société des identités ». Dans un camp comme dans l’autre, on prétend connaître le « vrai islam » et c’est fort de cette connaissance qu’on le condamne ou le défend.  Mais le réflexe d’invoquer le « vrai islam », loin de clarifier la situation, la rend plus opaque.

C’est en tout cas l’idée qu’avance Rémi Brague dans un court essai paru en 2008 (1), dans lequel il écrit:

Si on fait appel au critère de vérité et qu’on « combine le substantif « islam », qui est déjà [polysémique et donc] ambigu, avec l’adjectif « vrai », qui l’est encore plus, on se retrouve en face d’un foisonnement de sens qui échappe à tout contrôle. »

En bonne logique, la première chose à faire pour se tirer d’un pareil embarras est de réfléchir au sens des mots. Au départ, l’exercice ne nous en apprendra probablement pas beaucoup sur la religion mahométane en tant que telle, mais il aura au moins le mérite, grâce à une première mise à plat conceptuelle, de « faire prendre conscience de la largeur de l’éventail sémantique que recouvre l’expression ‘‘vrai islam’’ ». Libre ensuite à ceux qui le voudront de pousser l’enquête plus loin en creusant l’une ou l’autre définition.

Pour un premier débroussaillage, Rémi Brague propose de classer « les principales acceptions du mot « vrai » sous trois groupes principaux : intégrité, commencement et réalité. Chacun compren[ant] à son tour trois catégories ».

Intégrité

Sous la rubrique «intégrité », R. Brague présente les trois premières acceptions possibles du mot « vrai ». L’islam peut être vrai, c’est-à-dire être préservé dans son intégrité, sous trois rapports : celui de l’authenticité, celui de l’autorité et celui de la pureté. Dans cette optique, il faut comprendre que :

  • L’islam authentique est celui que révèle « l’auto-interprétation » produite à l’intérieur de la communauté musulmane (umma) par n’importe lequel de ses membres.
  • L’islam autorisé est celui que déterminent « les instances représentatives » ; mais, comme nous l’avons dit, il n’existe pas, en islam, d’institution qui, de droit divin, transcenderait toutes les autres et se trouverait dès lors « autorisée » à définir ce qu’est l’islam (voir notre article Qu’est-ce que le vrai islam?).
  • L’islam pur est celui qui a existé « avant les contacts avec des influences extérieures. Cela ne vaut que de la civilisation et ne saurait valoir pour la religion, qui est censée être préservée par Dieu et donc ne pas pouvoir se corrompre. »

Commencement

L’islam vrai peut aussi être l’islam du commencement. Cette notion de « commencement » se subdivise en trois sous-catégories : l’originel, le primitif, l’initial :

  • L’islam originel est celui qui « précède les déformations subséquentes » ; mais ce qui est originel (dès l’origine) n’est parfois qu’un germe de ce qui est appelé à être, et donc l’islam originel ne révèlera pas forcément le vrai visage de l’islam.
  • L’islam primitif est « peut-être une matière brute, non encore élaborée », et par conséquent quelque peu « décevante », étant donné qu’il n’aura pas le caractère étoffé de la pleine maturité théologique ou civilisationnelle.
  • L’islam initial serait celui qu’on pourrait découvrir en étudiant les débuts de l’ère islamique (622 ap. J.-C.) ; mais cette conception est contraire à la vision islamique de l’histoire qui prétend que l’islam commence dès Adam, et même avant la création du monde, et non au VIe siècle après Jésus-Christ.

Réalité

Enfin, on peut se référer à la réalité de l’islam. De ce point de vue, il y aurait à distinguer islam réel, islam effectif et islam profond.

  • « L’islam réel est celui dont l’histoire donne l’image. » C’est l’islam du passé, avec ses pages lumineuses et ses pages sombres. Mais, nous dit R. Brague, il est très difficile pour l’historien de déterminer « ce qui s’est réellement passé », car dans les rares sources très anciennes dont nous disposons, le légendaire est déjà si intimement mêlé aux faits historiques qu’il devient impossible d’écrire l’histoire de l’islam autrement qu’en répétant, du moins en partie, « l’autohistoire écrite par les musulmans ».
  • « L’islam effectif est celui qui garde la trace de l’effet produit sur lui par mille instances extérieures avec lesquelles il a dû composer au long de l’histoire ». Ces influences, ces emprunts, ces traces provenant d’autres religions ou civilisations, assimilés et intégrés par les instances musulmanes, sont innombrables et ils ont aussi contribué à façonner la « civilisation islamique », par leur interaction avec le Coran et les hadiths. Entre religion et civilisation, des tensions fortes se font parfois jour, car les deux pôles de l’idéologie et de la vie concrète sont toujours en décalage l’un par rapport à l’autre.
  • « L’islam profond est spirituel, par opposition au matériel ». Dans la religion musulmane, il y aurait donc une dimension « manifeste », visible pour tous, et une dimension « cachée », accessible aux initiés. L’on accèderait à ces profondeurs cachées au moyen d’une interprétation juste des textes sacrés, sous l’autorité « d’un imam que Dieu préserve de l’erreur » (vision chiite).

Deux champs d’études: la théologie et l’histoire

Depuis le début de notre entreprise, nous avons buté sur deux obstacles en cherchant à définir le « vrai islam ». D’abord l’absence d’instance magistérielle capable de nous fournir un critère de discernement fiable. Ensuite la multitude des significations attachées à l’expression « vrai islam ». Que faire, une fois constatés ce vide magistériel et cette ambigüité sémantique?

Il n’est peut-être pas possible de trouver une définition unique et autorisée de la religion musulmane.

Il n’est peut-être pas possible de trouver une définition unique et autorisée de la religion musulmane, non plus que d’en produire une qui répondraient parfaitement au critère de la véracité hitorique. Mais cela ne doit pas nous faire oublier que les textes fondamentaux de l’islam existent, au premier rang desquels se trouve le Coran, parole de Dieu révélée au prophète, et le « bel exemple » de la vie de Mahomet, la Sira, à laquelle il faut ajouter, pour avoir un portrait plus complet du personnage, le recueil de ses paroles (hadith).

La connaissance de la religion islamique passe donc, d’une façon ou d’une autre, par l’étude théologique du Coran, livre saint des musulmans, et par l’examen historique de la vie et des propos du prophète Mahomet. Car malgré ce qui a été dit plus haut à propos de l’islam « réel », ces sources, aussi fabulées ou composites soient-elles, ont eu et continuent d’avoir valeur de paradigme dans le monde musulman.

À la vérité, ce recours à la littérature sacrée et à l’histoire (particulièrement celles des origines) peut seul fournir des éléments susceptibles d’entrer dans l’élaboration d’une définition de l’islam satisfaisant aux critères d’authenticité (l’islam tel qu’il se pense théologiquement lui-même depuis son moment fondateur) et de réalité (l’islam tel qu’il s’est développé dans l’histoire à partir du moment fondateur), qui sont, de tous les critères énumérés par R. Brague, ceux qu’il faut retenir, puisqu’ils font la part, pour l’un, de la subjectivité de l’expérience croyante en islam, et pour l’autre, de l’objectivité d’un parcours appartenant au domaine du factuel.

Cette démarche intellectuelle, que nous appellerons le retour aux fondements, s’apparente d’ailleurs à celle à laquelle les musulmans eux-mêmes ont eu recours dès les premiers temps de l’islam, pour expliciter et mieux comprendre leur foi.

En effet, dans l’islam majoritaire traditionnel (le sunnisme), il est de coutume de consulter d’abord le Coran si l’on veut savoir ce qu’enseigne le prophète sur tel ou tel point de doctrine ; puis, lorsque le Coran nécessite un complément ou une interprétation, on se tourne vers la Sira et les hadiths (2).

L’exégèse du recueil coranique et l’étude de la vie du prophète en son contexte historique, ethnologique et religieux sont donc les deux démarches à entreprendre pour quiconque aspire à mieux connaitre l’islam en ses fondements, donc en sa vérité la plus profonde.

[NDLR:  Cette réflexion d’Alex La Salle a débuté avec les articles Pas d’amalgame avec l’islamQu’est-ce que le vrai islam?, L’islam en trois mots et Les fondements de l’islam.]

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Notes :

(1) Rémi Brague, « Qu’est-ce que le ‘‘vrai islam’’ ? », dans Philippe Capelle (dir.), Dieu et la cité. Le statut contemporain du théologicopolitique, Paris, Cerf (coll. Philosophie & Théologie), 2008, p. 63.

(2) Ce qu’explique très bien l’historien Gabriel Martinez-Gros en rappelant le rôle canonique joué par la Sira et les hadiths dans la tradition juridique de l’islam : « Ces deux « documents » [Sira et hadith], qui constituent le cœur de la souna (tradition), ont été élevés d’emblée en sources du droit, l’exemple donné par le Prophète, par la parole ou l’action, prenant force de loi en l’absence de réponse claire dans le Coran. Plus profondément même, ils ont servi à interpréter le Coran ». (Gabriel Martinez-Gros, « Mahomet, prophète et guerrier », Collections de l’Histoire n° 30, janvier-mars 2006).

 

 

Alex La Salle

Alex La Salle a étudié en philosophie, en théologie et détient une maîtrise en études françaises. Il travaille en pastorale au diocèse de Montréal.