Très loin de l’idée qu’ils se font d’eux-mêmes, les environnementalistes sont fondamentalement des conservateurs qui s’ignorent.
Comme l’ont remarqué plusieurs commentateurs, le mouvement de la grève pour le climat est le combat d’une génération. On l’a vu la semaine dernière à Montréal : l’intensification des gestes d’éclat est à prévoir.
Depuis quelques années maintenant, le mouvement écologiste est sorti des marges. Il est devenu un mouvement de fond, une cause commune autour de laquelle citoyens et politiciens doivent se positionner.
En ce sens, la figure de Greta Thunberg a révélé et opéré la convergence des forces de la jeunesse, déjà sensible à cet enjeu des changements climatiques.
Pour bien comprendre un mouvement, on doit sortir de la rhétorique de ceux qui portent cette cause ou s’y opposent. « Regardez ce qu’ils font, non ce qu’ils disent », me disait mon professeur d’épistémologie.
Elle suscite, comme toute cause, des degrés divers d’engagement selon les consciences et les capacités de sensibilisation.
Son dévouement se déploie du primitivisme antihumaniste extrême jusqu’aux citoyens qui veulent tranquillement faire leur part.
Un monde en quête de stabilité
Chose certaine, l’environnementalisme est un conservatisme parce qu’il cherche à limiter le projet moderne de « domination de l’homme sur la nature ».
Devant les conséquences néfastes d’un développement « à crédit », la jeune génération tente d’améliorer la situation.
Mais cette tension vers la préservation de ce donné qu’est l’environnement ne révèle-t-elle pas aussi quelque chose de plus profond ?
Ne sommes-nous pas devant une recherche de stabilité dans un monde de constantes transformations rapides ?
Impossible d’analyser ce mouvement sans référer à l’épidémie d’anxiété et le malêtre d’une partie importante de la jeunesse.
L’environnementalisme est une porte par laquelle ils peuvent crier socialement et politiquement leur besoin de repères objectifs, fermes et solides.
En raison de sa mauvaise presse, les jeunes sont incapables de s’identifier à la tradition intellectuelle du conservatisme. L’environnementalisme est une porte par laquelle ils peuvent crier socialement et politiquement leur besoin de repères objectifs, fermes et solides.
Mai 68 peut être qualifié du moment libéral-libertaire de la génération babyboumeur.
Les grèves pour le climat (ou ce qui s’en vient…) pourraient être, elles, le moment conservateur d’une génération assoiffée de valeurs traditionnelles.
Vous me direz que, bien qu’argumentée, mon analyse est aux antipodes des représentations que la jeunesse se fait d’elle-même.
Je vous l’accorde.
Mais cette incapacité à se percevoir elle-même telle qu’elle est, à savoir conservatrice, pourrait être son pire ennemi. Ce malaise identitaire menace même sa chance de faire une différence.
Les arroseurs arrosés
La grève pour le climat a beaucoup à voir avec Mai 68.
En effet, les bouleversements sociaux du printemps 1968 se voulaient un mouvement de rébellion contre un monde austère et discipliné.
On le voit aujourd’hui, ce désir d’émancipation et de liberté était légitime dans son intention. Or, il a plutôt eu pour conséquence de favoriser l’émergence du néolibéralisme.
Loin de faire place à l’homme nouveau, le mouvement a plutôt fait « sauter le dernier verrou qui limitait le plein essor de la marchandisation du monde : celui des valeurs traditionnelles ».
Ainsi, c’est au rétrécissement de la liberté humaine que nous avons assisté et non à son émancipation.
Du haut de leur prétendue supériorité morale, les acteurs de Mai 68 n’ont pas vu la prison qu’ils étaient en train de construire.
La raison est simple, la justesse de cette cause a créé l’illusion d’une pureté morale. Elle a ainsi confondu le désir avec l’idéal à atteindre.
Du haut de leur prétendue supériorité morale, les acteurs de Mai 68 n’ont pas vu la prison qu’ils étaient en train de construire.
Le même risque guette notre jeune génération.
Il n’est pas rare d’entendre des détracteurs faire le lien entre écologisme et religion. L’expression « donneur de leçon », exprime cette perception qu’une partie importante de la population se fait de certains environnementalistes.
La justesse de leur cause persuade certains environnementalistes de leur pureté originelle au point de les aveugler sur eux-mêmes.
Limitée aux plus radicaux, cette impression de supériorité morale risque de contaminer l’ensemble du mouvement. Donner son assentiment à « l’utopie d’une humanité revenue à son état premier de nature » (Caritas in Veritate no. 14) procède de la même erreur.
Des solutions dans la sérénité
Ainsi, comme ce fut le cas avec Mai 68, il se pourrait que la grève pour le climat accouche de l’apocalypse climatique tant décriée.
Comprenez-moi bien : sortir de la logique d’exploitation de la nature est une urgence.
L’humanité doit apprendre à se développer en cohérence avec les processus naturels de notre planète et ceux de la nature humaine (mais voilà un autre sujet de chronique!).
Bref, les mouvements sociaux en faveur de l’environnement sont une chose très positive. Mais ils ne seront efficaces et durables que s’ils se mettent en posture critique, non seulement face aux systèmes économiques, mais également envers eux-mêmes.
Leur démarche ne portera du fruit que dans la mesure où ils verront les causes profondes de leur désir de conservation.
Dans le cas contraire, nous assisterons dans cinquante ans au même retour du balancier et on se rendra compte que finalement on aura fait du surplace.
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