Nous connaissons tous le passage du Nouveau Testament en Matthieu 10, où le Christ affirme qu’il n’est pas venu apporter la paix, mais le glaive. Cette déclaration intrigue, sinon trouble plusieurs lecteurs de la Bible. Le Christ n’est-il pas le prince de la paix? N’a-t-il pas dit de tendre l’autre joue si quelqu’un nous frappait? Sa mort sur la croix n’est-elle pas la parfaite manifestation de son refus de la violence? Et pourtant, il dit apporter le glaive!
Devant cet apparent paradoxe, certains lecteurs impuissants à résoudre la contradiction s’enferment dans la perplexité. D’autres, parfois très diplômés, mais aussi très ignorants du christianisme en général et de l’exégèse en particulier, n’hésitent pas à dire, après avoir écarté tout ce qui dans les évangiles contredit leur thèse, que ce verset prouve hors de tout doute que le christianisme est vecteur de violence et dangereux en soi.
À une époque où religion et violence sont spontanément associées dans l’esprit de plusieurs de nos contemporains, cette contrevérité est très dommageable pour le rayonnement de la Bonne Nouvelle. Mais elle l’est plus encore pour les hommes de bonne volonté qui, se fiant à ce lieu commun de l’antichristianisme, se détournent de l’Église et qui, ce faisant, réduisent d’autant leurs chances de découvrir que Jésus Christ est la Voie, la Vérité et la Vie.
Pour éviter l’écueil du cul-de-sac interprétatif ou le piège de la trop facile accusation de barbarie, il faut se rappeler que les auteurs et les personnages de la Bible emploient souvent un langage imagé pour parler des réalités transcendantes. D’entrée de jeu, on est ainsi avisé qu’il faut interpréter Matthieu 10 en essayant d’aller au-delà du sens littéral. De plus, il faut tenir compte de l’un des principes fondamentaux de l’exégèse: éclairer la Bible par la Bible.
Or, au chapitre 19 de l’Apocalypse, le Christ est dépeint comme un chevalier de la bouche duquel sort un glaive. Cette représentation du Messie, tout à fait surréaliste et quelque peu effrayante, peut aider à l’interprétation de Matthieu 10,34, en nous rappelant que, dans la Bible, on a généralement recours à la symbolique militaire et à l’imaginaire guerrier pour dire et redire aux chrétiens que la vie de foi implique une part de combat aux côtés du Christ.
Le combat que mène le Christ n’est ni politique ni militaire, mais spirituel.
Évidemment, le combat que mène le Christ n’est ni politique ni militaire, mais spirituel. Et il le mène non pas avec un attirail de spadassin, mais avec les armes du saint. Aussi, celui qui veut comprendre de quelle réalité spirituelle le glaive d’Apocalypse 19 est le symbole n’a qu’à se demander: «Qu’est-ce qui sort de la bouche des hommes normalement?» Réponse: des paroles. On comprend alors que l’arme avec laquelle le Christ livre bataille pour le salut des hommes n’est autre que sa divine Parole.
En effet, la Parole de Vie est l’arme spirituelle avec laquelle le Christ «extermine l’erreur» et «ampute la part nécrosée de l’âme», dans le but de sauver cette dernière de la gangrène du péché. En Éphésiens 6,17, l’apôtre Paul, suivant l’exemple de son maitre, invite d’ailleurs les chrétiens à prendre «le glaive de l’Esprit, c’est-à-dire la parole de Dieu», pour mener le combat de la foi. Ici, point de mystère. On nous dit explicitement que le glaive est un symbole de la Parole.
Enfin, l’ambigüité sémantique de Mt 10,34 se dissipe complètement si on se souvient qu’à la veille de sa mort le Christ a dit à un de ses disciples qui venait de faire couler le sang: «Ceux qui prennent l’épée périront par l’épée» (Mt 26,52). Cette condamnation sans appel de l’usage de la violence (dans la promotion ou la défense de la foi) nous confirme ainsi que le glaive que le Christ dit apporter ne peut être un simple glaive de bronze ou de fer.
En réalité, il tombe sous le sens pour le lecteur un tant soit peu initié qu’en Mt 10,34 le Christ emploie l’image du glaive pour nous faire comprendre que la Parole de Dieu, à laquelle renvoie traditionnellement cette image, est l’arme par excellence du combat spirituel; «une arme plus coupante qu’une épée à deux tranchants; une arme [qui] pénètre au plus profond de l’âme [et] juge des intentions et des pensées du cœur» (Hé 4,12).
On peut donc en être certain: dans les Évangiles, il n’y a aucune promotion de la violence par Jésus. Le Christ, notre vie, est bien le «prince de la paix» (Is 9,5). Le prince d’une vraie paix qui se gagne au prix du combat spirituel, dans l’invisible, avec la Parole de Dieu.