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La famille au défi du progressisme

À la veille de la Rencontre mondiale des familles qui se tiendra à Philadelphie en présence du pape, quelques réflexions sur l’idéologie dominante de notre temps : le progressisme, qui entraine un bouleversement des idées et des mœurs relatives à la vie familiale. Dans ce texte : révolution sexuelle des années soixante, militantisme LGBT et « réingénierie » de la famille par l’État.

À une époque de domination presque sans partage de la vulgate progressiste dans les médias, le retour au fondement philosophique de la pensée semble être la seule réaction saine de l’intelligence et de l’instinct devant les dérives déconstructivistes et utopistes des activistes de la gauche bienpensante. C’est pourtant un réflexe rare dans un monde soumis à l’empire rhétorique, où chacun est à la fois victime et vecteur d’un discours qui se résume trop souvent à un collage de slogans.

Qu’ils sévissent comme politiciens, juges, comédiens, journalistes ou universitaires, les militants progressistes vont actuellement de triomphe en triomphe dans leurs efforts de démantèlement d’une culture occidentale héritée du christianisme et leur rêve de reprogrammation sans limites du social et de l’humain. Cela dit, leur rhétorique n’est pas née d’hier. Elle s’adosse à une tradition intellectuelle déjà ancienne, qui produit à chaque époque un nouvel avatar.

Averses dispersées dans l’Histoire et déluge des années ’60

Héritiers de tous les prométhéismes fumeux qui ont défilé depuis les débuts de la modernité – humanisme sceptique (16e s.), individualisme libéral (17e s.), libre pensée voltairienne (18e s.), marxisme-léninisme (19e-20e s.), existentialisme athée (20e s.), hédonisme gauchiste (mai 68) –, les thèses et les discours libertaires qui inspirent les réformes dites progressistes des gouvernements occidentaux depuis quelques décennies se sont toujours structurées et se structurent encore autour du même paradigme classique : l’émancipation.

« Faisons sauter nos chaines, rejetons ces entraves » (Ps 2), s’écrient en chœur des bataillons d’hommes contempteurs du réel, en écho à un refrain subversif consigné par le psalmiste, et qui semble venir des origines.

Dans les années soixante, à travers le véhicule du gauchisme (1), sorte d’humanisme juvénile et contrefait, les âmes révolutionnaires et libidineuses de tous les quartiers latins ont essayé de changer le monde – entre autres en hissant le dévergondage au rang de droit de l’homme (2).

Mais à la fin du 20e siècle, en consacrant le triomphe du capitalisme de prédation, l’échec final du marxisme comme doctrine économique et politique a réduit le champ d’application de leurs « projections libérantes » aux mœurs sexuelles.

D’une logique de contestation globale des structures économiques et politiques, nous sommes ainsi passés, sous la pression de l’idéologie libérale-libertaire, à une logique de détournement de l’appareil judiciaire au profit de groupes minoritaires œuvrant à l’institutionnalisation des acquis de la « libération » sexuelle.

La soudaine crue du progressisme

Avec le progrès de la science médicale et la stupéfiante mutation des mentalités, l’amont et l’aval de la vie sexuelle des individus sont ensuite devenus les cibles privilégiées de groupes de pression puissants, influencés par une engeance d’idéologues intoxiqués par « le phantasme de l’autoengendrement » (3).

Excitées par le discours victimaire, la dérive compassionnelle et l’ivresse démiurgique, nos sociétés se vouent désormais à la recréation d’une humanité nouvelle.

Non contents de « dérèglementer » les mœurs sexuelles, ils se sont ainsi attaqués au fondement et à la finalité de la vie sexuelle, à savoir le corps sexué et la vie familiale ordonnée au bien des époux et des enfants. Excitées par le discours victimaire, la dérive compassionnelle et l’ivresse démiurgique, nos sociétés se vouent désormais à la recréation d’une humanité nouvelle, affranchie de toute origine, de toute identité et de toute fin qui ne seraient pas celles décrétées par la volonté tyrannique de l’individu.

Après plusieurs années de dynamitage méthodique des fondements anthropologiques de la société, l’environnement humain dans lequel nous évoluons n’est plus le même : la réassignation sexuelle par génitoplastie (communément appelée « changement de sexe »), la redéfinition arbitraire et casuistique du mariage par les parlements (parfois au mépris d’une mobilisation massive du peuple) et le lâchage de la famille traditionnelle par la méculture médiatique de masse (4) (au profit des nouveaux modèles comportementaux et familiaux) font partie du paysage social, du corpus législatif et de l’habitus contemporain (5).

Le génie corrosif de l’homme ouvre maintenant à l’humanité un avenir libéré des contraintes de la biologie, de la dualité des sexes et des égards les plus élémentaires dus aux couples et aux enfants (6).

L’horizon du don: une digue

Dans un monde où les désordres affectifs, les carences relationnelles et le mal de vivre se soignent au moyen de chirurgies plastiques, de réformes du Code civil ou de la marchandisation de l’humain (je pense ici au développement de l’industrie de la procréation assistée), il ne vient apparemment à l’idée de personne que toutes les modifications du monde, qu’elles soient physiologiques, juridiques ou sociales, n’affranchiront jamais l’homme intérieur de son malêtre, de ses souffrances intimes, des meurtrissures de l’enfance.

L’intégration à la culture et aux mentalités de tous ces dérivatifs inefficaces qui ne vont jamais au cœur des choses se fait au prix de l’épanouissement réel de l’homme, c’est-à-dire de sa capacité à entrer en relation personnelle avec quelqu’un dont l’altérité – une altérité reçue de la nature et cultivée par les traditions et les mœurs – ouvre à la possibilité du don.

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Notes :

(1) Ici, il faut prendre le mot « gauchisme » dans son acception la plus circonscrite. Il désigne ainsi de façon très précise, depuis les évènements de mai-juin 68 en France, ce « courant politique d’extrême gauche, d’obédience trotskiste, anarchiste ou maoïste notamment, prônant la révolution, préconisant l’action directe, et rejeté comme déviationniste par le communisme orthodoxe. » (CNRTL)

(2) « ‘‘Plus je fais la révolution, plus je fais l’amour ; plus je fais l’amour, plus je fais la révolution’’, scandaient les soixante-huitard-e-s, reprenant la formule empruntée au psychanalyste allemand Wilhelm Reich, théoricien de la révolution sexuelle. » (Autain Clémentine, « Féminismes et sexualité : « jouissons sans entraves » ! », Mouvements 2/2002 (no20) , p. 30-36.

(3) J’ai trouvé l’expression chez M. Bock-Côté, qui l’emploie dans un article du Figaro Vox. Texte excellent par plusieurs points, mais qui semble évacuer trop rapidement la question morale, pourtant intimement liée à la question anthropologique à laquelle l’auteur est attaché. Pour sa part, l’Église catholique n’hésite pas à s’y consacrer, afin de redonner à la conscience humaine une armature qui lui fait défaut actuellement et qu’elle ne trouvera certainement pas dans la culture actuelle, minée par le relativisme.

(4) Ici je me permets un néologisme à l’aide du préfixe « mé-», qu’on retrouve par exemple dans mécompréhension ou mécontentement. Ce préfixe dénote la négativité et traduit l’idée de mauvaiseté. Une méculture est donc une mauvaise culture, c’est-à-dire une culture « qui ne vaut rien, qui n’a pas les qualités qu’on attend, qui n’est pas en bon état. » (CNRTL).

(5) Habitus : « En sociologie. Manière d’être d’un individu, liée à un groupe social, se manifestant notamment dans l’apparence physique (vêtement, maintien, voix, etc.). » (Le Petit Robert).

(6) Précisons qu’ici, en suivant Tony Anatrella, la notion de « couple […] implique la dissymétrie sexuelle. » Cf. l’article « Homosexualité et homophobie », dans le Lexique des termes ambigus et controversés sur la famille, la vie et les questions éthiques, Pierre Téqui Éditeur, 2005.

Alex La Salle

Alex La Salle a étudié en philosophie, en théologie et détient une maîtrise en études françaises. Il travaille en pastorale au diocèse de Montréal.