Grandeurs et misères des menstruations


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Les règles. Une semaine de saignements, de crampes et de fatigue. Je parle pour moi.

Pour d’autres, c’est une semaine de douleurs intenses. « Pires qu’une appendicite, et j’en ai déjà faite une », me disait une amie au secondaire. Une semaine de draps tachés, tellement les menstruations sont abondantes.

Une semaine d’humeur changeante, de pleurs et de doutes, précédée elle-même de cinq jours à avoir envie d’arracher la tête à tout le monde (spécialement à son mari, c’est connu).

Je crois que de tout temps, beaucoup de femmes se seraient passées de leurs règles, si elles l’avaient pu. Aujourd’hui, c’est possible. Beaucoup de femmes le peuvent et donc le font, que ce soit par la prise de la pilule en continu ou par la pose d’un stérilet dont c’est un effet secondaire fréquent.

Les menstruations, conséquence inhérente de la condition féminine depuis la nuit des temps, seraient-elles en train de disparaitre ? La fertilité féminine et le cycle hormonal qui la permet sont-ils eux aussi en voie de disparition ?

La disparition des règles

Évidemment, les gens continuent de vouloir des enfants (à l’occasion) et doivent donc laisser libre cours à leur fertilité. Cependant, avec 85 % des femmes adultes sexuellement actives qui prennent de la contraception hormonale, nous devons admettre que la fertilité est désormais l’exception plutôt que la règle. Chez les 15-24 ans au Québec, ce chiffre augmente à 93 %.

Je me demande comment plaider pour une meilleure compréhension de la réalité féminine, avec ses fluctuations hormonales et toutes les conséquences qu’elles entrainent dans la vie de la femme, si cette « réalité » elle-même n’est plus vécue que par une minorité.

On peut être fertile quand on veut un enfant. Il faut absolument vouloir ou ne pas vouloir un enfant. « Attendre » un enfant, laisser libre cours à la possibilité qu’il vienne ou ne vienne pas n’est plus une possibilité socialement acceptable. D’où la fameuse question à l’annonce d’une grossesse : « c’était prévu ? »

Répondre par la négative est risqué.

Je me demande donc, très sincèrement, comment plaider pour une meilleure compréhension de la réalité féminine, avec ses fluctuations hormonales et toutes les conséquences qu’elles entrainent dans la vie de la femme, si cette « réalité » elle-même n’est plus vécue que par une minorité.

Qui sera sensible au fait que des femmes ont des douleurs importantes au point de les empêcher de travailler, si finalement cette situation est évitable grâce à une pilule ? « Tu as dix collègues féminines et aucune d’elles n’a ce problème. C’est ton choix, donc assume. »

Rhétorique terrible de la modernité où la technique a parachevé sa maitrise de la nature. Si la technique peut pratiquement tout, toute situation donnée est le résultat d’un choix et doit être assumée par l’individu. Exit l’empathie.

Je remarque que cette logique est souvent servie aux femmes, surtout lorsqu’il est question de leur santé reproductive.

« Tu es enceinte ? C’est parce que tu as eu des relations sexuelles. Assume. »

« Tu as un bébé ? C’est parce que tu as choisi de le garder. Assume. »

« Tu es fatiguée ? C’est parce que tu as eu un bébé. Assume. »

Assumer, encaisser, accepter.

Assumer sa féminité

Pourtant, c’est bien là qu’il faut commencer. Accepter nos particularités, notre rythme féminin.

Si nous-mêmes ne sommes pas prêtes à le découvrir, à l’accepter, voire à le célébrer, comment pouvons-nous espérer être comprises et respectées lorsqu’il en est question ? Comment susciter l’empathie de nos congénères masculins, si nous les femmes n’estimons pas que notre cycle menstruel vaut la peine d’être pleinement vécu ?

Que toutes ne le vivent pas, c’est une chose. Que toutes ne le vivent pas de la même manière, c’est une évidence. Mais la base, ce serait d’avoir une solidarité féminine qui reconnait la validité de notre cycle hormonal et de tout ce qu’il nous fait vivre.

C’est d’oser dire à un collègue moqueur : « non, c’est pas du fake ». C’est d’oser demander à un directeur d’école de mettre des serviettes hygiéniques gratuites dans les toilettes des filles. C’est d’oser dire à un ami : « sois doux avec elle ».

On ne peut pas s’attendre à ce que les hommes devinent ces choses-là. Les menstruations, c’est un tabou. Trop d’hommes ont grandi et vivent dans des maisons où on ne parle pas de ça. Trop de boys club résistent et demeurent des endroits où les considérations féminines sont tout au plus une bonne blague.

C’est à nous à faire changer les choses. C’est à nous à honorer cette vie cyclique dont le Créateur nous a dotées. C’est à nous à faire preuve d’un leadeurship empathique, joignant une qualité qui a toujours été nôtre à une attitude qui nous a si longtemps été interdite.

Ariane Blais-Lacombe

Ariane est une jeune mère passionnée de périnatalité. Diplômée en sciences politiques, elle aime écrire et réfléchir sur le Québec d’aujourd’hui et son rapport à la vie de famille.